G.H.C. Bulletin 96 : Septembre 1997 Page 2052

Un créole reconverti, le chevalier de LACOUX
Michel Camus

     François René DELACOUX,  qui se fera appeler, sous la 
Restauration,  le "chevalier" de LACOUX, est un exemple de 
ces  milliers  de colons de Saint-Domingue ruinés  par  la 
Révolution de Haïti au début du XIXème siècle.  Il réussit 
à surmonter ce revers de fortune en se faisant  professeur 
de harpe, puis, à 60 ans, facteur d'instruments de musique 
à Paris,  où il eut un certain renom. Il professa toujours 
les  sentiments les plus royalistes,  émigrant pendant  la 
Révolution et l'Empire.
     François  René  est d'une famille de l'Indre dont  on 
trouve plusieurs branches alliées au XVIIIème  siècle.  La 
sienne était parente des DELACOUX de MESNARD qui se succé- 
dèrent à la présidence de l'élection de Châteauroux depuis 
la fin du XVIIème siècle.  L'abbé Antoine Nicolas DELACOUX 
de  MESNARD,  abbé  de Saint-Martin  de  Châteauroux,  qui 
représenta  le  Berry à l'Assemblée provinciale  de  1778, 
était un oncle de François René. Il fut tuteur de sa soeur 
puînée à la mort de leur père en 1780 (1).
     Sylvain  François,  père de François René semble,  en 
une dizaine d'années,  avoir fait fortune à Saint-Domingue 
comme maître de chirurgie - les soins aux esclaves rappor- 
taient beaucoup - à moins qu'il n'ait hérité de son  père, 
avocat au Parlement (le titre est trompeur,  les officiers 
de justice provinciaux faisant souvent précéder leur titre 
de  celui d'avocat au Parlement où ils ne mettaient jamais 
les  pieds !).  Il semble être arrivé à Saint-Domingue  au 
début  des  années 1750.  En 1773,  il achète pour  80.000 
livres,  une  charge  anoblissante  de  secrétaire  en  la 
chancellerie du Parlement de Bordeaux,  à la veuve de René 
Louis DELAGEULLE de COINCES,  juge au bailliage d'Orléans, 
lui-même anobli par cette charge (2).
     Sylvain François avait quitté Saint-Domingue dès 1765 
et  était  alors "bourgeois" à Châteauroux.  En  1776,  il 
demanda  à  la  Cour l'enregistrement de  ses  lettres  de 
noblesse aux Conseils supérieurs de  Saint-Domingue,  sans 
doute afin d'être exempté de la capitation pour sa famille 
et douze nègres (3).
     En  1762,  avec son beau-frère,  Charles Louis Joseph 
MATHIEU-DESCLOCHES,  venu de Valenciennes à Saint-Domingue 
vers 1745,  il avait acheté la moitié d'une sucrerie à  la 
Croix-des-Bouquets.  La  plantation avait 300 esclaves  en 
1789.  Il  possédait  dans le même quartier une  caféterie 
avec  60 esclaves et 100 carreaux de terres non  cultivées 
(4).

     François René DELACOUX fait ses études au collège  de 
Plessis-Sorbonne,  l'un  des collèges parisiens  les  plus 
anciens et des plus réputés (pension : 800 livres par an), 
où  il côtoie la grande aristocratie.  Brillante éducation 
qui  lui  permettra de faire valoir,  au début  du  XIXème 
siècle,  des  talents de musicien,  facteur d'instruments, 
inventeur et,  à l'occasion,  poète.  A 22 ans,  il serait 
entré dans l'armée, "goût commun à presque tous les Améri- 
cains",  selon MOREAU de SAINT-MÉRY, le grand historien de 
la colonie de Saint-Domingue.  Sa carrière est  imprécise. 
Selon  un  état de services,  il aurait été  capitaine  au 
régiment de la Guadeloupe en 1785,  rang inconcevable pour 
un  jeune homme de son âge.  Aucun état des officiers  des 
régiments des Antilles ne le mentionne.  D'autres états de 
service le donnent seulement comme "ancien chevaux-légers" 
pendant l'émigration (5).

