G.H.C. Bulletin 92 : Avril 1997 Page 1929
Les défenseurs de la Martinique lors de l'attaque de Ruyter
La Retraite honteuse du Lieutenant Amiral RUYTER
de l'île de la Martinique
Avec la perte de plus de 1500 hollandais et ce qui
s'est passé de plus remarquable en cette expédition, entre
eux et nos français.
Vous en avez appris quelque chose ailleurs, mais en
voici le détail entier: et il contient tant de particula-
rités si belles et si avantageuses à nos français, que ce
serait trahir leur courage et leur gloire de ne prendre
pas le soin de les conserver à la postérité.
Le 19 Juillet dernier, 14 voiles de l'armée des
Hollandais parurent vers les Anses d'Arlet: et le sieur de
Grancourt, lieutenant du sieur de Baas, vice-roi des îles
de l'Amérique, lui en envoya donner avis. Il en reçut
plusieurs autres qui le confirmèrent et qui ajoutaient
qu'on avait compté jusqu'à 38 navires des Hollandais.
Aussitôt, il fit partir le sieur de Herpinière, son neveu,
et le sieur de Gémozat, pour se jeter dans la forteresse
du cul de sac Royal qui est à l'embouchure de l'île de la
Martinique, et pour y faire entrer les compagnies de
milices plus voisines, lesquelles étaient celles du
quartier du Fort Royal et de celui de la Case-Pilote. Il
ne fut pas difficile de se préparer à la défense, d'autant
que le dit sieur de Baas avait, de longuemain, donné des
ordres qu'elles devaient observer en cas que l'on fut
attaqué, et qu'il les avait même réitérés depuis peu, sur
un avis qu'il avait eu de la Cour, que les Hollandais se
préparaient à ce voyage et à cette attaque de nos îles.
A leur arrivée, toutes les compagnies se mirent sous
les armes et celles de la Cabesterre furent averties de se
rendre incessamment au Fort Saint Pierre avec les sieurs de
Verdpré et de Saint Aubin, leurs capitaines. Ledit sieur
de Baas, après avoir disposé toutes choses, résolut de
monter à cheval, pour aller lui-même se jeter dans le
Fort du cul de sac Royal, où il crut que les ennemis
feraient leur descente, et leur attaque; mais il en fut
empêché par une extrême faiblesse qui lui restait d'une
grande maladie, de laquelle il n'était relevé que depuis
deux jours. Ainsi il y envoya le sieur de Sainte Marthe,
gouverneur de la Martinique, dont il connaissait le
courage et la conduite. Il s'embarqua diligemment sur un
petit canot pour s'y rendre. Les sieurs de Herpinière et
de Gémozat, et quelques cavaliers qu'ils avaient amassés
quittèrent leurs chevaux et prirent aussi un canot à Case-
Pilote, et se rendirent pareillement au dit Fort Royal.
Le sieur de Bègue, capitaine de la compagnie de Case-
Pilote demeura en un poste qui lui fut ordonné pour
observer les ennemis et en informer le sieur de Baas; et
s'y jeter ensuite dans le même fort, lorsque leurs navires
voudraient entrer.
Le sieur de Sainte Marthe, avant de descendre à terre
au Fort Royal, alla conférer avec le sieur d'Amblimont,
capitaine d'un des vaisseaux du Roi appelé "Les Jeux" et
s'étant rendu au dit fort, il tint conseil avec les
sieurs de Herpinière et de Gémozat, et avec les principaux
officiers de la milice de l'île de la Martinique, qui se
trouvèrent auprès de lui. Ensuite, on le prépara sans
perdre aucun temps, à la défense de cette forteresse, à la
conservation ou à la perte de laquelle, était attachée
celle du reste de l'île. Vous en jugerez ainsi, sachant
que ce poste dont la situation est très avantageuse,
commande toutes les avenues du port; et que ce port même
est presque inaccessible par les cayes qui l'environnent,
n'y ayant qu'un petit chenal très étroit où les navires
puissent passer. Il y avait une batterie d'environ quatre
pièces de canon à la pointe du Fort de laquelle les
vaisseaux étaient obligés d'approcher pour entrer dans le
port. Il y en avait une autre de treize pièces qui battait
à fleur d'eau, entre cette pointe et le bassin où les
navires se mettent à couvert; et le chenal par où l'on
entre dans le bassin n'était qu'à vingt pas de cette
batterie. Il y avait aussi une espèce de chaîne que le
sieur de Baas avait fait préparer dès le commencement de
l'année, avec de grands mâts de vaisseaux et de grosses
ancres qui fermaient l'entrée du port, en sorte qu'il ne
restait que le passage d'un navire. De cette façon, il ne
fallait pas la boucher entièrement, qu'y couler à fond un
ou deux vaisseaux; et par ce moyen, tous ceux qui auraient
été dans le port pouvaient être en sûreté contre toutes
les insultes des ennemis. Cet expédient fut résolu et la
chose heureusement exécutive, dans le peu de temps qu'on
eut pour cela tellement que nos navires qui étaient dans
le port y demeurèrent non seulement en une pleine sûreté
contre ceux des Hollandais mais ils se trouvèrent en état
de battre aisément ceux qui auraient voulu les approcher.
Il ne restait plus qu'à se précautionner pour la
défense du terrain; mais il s'y trouvait peu de monde. Il
n'y avait que le sieur de Valmeynière, capitaine de la
première compagnie de cavalerie, le sieur de Grancour, son
lieutenant, avec quelques cavaliers de la compagnie et le
sieur Cornette, lieutenant de la compagnie du quartier du
Fort Royal, avec environ quarante hommes aussi qu'il
commandait. Le sieur d'Amblimont y envoya de son bord le
sieur de Martignac, son Enseigne, avec un sergent et dix
ou douze soldats. Les sieurs Ganteaume et Jouve, capi-
taines des deux vaisseaux de Provence, s'y rendirent
pareillement, avec la plus grande partie de leurs équi-
pages. Mais tout ce monde ne faisait pas plus de six-vingt
hommes, et le sieur de Sainte Marthe ne les avait pas
encore entièrement reçus lorsque les navires ennemis se
trouvèrent près de mouiller à l'Anse du Vasseur, ce qui
fut le 20, sur les 9 heures du matin.
Il fit sortir du Fort quarante ou cinquante soldats
qu'il y avait en tout; et les fit passer de manière sur
cette anse, à la vue des ennemis, qu'ils leur parurent en
beaucoup plus grand nombre. Car sortant desbroussailles,
comme s'ils eussent filé pour passer plus avant, ils
retournaient à couvert des mêmes broussailles pour sortir
derechef par le même endroit. Encore de ces cinquante
hommes, il s'en retira vingt-cinq de la compagnie des
milices du quartier du cul de sac, avec un habitant de la
Martinique qui en avait demandé le commandement.
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Révision 20/01/2005