G.H.C. Bulletin 94 : Juin 1997 Page 1990
Le capitaine Tomás de CARDONA
dans les Petites Antilles en 1613-1614
présenté par Jean-Pierre Moreau
Après avoir signé un "asiento" (1) avec le roi pour aller
découvrir de nouveaux bancs d'huîtres perlières et avoir
préparé six navires à cet effet, le capitaine Tomás de
Cardona s'apprête à quitter l'Espagne.
Au mois de juillet 1613, ils partirent de conserve avec la
flotte qui allait cette année là à la Nouvelle-Espagne (2),
sous le commandement du général don Antonio de OQUENDO, et
ils furent pris en charge par le capitaine Francisco
BASILIJ, pilote expérimenté de toutes les Indes (3), qui
les connaissait à fond, afin de parcourir toutes les îles
et côtes des Indes qui se trouvent dans cette partie de la
mer du Nord (4), en commençant par celles de Barlovento
(5), et de découvrir tous les bancs d'huîtres perlières
qu'ils pourraient trouver, comme il le fit, parcourant
tous ces parages et îles de Barlovento et ils mouillèrent
dans nombre d'entre elles, comme la Guadeloupe, la
Dominique, Matalino (6), Saint-Christophe, Sainte-Lucie,
Saint-Vincent et la Grenade et d'autres qui se trouvent
dans ces parages, pour faire de l'eau, du bois de
chauffage et prendre langue à propos des bancs d'huîtres
perlières (parce qu'on était presque à la même hauteur que
l'île Margarita (7), et qu'on avait ouï dire qu'il y en
avait).
Là les Indiens sortirent sur plusieurs pirogues et canoës
pour leur lancer des flèches et les attaquer, de sorte
qu'ils furent obligés de se mettre sur la défensive. Et
comme le capitaine Francisco BASILIJ voulait être en bons
termes avec eux, il fit hisser le pavillon de paix, leur
parla et les traita avec prévenance et, grâce à sa sagesse
et son air aimable, il les ramena à la raison et les
calma. Tout cela afin de rechercher, de s'informer et de
connaître intrinsèquement la disposition de leur terre et
les fruits qu'elle produisait et comment ils vivaient; il
se trouva qu'ils étaient tous des Caraïbes et qu'ils
vivaient de piraterie, en attaquant les navires des
Espagnols qui d'habitude arrivent en grand besoin à ces
îles pour se ravitailler en eau, et très souvent ils
s'emparent des chaloupes qui vont à terre pour en
chercher, ils les capturent (les Espagnols), et les tuent
et les mangent (8); et s'il arrive que ce soit quelque
navire négrier qui vienne de Guinée, lesquels sont en
général peu armés, ils les épient et s'en assurent et, la
nuit, ils coupent leurs amarres et les mènent à la côte,
tuant les Blancs qui sont dans ces navires et capturant
les Nègres pour les utiliser aux travaux de leurs champs
(9).
Et, apprenant qu'il y avait dans les îles en question
quelques femmes et enfants espagnols, captifs depuis
plusieurs années, Francisco BASILIJ, pour servir Dieu et
Votre Majesté, fit de très grandes et extraordinaires
recherches mais il ne trouva que quelques nègres et
négresses et il les racheta et reprit aux dits Indiens, au
nombre de 28 pièces (10), en les échangeant contre ce
qu'il apportait, tel que vêtements, vin, perles, bonnets,
chaussures, hameçons et en outre des provisions qui par la
suite ont bien manqué à l'équipage; et il dut les acheter
à des prix excessifs et il emmena ces nègres à Margarita,
parce que c'était l'île la plus proche et peuplée
d'Espagnols, pour les déclarer au Gouverneur et aux
officiers royaux de Votre Majesté; on lui fit payer entiè-
rement les droits de Castille et du Portugal, qui se
montèrent à 18.093 reales (11), sans tenir compte de ce
qu'étaient ces esclaves et du service rendu à Votre
Majesté pour les avoir retirés de la captivité des
Caraïbes : ces nègres ne valaient pas si cher car ils
étaient vieux et quelques-uns estropiés et manchots à
cause des tiques (12) qui sévissent sur ces terres, et
d'autres sans nez ni oreilles à cause des mauvais
traitements reçus des Indiens. Et, sous prétexte que ce
sont des droits fixes, ceux qu'on paye d'habitude pour les
nègres enregistrés qui arrivent ici en bonne santé, les
dits officiers royaux n'ont pas voulu les diminuer, ce qui
leur causa un grand dommage car ils n'en retirèrent (en
les vendant) que tout juste ce qu'on leur fit payer comme
droits et c'est ainsi que fut perdu tout ce qu'ils avaient
coûté, en plus de ce qu'on avait dépensé pour les retirer
(des Indiens) étant donné les nombreux jours passés à cela
et qui représentaient beaucoup d'argent.
Mais on considéra que c'était bien car c'était pour le
service de Dieu et de Votre Majesté qu'on avait sorti ces
âmes d'une captivité aussi dangereuse et qu'on les avait
délivrés de ces Indiens Caraïbes qui causent beaucoup de
préjudices à toutes les îles circonvoisines peuplées
d'Espagnols : en effet, d'ordinaire, ils leur font subir
de très grands dommages, courant les côtes avec leurs
pirogues et tuant ou capturant leurs habitants, comme ils
l'ont fait à Puerto Rico, Guadianilla (13) et autres
lieux. Et c'est chez eux que se retirent les navires des
Anglais et des Hollandais qui viennent voler dans ces
parages; ils y carènent, s'y ravitaillent selon leurs
besoins et troquent tabac, bois du Brésil, ébène, cané-
ficier et d'autres choses qu'ils vont chercher pour les
porter dans leur pays, comme Votre Majesté a dû
l'apprendre déjà par les avis des Gouverneurs et officiers
royaux de ces côtes.
Et si Votre Majesté voulait bien donner l'ordre qu'on leur
fasse une remise équitable sur les droits des nègres, en
se contentant seulement du cinquième payé en espèces,
comme sur quelque chose de perdu depuis tant d'années (et
ils ont souffert quand ils étaient aux mains des
Caraïbes), puisque certains étaient en captivité depuis 10
ou 20 ou 30 ans et que d'autres sont nés en captivité,
d'après ce qu'on a appris des dits nègres, ce qui a été
confirmé par des Espagnols des alentours, ceux de cette
compagnie s'enhardiraient à s'aventurer pour les récupérer
à leurs frais et les amener en terre chrétienne et cela se
ferait pour le plus grand service de Dieu et de Votre
Majesté.
En outre, en les récupérant, on les obligerait à aider
(les Espagnols) dans leurs travaux, car on juge qu'il y en
a un grand nombre (de captifs) dans toutes les îles, et
cela réduirait en partie la population et les forces
qu'ils (les Indiens) ont grâce à ces nègres. Et de même,
en chemin, ils récupéreront quelques Indiens chrétiens
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