     En juin 1789, il réside avec sa soeur à Paris. Il est 
nommé  tuteur  ad-hoc lors du mariage de  cette  dernière, 
encore mineure,  avec le "comte" de MAUGER,  d'une famille 
de  grands  propriétaires de Saint-Domingue où elle  s'est 
établie à la fin du XVIIème siècle (GHC 1996 p. 1722). Les 
témoins  sont  Charles Arnold Ignace HANUS  de  JUMECOURT, 
d'une  famille originaire de Nancy,  anoblie en 1716  (6). 
Capitaine d'artillerie, il achètera en 1786 une sucrerie à 
Saint-Domingue  où il servira les Anglais jusqu'à sa mort, 
en 1798.  Autres témoins,  Gabriel Thomas Marie d'ARJUZON, 
receveur  général des finances d'Amiens,  ami,  Joseph  de 
LOEUILLART,  officier de l'administration des Iles-du-Vent 
(en fait écrivain),  ami,  et Léon DUCRABON, originaire de 
Bayonne,  colon  de  Saint-Domingue qui,  comme  HANUS  de 
JUMECOURT, avait épousé une fille de l'oncle de la mariée. 
Le marié, Laurent Guillaume Pierre Éléonore de MAUGER, est 
capitaine  réformé  au régiment Royal  Navarre,  entré  au 
service à 16 ans,  en 1774.  Son père avait été anobli  en 
1779  comme  étant d'une famille d'ancienne noblesse  dont 
les  titres auraient été brûlés par les Anglais  à  Saint-
Domingue, en 1697 (7).
     Le contrat de mariage a été pré-rédigé au château  de 
Pont-d'Or  (Avessac,  près  de  Redon),  où  résident  les 
parents  du  marié,  revenus en France en 1763.  Le  marié 
apporte 212.000 livres de dot, dont 10.000 livres de rente 
annuelle,  plus  6.000 livres de douaire,  et 5.000 livres 
par  an  pour  "l'entretien"  de  la  mariée.   Comme   le 
constatait le conseil de famille de la mariée,  c'était un 
"parti   honnête,   sortable  et   avantageux".   L'épouse 
n'apporte  que ses biens à St-Domingue,  sur lesquels elle 
paie une rente annuelle de 3.000 livres,  une cargaison de 
sucre arrivée à Nantes (estimée 6.000 livres) et une  part 
d'intérêt  prise  pour  elle par un  parent,  négociant  à 
Nantes,  dans  un navire négrier,  plus des droits sur  la 
succession de sa tante maternelle, Jeanne LECOCQ (4).

     François  René DELACOUX émigre en 1791 et rejoint son 
beau-frère MAUGER,  émigré en 1790,  à l'armée des Princes 
où  il fait la campagne de 1792 comme chevau-légers de  la 
garde du Roi. Malade, il passe ensuite en Angleterre où il 
retrouve  son beau-frère qui est nommé en 1794  major  des 
Ulhans britanniques, corps d'émigrés. MAUGER signe, en mai 
1795, avec le gouvernement anglais pour lever en Allemagne 
un  régiment de son nom qu'il devait ensuite conduire  aux 
Antilles.  Il  engage  François René DELACOUX comme  capi- 
taine.  Le régiment ne pouvant être formé, les deux beaux-
frères restent au service de l'Angleterre jusqu'en 1801. A 
la paix d'Amiens,  fin 1801,  François René rentre à Paris 
avec  sa soeur et fait reconnaître en 1802 ses droits  sur 
ses propriétés de Saint-Domingue.  Il y avait alors espoir 
d'un  relèvement de la colonie à la suite de  l'expédition 
de reconquête de Bonaparte.  Mais celle-ci est un échec et 
Saint-Domingue  devient indépendante en 1804 sous  le  nom 
d'Haïti. Les colons perdent toutes leurs propriétés.
     A la reprise de la guerre avec l'Angleterre en  1803, 
il  repart avec sa soeur à Londres.  Sa pension de colon - 
50 livres par mois, servie par le gouvernement anglais - a 
été  supprimée lorsqu'il est revenu en France.  Il en  est 
alors  réduit  à enseigner la harpe dans les  familles  de 
l'aristocratie.  Il  ne  reviendra  en France  qu'avec  le 
retour  de Louis XVIII en 1814,  et est  fait  lieutenant-
colonel,  en  août,  avec un traitement de non-activité de 


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