G.H.C. Bulletin 96 : Septembre 1997 Page 2053
Un créole reconverti, le chevalier de LACOUX
2.000 francs par an qui lui sera servi jusqu'en 1828. De
plus, il touchera, de 1816 à sa mort, 600 francs par an
comme ancien colon (8).
Mais il a à sa charge un fils naturel, Sébastien, né
à Londres, d'une anglaise, qu'il ne reconnaîtra qu'en
1831. Pour lui assurer une éducation soignée, il obtient
par relations une pension de 600 francs par an.
Ami de la grand-mère de George SAND, il séjourne
l'été chez elle à Nohant, en Berry, et devient le mentor
de sa petite-fille qui l'apprécie : "M. de LACOUX... est
un homme "precious" à la campagne. Il montre tout, du
matin au soir; il donne des leçons à ta très humble
servante. Il a sa harpe, son excellente harpe, qu'il me
prête sans cesse (...). Il me donne aussi des leçons
d'anglais (...). Ensuite, il me montre tous les boléros
espagnols sur une assez mauvaise guitare que nous avons
trouvée à emprunter" (9). Il resta en relations avec elle
jusqu'en 1835 au moins. On a une lettre d'elle à François
René datant de novembre. Elle l'appelle "mon vieux ami" et
lui écrit : "Il me serait bien doux de causer avec vous du
passé, de ma pauvre grand'mère surtout et des vicissitudes
qu'a subies notre fortune à tous deux depuis ce temps-là.
Véritable artiste, vous avez subi tous les caprices de la
vôtre d'une manière digne d'éloges. Je parle souvent de
vous aux personnes qui vous ont connu ici (Nohant) et je
vante votre fermeté, votre esprit, encore plus que vos
harpes qui sont, pourtant, ce qu'il a de mieux en fait de
harpes" (10).
François René a, en effet, des talents d'inventeur.
Entre 1827 et 1844, il dépose une dizaine de brevets pour
des améliorations et perfectionnements d'instruments de
musique (harpe surtout, guitare, violon, basses), invente
en 1838 - il a 78 ans ! - une suspension et un essieu
nouveaux pour rendre les voitures "inversables", et
jusqu'à un moulin à café. Il se fait alors appeler le
"chevalier" de LACOUX, peut-être parce qu'il avait été
nommé chevalier de Saint-Louis en 1823. Il ne se contente
pas d'inventer, mais s'associe à la luthière Marthe BROWN
(il y avait des BROWN colons à Saint-Domingue et un autre
négociant à Nantes au XVIIIème siècle) pour produire
harpes, violons, guitares et basses, Passage Cendrier
(passage non couvert donnant sur le boulevard des Capu-
cines) où il habite entre 1820 et 1838. Il sollicite, en
1825, d'être admis comme fournisseur d'instruments à
cordes du Conservatoire de musique de Paris. Son directeur
fait répondre qu'il y a déjà un fournisseur attitré (11).
Faisant preuve d'un sens aigu de la publicité, il
profite du second séjour à Paris du virtuose italien du
violon PAGANINI, au faîte de sa gloire en 1832, pour lui
envoyer des exemplaires des violons qu'il fabrique.
Paganini lui adresse, dans un français parfait, une lettre
très élogieuse : "Je suis heureux d'avoir à rendre justice
à un des plus habiles auteurs d'instruments à cordes de
l'époque. Les violons que vous avez bien voulu m'envoyer
ont un son que je ne crains pas de comparer à celui des
anciens violons de Crémone, et il ne manquerait à vos
instruments que le fameux vernis dont on a malheureusement
perdu la tradition, pour s'y méprendre dans la comparaison
avec ceux que je viens de citer" (12). Il dépose la lettre
chez un notaire et la fait imprimer pour la distribuer
comme prospectus publicitaire. Il fait de même avec un
procès-verbal de l'Athénée des Arts, société savante créée
en 1792, qui lui accorde, en 1829, une mention honorable
pour ses harpes, reconnaissant que, comparées aux harpes
des meilleurs facteurs de Paris, ils ont trouvé que "celle
de M. de LACOUX était supérieure ... tant pour le volume,
la beauté et la pureté du son que pour la facilité au jeu
des doigts et des pédales" (13).
Ses activités de luthier lui ont-elles rapporté ?
Impossible de le savoir en l'absence de comptes de
société. Il semble avoir vécu dans une certaine aisance,
habitant toujours des quartiers chics, payant des impôts,
avançant à son fils l'argent nécessaire à l'achat pour
3.000 francs d'une petite maison à Saint-Cloud. Il est
créancier de divers pour 8.350 francs en 1832, mais a
presque autant de dettes d'emprunt. A sa mort, la liqui-
dation de la succession ne laissera que 248 francs.
La harpe subissait alors un désintérêt quasi total.
La guitare subissait le même discrédit.
François René fréquentait le Paris musical et litté-
raire dans le salon de la princesse BAGRATION, femme de
l'ambassadeur de Russie. Il y rencontra probablement
CHATEAUBRIAND, à qui il envoie, à 86 ans, une ode en vers.
CHATEAUBRIAND, qui est aussi à la fin de sa vie, lui
répond le 5 mars 1846 : "Je ne puis, Monsieur, ni
m'occuper, ni écrire. Je finis avec la vie. Il ne me
reste, Monsieur le Chevalier, qu'à vous remercier de vos
vers et de votre lettre, et qu'à vous féliciter de pouvoir
vous occuper encore de quelque chose" (14). François René
connaît aussi le compositeur italien Ferdinand PAER,
directeur du Théâtre italien, de qui il se recommande pour
faire jouer sa harpe.
Dans cette vie parisienne active, de LACOUX n'oublie
pas Saint-Domingue où il avait passé sa jeunesse.
Contraint et forcé d'abord. En 1814, il doit 519.971
francs, dont 222.233 francs d'intérêts pour achat de
nègres et de fournitures pour ses habitations de Saint-
Domingue, avant 1792, par un négociant de Nantes, Jean
Charles GERBIER, son parent (15). Le paiement de ces
dettes bénéficie d'un sursis légal jusqu'en 1819, mais il
n'est pas renouvelé et François René est poursuivi devant
les tribunaux. Il fait imprimer une lettre ouverte "A nos
Seigneurs les Pairs de France" - l'un d'eux, le comte
d'ARJUZON, est un de ses amis - dans laquelle il réclame
une nouvelle loi de sursis et que les débiteurs, n'ayant
aucun bien en France ne soient pas tenus de payer les
intérêts (16). Les archives du Tribunal de la Seine étant
perdues, il est impossible de connaître l'issue des
procès. Mais, lors du paiement de l'indemnité aux colons
de Saint-Domingue en 1830, il ne toucha rien pour sa part
de la sucrerie indivise DESCLOCHES-DELACOUX, sa principale
propriété à Saint-Domingue. Ce sont ses créanciers qui se
partagèrent les sommes. Mais il fut indemnisé, entre 1827
et 1833, pour trois autres plantations, récupérant la part
de sa soeur dans la sucrerie MAUGER. Au total, il devait
toucher 66.684 francs, mais, comme tous les colons,
François René n'en reçut qu'un cinquième en 1827, en
raison de la carence du nouvel Etat d'Haïti. En 1840, les
paiements reprirent, étalés sur trente ans, ce qui repré-
senta une infime rente annuelle pour de LACOUX.
Il s'empressa d'ailleurs, comme beaucoup d'anciens colons,
d'emprunter sur les versements futurs, dès 1827.
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Révision 23/01/2005