G.H.C. Bulletin 92 : Avril 1997 Page 1932
Les défenseurs de la Martinique lors de l'attaque de Ruyter
Néanmoins, comme les Français ignoraient la perte des
Hollandais, plusieurs habitants proposaient au sieur de
Sainte Marthe de capituler avec eux. Ils lui repré-
sentaient que la résistance qu'on avait faite les avait
fatigués, que les ennemis, nonobstant leur perte,
s'étaient retirés en si grand nombre qu'ils pouvaient
encore accabler leurs petites forces quand ils l'entre-
prendraient, que d'ailleurs on avait consumé la plupart
des munitions, qu'il n'était venu aucun secours, ni de la
compagnie de la Case Pilote, ni de celle du Cul de sac
Marin, commandée par le sieur de la Paire, et qu'ainsi il
n'y avait aucune apparence de pouvoir soutenir plus
longtemps. Le sieur de Sainte Marthe répondit à ces propo-
sitions, avec beaucoup de vigueur, et n'oublia aucune
raison pour obliger ces habitants à continuer de signaler
le grand courage dont ils venaient de donner de si belles
et de si glorieuses marques. Il fut bravement secondé en
cette occasion par le sieur de Gémozat, qui fut d'avis
qu'en quelque état que fussent les choses, il n'y avait
point de parti à prendre que celui de périr l'épée dans la
main pour le salut des îles, ou de se retirer sans bruit
pour ne pas découvrir aux ennemis la faiblesse dans
laquelle on se trouvait, ni leur donner l'avantage de
faire prisonniers un nombre de braves gens qui pouvaient
rendre service à l'île, et s'aller joindre au sieur de
Baas pour la défense du Fort Saint Pierre.
Tandis que le sieur de Sainte Marthe et le sieur de
Gémozat rassuraient ainsi les habitants, le sieur de
Herpinière avait envoyé demander du secours au sieur de
Baas; et lui-même était allé prier le sieur d'Amblimont de
faire encore approcher son navire de la terre, tant pour
mieux battre le camp des ennemis qu'afin d'en tirer deux
petits canons et de les loger sur la hauteur au-dessus de
la palissade, d'où l'on pouvait aussi faire feu sur le
même camp. Le sieur d'Amblimont fit approcher son
vaisseau car il le demandait et au lieu des deux canons,
il fit mettre à terre six pierriers qui furent conduits au
Fort par le sieur de la Chaussié, lieutenant du dit sieur
d'Amblimont. Comme on le préparait ainsi à une nouvelle
défense, on vit les ennemis qui marchaient droit à la
palissade, et les plus courageux des nôtres, sans attendre
aucun ordre, y coururent et essuyèrent généreusement trois
ou quatre décharges d'un premier bataillon. Un second
bataillon prenant la place du premier fit aussi les
siennes et les nôtres y répondirent intrépidement par la
leur. Nos navires continuèrent de battre les ennemis avec
leur artillerie et un merveilleux succès, et tous nos
coups étaient plus adroitement tirés que ceux des
Hollandais. Ils ne continuèrent pas si longtemps ni si
vigoureusement cette dernière attaque que la première. Ils
se retirèrent incontinent sans avoir beaucoup incommodé
les nôtres. Le sieur de Herpinière y reçut à la tête un
coup de mousquet et un éclat à la joue. Ce coup à la tête
lui emporta son chapeau et sa perruque, lui fit une
contusion qui parut d'abord très dangereuse et l'obligea
de se retirer à bord du sieur d'Amblimont. Deux officiers
des ennemis étant soutenus par sept ou huit soldats
s'avancèrent avec la dernière hardiesse jusqu'à vingt pas
de la palissade en résolution de planter sur le bord du
fossé un drapeau que l'un d'eux portait, mais ils furent
tués sans avoir exécuté leur dessein.
La nuit étant survenue, fit cesser une suite de belles
actions qui se seraient encore faites entre les deux
parties, et les habitants, n'ayant pas encore reçu le
secours du sieur de Baas et voyant leurs munitions encore
diminuées, ne purent s'empêcher de réitérer leurs
premières propositions de capituler, pour éviter les
fâcheuses extrémités que pouvaient, disaient-ils, produire
un plus long délai. Mais les chefs dissipèrent derechef
leur crainte et relevèrent leur courage par des fortes
considérations de leur gloire, et par les louanges qu'ils
leur donnèrent de ce qu'ils avaient fait. Cependant, le
sieur de Baas, qui ne manquait pas de donner ses soins
pour leur secours, avait dès le matin de ce jour là
expédié une barque vers les Gouverneurs de la Guadeloupe
et de Saint Christophe, et donné ses ordres pour faire
entrer dans le Fort Royal la compagnie de la Case Pilote
et celle du sieur du Gas qui étaient ensemble de 150
hommes. Ensuite il monta à cheval sur les 11 heures du
matin et partit du bourg Saint Pierre nonobstant la
faiblesse pour venir se jeter dans le dit Fort Royal,
étant accompagné de ses Gardes, de quelques officiers et
de plusieurs cavaliers de la compagnie du sieur de Saint
Pierre, qu'il avait fait commander. Il arriva à la Case
Pilote sur la fin du jour et presque aussitôt le sieur de
Lespérance envoyé par le sieur de Herpinière le vint
informer de tout ce qui s'était passé entre les Français
et les Ennemis. Il ajouta qu'il avait rencontré à environ
une lieue du Fort le sieur de Bègue avec la compagnie de
la Case Pilote, qui marchait de ce côté là pour y entrer.
En même temps, ledit sieur de Baas ordonna au sieur du
Gas, capitaine, de marcher aussi dès la pointe du jour,
droit au Fort Royal, avec la compagnie de 70 hommes et
ledit sieur de Lespérance, leur promettant cent pistoles
de son argent et de leur procurer d'autres récompenses
s'ils rendaient ce service au Roi. Ledit sieur de Baas se
trouva tellement fatigué et si faible pour achever à pied
le chemin qu'il avait encore à faire, à quoi il était
obligé, par la difficulté des routes, qu'il se vit
contraint de se retirer au bourg Saint Pierre pour en
envoyer encore d'autres troupes au Fort Royal. Cependant
le sieur de Bègue y arriva avec sa compagnie. Mais le
Gouverneur forcé par les habitants et la plupart des
officiers, sur l'avis que les Hollandais avaient fait
descendre du canon, avait résolu d'en sortir, ne se
croyant pas en état de soutenir davantage. Et en effet, il
sortit avec son monde ayant donné ses ordres aux capi-
taines des Navires marchands de les brûler pour empêcher
les ennemis de s'en prévaloir.
Ce gouverneur attendait le sieur d'Amblimont et son
équipage, à la pointe qui est vis-à-vis du Fort, de
l'autre côté du carénage. Toutefois celui-ci ne jugea pas
à propos de presser si fort sa retraite, ni de mettre le
feu à son vaisseau, avant que d'y être contraint par les
ennemis même. Mais ceux-ci bien loin de penser à se mettre
en devoir de les réduire à cette extrémité ne songeaient
plus qu'à quitter leur entreprise et à se retirer, déses-
pérant du succés et craignant la ruine entière de leur
armée. Ledit sieur d'Amblimont ayant le 21 envoyé à terre
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Révision 20/01/2005