G.H.C. Bulletin 94 : Juin 1997 Page 2006
De l'Anse à Veau (St-Domingue) à la Nouvelle-Orléans
Jacques Petit
Une enveloppe portant la mention "Papiers d'Eugène
DESBOIS" trouvée dans des archives LAVECH, contient des
lettres de Jean-Baptiste DESBOIS, père d'Eugène, au baron
DEURBROUCQ, son beau-frère relatant l'exil de sa famille
de 1803 à 1810 de l'Anse à Veau (Saint Domingue) à St Yago
de Cuba puis à la Nouvelle-Orléans.
Jean-Baptiste DESBOIS est le second époux (1795) de
Marie Marguerite TAINTURIER, soeur de Marie Anne Françoise
TAINTURIER épouse en troisièmes noces (1794) de Pierre
Jean baron DEURBROUCQ ( voir GHC page 1272; n° 68; février
1995).
Voici donc quelques extraits de ces lettres dégagées des
propos de peu d'intérêt ou exclusivement familiaux :
Lettre du 23 août 1803, de St Yago de Cuba.
"Les malheurs de Saint Domingue empirant de jour en jour,
on a été obligé d'évacuer plusieurs places de la colonie
que les malheureux habitants défendaient encore malgré les
horreurs de la guerre. Saint-Marc, Léogane, Jérémie sont
du nombre des dernières places évacuées. Il ne reste plus
que le Cap, le Môle, les Cayes et Port au Prince dont le
siège est fait par les insurgés sous la protection des
anglais. Ils ont fait un traité avec les mulâtres et les
nègres. Ils leur fournissent tout ce dont ils ont besoin
en fait de munitions de bouche et de guerre. Ils favo-
risent l'assassin que les brigands font subir journel-
lement à des malheureux colons qui n'ont pu s'échapper
lors de leur invasion. Après avoir été chassé de l'Anse à
Veau... je m'étais établi au Port au Prince... la décla-
ration de guerre survenue avait mis le Port au Prince dans
une telle disette que le pain valait une gourde la livre
et qu'il fallait être protégé pour en avoir. Le régime de
bananes se vendait six gourdes, un sac de patates une
portugaise. Cette disette nous a forcés de nous retirer à
Cuba, et nous avons été assez malheureux pour être pris
par les anglais à deux lieues du port. Après nous avoir
vidé notre argent, argenterie et effets ils ont eu
l'inhumanité de nous faire transporter à vingt lieues plus
loin et là ils nous ont débarqué sur la côte, sans eau ni
vivres. Les femmes et les enfants n'ont pas été pour eux
un motif pour les amener à la compassion. Votre malheu-
reuse belle-soeur a été obligée de faire cette route à
pied dans les bois, sans chemin pratique. J'ai été moins
malheureux qu'elle dans le voyage quoique chargé de mon
enfant par lequel j'ai plus de force... II y a en ce
moment à Cuba quinze mille familles françaises réfugiées."
Vers mai ou juin 1803,à Port au Prince, le jeune
Eugène DESBOIS a été mis à bord du brick "L'Heureux" de
Bordeaux, capitaine ST JULIEN, vers la France. Ce bâtiment
est pris par le "General Small" corsaire de Guernesey
capitaine LONGUERS. Eugène DESBOIS finit par arriver à
Jarzé (Maine et Loire) chez le baron DEURBROUCQ qui ne
l'attend pas, ignorant même le second mariage de sa belle-
soeur. Eugène DESBOIS sera élevé avec les enfants de Louis
Bertrand Léger LAVECH et de son épouse Marie Anne LOZES,
deviendra notaire et maire de Jarzé.
Lettre du 31 mai 1810, de la Nouvelle-Orléans.
"Chassés de Saint Domingue, chassés de St Yague par un de
ces traits de perfidie qui ne peut appartenir qu'à des
espagnols, nous avons eu le bonheur d'aborder la terre
hospitalière de la Nouvelle-Orléans, où nous avons été en
apparence accueillis, par ce que notre position en
imposait la nécessité et dont peut-être on nous eût refusé
l'entrée si l'humanité n'eusse pas prévenu une pareille
mesure; les cinq sixièmes d'une population de quatorze à
quinze mille âmes, sans ressource, sans moyen sont les
nouveaux habitants qui ont augmenté la population de ce
pays meurtrier, où tout l'art de la médecine échoue. et où
depuis environ un an que nous habitons ce pays malsain, il
est mort le quart des réfugiés, les uns de misère, les
autres de chagrin, et le reste de maladie faute de soin et
de moyens de se faire soigner. Dieu seul sait combien les
chaleurs vont encore moissonner de malheureux.
Les français néanmoins que nous avons trouvés dans ce
pays, et qui en font la plus grande population, ont établi
un bureau de bienfaisance, mais les abus qui se sont
glissés dans la répartition des fonds l'ont fait tomber.
Pour vivre dans ce pays qui n'offre que de très faibles
ressources à l'industrie, vu les circonstances il est
vrai, se procurent leur existence par l'exercice de
talents, les uns la musique, les autres le dessin, la
peinture, les autres l'éducation, je suis du nombre de ces
derniers. Et nous disons journellement, "quo usque abutere
patientia nostra Catilina."
Lettre du 24 mars 1811, de la Nouvelle-Orléans.
A cette lettre sans intérêt ici, est jointe une
procuration devant maître Narcisse BOUTIN, "notaire public
pour la ville et la paroisse d'Orléans", datée du premier
avril 1811, rédigée en français mais frappée d'un sceau à
l'aigle américain.
Lettre du 12 juillet 1811, de la Nouvelle-Orléans.
"...La Nouvelle-Orléans, qui est un pays sans ressource où
il n'y a plus de commerce; la culture sans activité,
beaucoup de misère et, par-dessus tout, un climat
destructeur...
La jaunisse y est très nombreuse, le plaisir et la
débauche sont la seule éducation des créoles de ce pays,
point d'études suivies, point d'émulation; quelques uns
sont placés dans des maisons de commerce pour la nourri-
ture seulement...
Je viens d'embrasser la carrière du barreau, où j'ai été
assez heureux d'être admis, et comme vous le savez plus
les affaires sont mauvaises, et plus il y a à gagner..."
Lettre de 1815, sans doute de la Nouvelle-Orléans
"...et vous faire part de la manière miraculeuse avec
laquelle les louisianais ont obtenu des succès extraordi-
naires avec de faibles moyens, sur une armée de ligne,
plus forte en nombre des deux tiers..."
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