G.H.C. Numéro 58 : Mars 1994 Page 1005
L'état civil de Port-au-Prince,
témoin du massacre général des Blancs
Peter J. Frisch
En feuilletant le premier registre des naissances de
la commune de Port-au-Prince, conservé aux Archives natio-
nales d'Haïti, il est émouvant d'y trouver les indices des
événements qui se sont déroulés dans cette ville à la fin
de l'année 1803 et durant les premiers mois de 1804.
Le premier acte de ce registre porte la date du "22
fructidor An XI de la République française". Ladite
mention de "République française" fut abandonnée le 16
vendémiaire An XII (9 octobre 1803). En effet, à cette
date, l'armée française évacuait Port-au Prince et le
lendemain, 10 octobre, l'armée indigène entrait dans la
place. Dès cet instant, Port-au-Prince fut considérée
ville libérée et soustraite à l'autorité française. Le
calendrier républicain fut toutefois maintenu jusqu'au 17
janvier 1804, soit seize jours après la proclamation offi-
cielle de l'indépendance d'Haïti.
Durant toute cette période, ce fut Charles Nicolas
COULON qui remplit la fonction d'officier de l'état civil
de la commune de Port-au- Prince. COULON était un Blanc
qui avait choisi de rester à son poste, même après la
perte par la France de sa colonie. Le dernier acte enre-
gistré par COULON porte le no. 448 et est daté du 15 mars
1804. Il déclare la naissance de Pierre Anatole GUIARD,
fils légitime de Pierre Joseph (négociant de 35 ans) et de
Jeanne Marguerite BÉDÉ. Les témoins sont Bernard DUPORTÉ
(négociant de 46 ans) et Valentin CIZOS (négociant de 42
ans). Il semble s'agir là de Français également restés
dans l'île. L'acte suivant, au no. 449, porte la date du
31 mars 1804, soit deux semaines après l'acte no. 448. Il
enregistre la naissance de Louis François, fils naturel de
Cadet PERGANO et d'Elizabeth GREFFIN. L'officier d'état
civil rédigeant cet acte est à présent L. MONIER.
Pourquoi ce changement de titulaire ? Il se trouve
que le massacre des Blancs, tel que commandé par Jean-
Jacques DESSALINES, eut lieu à Port-au-Prince du 16 au 25
mars 1804. Thomas MADIOU, le premier historien haïtien,
nous présente cet événement terrible en ces termes :
"A dix heures du soir du 16 mars, l'égorgement commença
sur plusieurs points de la ville à la fois. Des pelotons
de soldats guidés par des hommes armés de poignards,
appartenant à la marine, au commerce, à l'administration,
pénétrèrent dans les maisons des Blancs et les égorgèrent.
Des hurlements affreux remplirent la ville : un vieillard
nommé NONE, habitant de la rue des Fronts-Forts, fut
immolé un des premiers. Le massacre continua jusqu'à la
pointe du jour. Alors les tueurs se reposèrent un peu.
Vers les huit heures, ils recommencèrent le carnage. Les
Blancs qui n'avaient pas succombé dans la nuit furent
arrêtés, conduits hors de la ville et sacrifiés à la Croix
des Martyrs ... Des enfants armés de sabres assassinaient
ceux des Blancs qu'ils rencontraient dans les rues. Ces
malheureux, déjà terrifiés, se laisseaient tuer sans
opposer aucune résistance (...) Le lendemain, le gouver-
neur DESSALINES parcourut la ville dont les galeries et
les places étaient teintes de sang ... Cependant le
gouverneur général accorda la vie à plusieurs Blancs,
médecins, chirurgiens, pharmaciens et chapeliers dont on
pouvait avoir besoin" (1).
Samuel NEWS, capitaine en second de la goélette améri-
caine "John Vining", témoin de ces journées sanglantes, en
fit un rapport à l'agence consulaire de France à Santiago
de Cuba, déclarant que :
"Se trouvant au Port-au-Prince à la fin de mars ... il y a
été témoin du massacre général des Blancs restés dans
ladite ville, par les Noirs, lequel massacre a commencé le
vingt mars (2) et a continué jusqu'au vingt-trois dudit
mois et s'est commis avec des circonstances atroces, que
les Noirs se sont portés dans les différentes maisons
habitées par des Blancs, ont enfoncé les portes, entraîné
dehors les malheureuses victimes qui s'y trouvaient et,
après les avoir entièrement dépouillées et mises nues, les
ont inhumainement massacrées dans les rues à coup de
sabre, qu'après le massacre on a assuré à lui comparant
que le nombre des victimes s'élevait à plus de cinq cents
parmi lesquels se trouvaient une femme et ses quatre
enfants, qu'il sait avec certitude qu'à l'exception des
femmes blanches (3) il n'a été épargné que quatre hommes
blancs dont il ignore les noms, savoir deux négociants, un
médecin, un chirurgien et un forgeron ... que parmi les
gens qui massacraient, il y avait un grand nombre de
mulâtres généralement officiers" (4).
Pour en revenir à l'état civil de Port-au-Prince, qui
était ce MONIER qui succéda à COULON, certainement tué
lors du massacre ? Thomas MADIOU nous renseigne, disant à
son sujet "qu'un français nommé MONNIER qui, fuyant les
persécutions de ROCHAMBEAU, s'était retiré dans la partie
de l'Est, arriva au Port-au-Prince (au moment des
tueries). Le général PÉTION qui connaissait ses bons
sentiments lui avait écrit, aussitôt après l'évacuation de
ROCHAMBEAU, de venir au Port-au-Prince, lui promettant sa
protection ... Il le présenta à DESSALINES qui le sauva et
le nomma officier de l'état civil" (1).
MONIER occupa peu de temps cette fonction. Quelques mois
plus tard, il fut remplacé par Jérôme COUSTARD. En dehors
de lui, parmi les rescapés du massacre, se trouvaient
Thomas ELIE (chirurgien), Alexandre BAILLERGEAU (officier
de santé) et Jean Baptiste MIRAMBEAU (médecin). De
nombreux Français furent sauvés en trouvant asile chez des
Haïtiens qui risquaient ainsi leur vie en les cachant.
Sous le couvert de la nuit, ces infortunés arrivaient à
gagner les navires étrangers se trouvant dans la rade pour
aller continuer leur vie sous un ciel plus clément.
(1) MADIOU, Thomas. Histoire d'Haïti. Port-au-Prince, Ed.
Henri Deschamps, 1989, t. 3, pp. 165-170.
(2) en fait, le 16 mars.
(3) Les femmes blanches et leurs enfants seront par la
suite également massacrés.
(4) Nous remercions Jacques de CAUNA de nous avoir aima-
blement communiqué ce document.
TROUVAILLES
de Chantal Cosnay : Un Martiniquais à Marseille
Chez le notaire Ponsard, à Marseille, le 30 septembre
1772, testament (contrôlé le 24 mai 1773) de Jean-Baptiste
ROUX, lieutenant de navire de l'isle de la Martinique,
époux de Marie GOUVERNE.