G.H.C. Bulletin 92 : Avril 1997 Page 1930
Les défenseurs de la Martinique lors de l'attaque de Ruyter
Le bruit des premiers coups de canon les fit fuir dans les
bois, d'où ils ne retournèrent plus. Après cela Sainte
Marthe fit retirer ce peu de soldats dans le Fort, ferma
la porte de la palissade et borda cette palissade de ce
qu'il avait de monde et de ce qu'il en avait reçu de nos
navires. Ceux des Hollandais qu'on sut être au nombre de
quarante-cinq voiles, mouillèrent près de la rivière du
Vasseur, tirèrent quantité de coups de canon sur l'Anse,
dans les broussailles et en tous les autres endroits où
ils jugèrent que nous avions posé des soldats pour
s'opposer à la défense. Ils détachèrent sur les 11 heures
du matin toutes les chaloupes chargées de troupes et
traversèrent l'Anse du Vasseur, pour aller faire le
débarquement au bout de la dite anse sous le Fort. Ils
choisirent cet endroit dans la croyance qu'ils y seraient
à couvert de notre mousqueterie, à cause que le terrain y
est fort escarpé, à six pas du rivage de la mer.
Néanmoins, ils reconnurent qu'ils s'étaient trompés car on
leur tua beaucoup d'hommes à cette défense, quelques uns
des nôtres s'étant postés en haut, au-dessus de la
palissade, d'où il leur était aisé de faire feu sur les
ennemis. Ils n'eurent pas plutôt achevé de mettre à terre
ce qu'ils avaient de soldats, à ce premier voyage de leur
chaloupe, qu'ils s'avancèrent vers nos gens, et comme ils
étaient réduits à passer à côté de la palissade, à portée
du pistolet, ils s'opiniâtrèrent à faire un feu continuel
en cet endroit, pendant près de deux heures. Le nombre des
leurs y fut beaucoup éclairci, par la tuerie qui s'en fit.
Mais cette perte était incontinent réparée par les
nouvelles troupes que leurs chaloupes avaient le loisir
d'amener de leurs vaisseaux durant l'attaque.
Quelques assaillants voulurent au commencement de
l'attaque entrer dans le Fort, près de l'endroit de leur
débarquement; mais ils ne le pouvaient qu'en grimpant par
le moyen de quelques arbrisseaux qui se trouvaient en ce
même lieu extraordinairement escarpé. D'ailleurs, un
ancien habitant de l'île, le sieur d'Orange, homme de
coeur mais qui était empêché de se servir du mousquet par
les blessures qu'il avait reçues en plusieurs occasions,
observait, du haut du Fort, les mouvements autant des
Hollandais qui étaient dans leurs navires mouillés que des
autres qui étaient dans leurs chaloupes par lesquelles ils
faisaient leurs descentes; et en avertissait facilement
les Français de sorte qu'ils rompaient en même temps
toutes mesures. On détacha de la palissade des soldats qui
montèrent en haut, dont les premiers furent conduits par
le sieur de Valmeynière, et relevés par le sieur de
Martignac, enseigne du sieur d'Amblimont qui commandait
les soldats. Celui-ci n'ayant pas moins d'adresse que de
courage ne tira pas un coup qu'il ne tua deux hommes des
ennemis de manière qu'il en tua plus de trente. Ils
perdirent là un de leurs drapeaux, celui qui le portait
ayant été tué lui aussi alors qu'il montait.
La plus grande chaleur de l'attaque parut au côté de
la palissade où le sieur de Sainte Marthe agit avec toute
la prudence et toute la valeur possibles, animant toutes
les nôtres par son exemple à se signaler en cette
occasion. Les sieurs de Herpinière, de Gémozat, Cornette,
Ganteaume et plusieurs autres s'y acquittèrent aussi de
leur devoir en gens de coeur et de conduite. Le premier y
fut blessé d'un éclat au-dessous de l'oeil et le dernier y
fut admiré pour sa bravoure, son adresse, sa promptitude
dans l'exécution. Un des matelots y fut tué en se battant
avec une fermeté singulière. Le sieur d'Orange, du haut du
Fort, les empêcha de monter par cet endroit, se défendant
à coups de pierres dont plusieurs furent écrasés ainsi que
quantité d'autres tués à coups de fusil. Et il reçut un
coup de mousquet à travers le corps dont il mourut sur-
le-champ. Ainsi, ce brave qui avait autrefois été couvert
de blessures par la conquête et en la défense de toutes
les îles, termina glorieusement sa vie encore pour leur
conservation en l'âge de plus de 60 ans, étant sensi-
blement regretté de tous les habitants qui ne l'aimaient
pas moins pour l'hospitalité qu'il pratiquait envers eux
et envers les étrangers, que pour les services considé-
rables qu'il avait rendus.
Trois frégates détachées du gros de l'armée hollan-
daise se présent
rent à l'entrée du port; mais elles
furent averties par les mâts des deux vaisseaux coulés à
fond, qui paraissaient au-dessus de l'eau, que le passage
en était fermé. D'autre part, nos navires leur montrant
leurs côtés bien garnis ne leur laissaient rien espérer de
favorable, non plus que treize pièces de canons en
batterie à fleur d'eau, près du chenal; mais elles furent
entièrement désabusées par notre batterie de la pointe qui
abattit du premier coup de canon le Perroquet de fougue de
l'une d'elles, et leur fit voir qu'il leur serait plus
avantageux de se retirer que de s'opiniâtrer dans leur
dessein. Les ennemis voyant donc qu'ils ne pouvaient rien
gagner en cette attaque, quoiqu'ils eussent été renforcés
par la défense de tout ce qu'ils purent mettre de troupes
à terre, qui allait jusqu'au nombre de cinq mille hommes,
ils les firent filer le long des roseaux qui étaient
auprès de l'Anse, et s'allèrent ranger en bataille
derrière cinq ou six magasins, à la portée du mousquet de
la palissade, à laquelle ils faisaient face du côté du
port. Alors les attaques et les défenses cessèrent à terre
de toutes parts. Mais nos navires mouillés dans le Port et
surtout celui du Roi, commandé par le sieur d'Amblimont,
et le Saint-Eustache de Saint-Malo, commandé par le sieur
de Beaujeu, qui découvraient pleinement l'esplanade par
laquelle on pouvait aller à la palissade, qui avaient mis
côtés en travers pour la raser avec leurs batteries, et
qui avaient incessamment tiré sur les Hollandais, dès
qu'ils parurent au devant de la dite palissade, conti-
nuèrent de faire sur eux un si grand feu, que ce fut
principalement ce qui les contraignit de se retirer. Ils
adressaient si juste qu'ils renversaient jusqu'à douze et
quatorze des ennemis d'un seul coup comme on le sut des
blessés et de quelques autres qui se retirèrent auprès des
Français. Ayant été forcés de quitter cet abri, ils
allèrent travailler à des lignes de circonvallation et de
contrevallation, qu'ils commencèrent à la portée du
mousquet et à la faveur d'un arbre extraordinairement
gros, qui était vis-à-vis de nos vaisseaux. Les Français
avaient alors de très grands avantages sur leurs ennemis,
n'ayant encore perdu que trois hommes, au lieu que ceux-ci
en avaient plus de mille hors de combat et parmi ce nombre
plus de quatre cents tués desquels étaient leurs
principaux officiers.
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