G.H.C. Bulletin 99 : Décembre 1997 Page 2110
François Charles Louis marquis de LAJAILLE (1822-1889)
Rodolphe Enoff
Pourquoi ce marquis est-il à l'honneur au camp mili-
taire DUGOMMIER, à Baie-Mahault ? Nous allons faire la
connaissance de ce descendant de la noblesse à travers le
métier qu'il a choisi; nous constaterons aussi qu'au seuil
de sa retraite, il a fait quelques incursions politiques.
La famille de LAJAILLE est fortement marquée par ses
origines nobles qui datent du début du 17ème siècle. Cette
noblesse des environs de l'Anjou et de la Bretagne compte
dans ses rangs de nombreux militaires. Le père de notre
personnage, Charles André, est né à Londres le 16 mars
1796. Pourquoi cette naissance outre-Manche ? La réponse
est simple : pendant la Révolution de 1789, de nombreux
royalistes ont émigré en Angleterre, pour échapper durant
la Convention à la loi des suspects. D'ailleurs certains
d'entre eux ont attendu l'installation de la Restauration
pour regagner la France. Ce Londonien de circonstance a
été lieutenant de cavalerie dans la compagnie du duc de
Wagram, le 1er septembre 1814. Après les Cent jours il se
met en congé et vogue vers la Guadeloupe en décembre 1820.
Là, en tant qu'ancien militaire, il trouve un emploi dans
les milices de la Guadeloupe en 1822, il devient par la
suite major du quartier de Baie-Mahault le 7 juillet 1825.
Auparavant il avait épousé la fille de l'inspecteur
général des milices de la Guadeloupe, François Sigismond
DU BOIS comte d'ESTRELAN, le 23 octobre 1821.
De cette union naquirent de nombreux enfants, dont
François Charles Louis fut l'aîné. Il est né à Baie-
Mahault le 19 octobre 1822; nous sommes en France en
pleine Restauration, avec Louis XVIII à la tête de l'État.
Ceux qui se mobilisent pour interdire la traite des noirs,
ont beaucoup de mal à se faire entendre, malgré la
"Résolution de Vienne de 1815".
La Monarchie de juillet est en place depuis 1830,
Louis-Philippe est à la tête de l'État. Vers 1835 le père
de notre Guadeloupéen estime que sa famille, sur place, a
peu d'avenir. Il décide de se rapprocher de la région de
ses ancêtres et s'installe à Nantes; quelques années plus
tard, on le trouve, le 5 juillet 1849, capitaine de la
Garde. Dans cet environnement, le jeune François prépare
le concours d'entrée à l'École militaire de St Cyr. Il y
est admis le 24 avril 1841, il a 19 ans. Sa formation
militaire terminée, au bout de 2 ans, il obtient le grade
de sous-lieutenant. Il est alors affecté dans l'Armée
active, au 5ème régiment des hussards, le 27 avril 1843.
Il reste dans ce régiment pendant plus de dix ans, ce qui
lui permet d'obtenir son brevet de chef d'escadron, dès sa
mutation au 3ème régiment des chasseurs d'Afrique, le 3
septembre 1856. Nous sommes dans la pleine période des
conquêtes coloniales. Le coup d'état du 2 décembre 1851 a
installé le second Empire avec Louis Napoléon Bonaparte à
sa tête.
Notre militaire est confortablement installé dans sa
carrière. Il a plus de 15 ans de service, il a été promu
chevalier de la Légion d'honneur en décembre 1854; de
plus, il vient d'obtenir le premier grade d'officier
supérieur.
Il décide alors de se marier et, le 25 janvier 1858,
il épouse Emilie Marie-Françoise Élisabeth TIXIER DAMAS de
SAINT PRIX. De ce mariage sont nés quatre enfants (trois
fils et une fille) (1).
En août 1860 il a une nouvelle affectation, pour
l'Afrique cette fois, au 2ème régiment des chasseurs.
Entre temps, il avait eu de l'avancement et obtenu le
grade de lieutenant colonel. Nous sommes en pleine période
du second Empire, dite " l'Empire libéral "; notre colonel
a des convictions royalistes, mais sa qualité de servir
est telle que l'empereur n'hésite pas à lui confier une
mission en Suède. I1 est chargé de se rendre à Stockholm
pour assister, du 25 juin au 10 juillet 1862, aux
manoeuvres de l'armée suédoise. La qualité de sa pres-
tation fut telle que le Roi de Suède le décore des
ordres de l'Épée de Suède et de Saint-Olaf (2).
Lors de son retour en France, son ministre le charge
d'une nouvelle mission; il doit accompagner un corps expé-
ditionnaire afin de réprimer le soulèvement de tribus
arabes. Son intervention à Teniet el Kihh est déterminante
et lui vaut en retour son accession au grade de colonel.
Il est ensuite responsable du 1er régiment des hussards à
Mostaganem en décembre 1864. Il quitte les hussards pour
rejoindre les chasseurs d'Afrique en août 1867. Auparavant
le 12 mars 1866, il avait reçu le grade d'officier de la
Légion d'honneur. Le 2 juin 1870, le colonel LAJAILLE
décroche ses 2 étoiles de général de brigade, après avoir
assuré le maintien de l'ordre face aux rebelles de la
tribu des Ouled Sidi Cheikh.
L'incident de la dépêche d'Ems provoque la déclaration
de guerre de l'Allemagne. François de LAJAILLE est affecté
à la tête de la 2ème brigade de la 1ère division de
réserve de cavalerie de l'armée du Rhin, le 18 juillet
1870. (Cette armée était commandée par Bazaine). Malgré
l'héroïsme des soldats, la trahison de Bazaine annihila
tous les efforts qui furent entrepris. Cet état de fait
eut pour conséquence l'emprisonnement de LAJAILLE en
Allemagne, où il resta six mois.
Le général LAJAILLE est libéré au moment même où la
commune se rend maîtresse de Paris. Thiers, à Versailles,
entreprend de réorganiser les débris de l'armée française
rentrant des frontières et se prépare à reprendre la
capitale. Il confie à LAJAILLE le commandement de la 9ème
brigade de la première division de cavalerie. Pendant deux
mois et demi, notre général participe aux terribles
attaques des troupes versaillaises. Le 24 juin 1871, il
est commandeur de la Légion d'honneur.
Après la chute de Paris, le général LAJAILLE assure
le poste de commandant de cavalerie au 10ème corps d'armée
en 1873.
En 1876, cet homme né sous les tropiques, après une
carrière militaire déjà pleine, entre les batailles
d'Europe, d'Orient et les conquêtes coloniales en Afrique,
décide de faire une incursion dans le domaine de la poli-
tique. Il jette un regard vers l'île qui l'a vu naître.
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Révision 27/01/2005