G.H.C. Bulletin 91 : Mars 1997 Page 1905
MELVIL-BLONCOURT le communard marie-galantais ?
Cela laisse entendre, également, que la vie de Melvil
Bloncourt, comme des autres proscrits n'étaient pas rose.
L'on trouve cet écho chez Maxime Villaume : "Genève,
Février 1873. Je suis revenu à Genève, après mon expulsion
de Lausanne. La misère. Une quarantaine de francs par mois
d'articles au supplément du dimanche de la Gazette de
Lausanne. L'avenir n'est pas couleur de rose."
Nous trouvons cette même plainte en forme de supplique
écrite par un ami, Elisée Reclus, de Vevey 14 janvier
1877, près de Louis Blanc pour :
1°) "Un de mes amis et camarades de prison, Isidore
Dolmont...
2°) Melvil-Bloncourt qui est un de mes anciens amis, n'est
pas très heureux depuis qu'on lui a fait l'honneur de le
condamner à mort. Les leçons ne viennent pas en abondance
et il est souvent malade. Ne croyez-vous pas que ses
travaux précédents lui permettraient mieux qu'à personne
d'écrire de temps en temps des correspondances sur le
Mexique, Cuba et le Brésil ?"
Néanmoins, en dépit de toutes les vicissitudes édito-
riales et de l'existence, son "monument de Palenque" ou
sa "cathédrale de Cologne", autre épithète qu'il affectait
à son oeuvre, paraîtra sous le pseudonyme de Raoul
d'Argental. Pourquoi ce dernier ? Melvil-Bloncourt l'avait
choisi, car "le meilleur et le plus constant ami de
Voltaire, né en 1700, mort en 1788, il devint le déposi-
taire de ses peines et de ses plus secrètes pensées."
"L'Histoire complète de la vie de Voltaire" est ainsi
dédicacée : "A mon ami G. citoyen de l'Ile de Cuba. Raoul
d'Argental."
Qui est ce G ? Le professeur Oriol en donne la clé :
"Melvil-Bloncourt désespérait de trouver un éditeur
lorsqu'un riche créole de Cuba, Pedro García fit les
avances des frais d'impression de l'Histoire de Voltaire."
La firme Sandoz ayant demandé à l'auteur de lui
confier tous ses manuscrits, décidait ensuite d'imprimer à
ses frais toute l'oeuvre. Melvil-Bloncourt fait merveille
dans son "entreprise titanesque" comme il a qualifié son
travail : surtout pour éclairer par ses annotations le
lecteur non averti; à cet égard, redressant les erreurs ou
omissions de ses prédécesseurs. Il a tout lu, sait tout
sur Voltaire.
On peut dire que ses dix-huit mois de labeur ont donné
naissance à une somme extraordinaire de précision et
d'objectivité envers son modèle. Il justifie sa méthode
dans une lettre à Nadar du 31 Janvier 1878 : "Les autres
biographes sont ou des panégyristes outrés ou des détrac-
teurs de parti pris. Je donne toutes les pièces, c'est à
dire le dossier, et je laisse le public, c'est à dire la
postérité -car elle a commencé par Voltaire- examiner et
juger."
Si nous n'avons pu consulter les réactions de la
presse helvétique à propos des ouvrages de Melvil-
dû en dire, en nous reportant à un compte-rendu du journal
"Le Rappel" du 25 octobre 1878, pieusement recueilli par
la Préfecture de Police...
"Ces divers volumes sont un véritable ouvrage de béné-
dictin, dû aux recherches à la fois sagaces et patientes
de M. Melvil-Bloncourt...
Ce que ces cinq volumes représentent de travail et
d'érudition est énorme, et cette publication ne peut que
populariser la connaissance de cet homme admirable... Avec
les volumes que nous sommes heureux de signaler, on
connaîtra sans peine et sans fatigue l'écrivain le plus
étonnant peut-être de la France du passé... Nul n'était
mieux préparé que M. Melvil-Bloncourt pour un semblable
travail, car nul ne sait mieux son Voltaire sur le bout du
doigt."
Melvil-Bloncourt durant sa proscription ne fut pas
seulement l'homme du cabinet que l'on pourrait croire. Sa
générosité, également, était toujours en éveil, si nous
osons dire. Il se faisait l'intercesseur d'exilés plus mal
lotis encore que lui ou qui avaient le mal du pays. Ainsi,
le 15 mai 1879, écrivait-il à Nadar d'intervenir en faveur
d'un ouvrier horloger, Rebeyrolles : "Cet honnête homme a
le plus vif désir de retourner en France, car il mange ici
le peu qui lui reste, tout en travaillant comme un
mercenaire... Toi qui as sauvé Bergerat lui-même, tu
parviendras à sauver, c'est-à-dire à faire amnistier
Rebeyrolles."
Projets inachevés
Délivré, disait-il avec humour, de sa "boutique
voltairienne", Melvil-Bloncourt, toujours soucieux de la
recherche de la Vérité comme son illustre modèle,
Voltaire, commença vers septembre ou octobre 1878, à
travailler sur une Histoire coloniale, "A peine m'étais-je
dépouillé de ma perruque à frimas" écrit-il, non sans
humour. Dans le volume qu'il pensait consacrer à la Guade-
loupe, un fait-divers sanglant l'a captivé. La tuerie dans
la nuit du 6 octobre 1802 à Sainte-Anne de 23 personnes
blanches, selon Sainte-Croix de la Roncière. De l'enquête
prescrite par Lacrosse, deux blancs seraient les meneurs :
Barse et Millet de la Girardière. Melvil-Bloncourt, lui,
voudrait réhabiliter la mémoire de ces condamnés exécutés
sauvagement, car son intuition lui dit, alors qu'il n'en a
aucune preuve, qu'il y a eu un déni de justice. Il écrit :
"Il semble que ces deux hommes ont été des martyrs... Il
serait beau à une victime des massacres de mai 1871 de
venger, après 76 ans, la mémoire de deux martyrs de
brigands de 1802 à la Guadeloupe."
C'est une sorte de synthèse de l'Histoire de la Guadeloupe
et de la France qu'il voudrait esquisser là.
Entre autres projets laissés inachevés de Melvil-
Bloncourt, on eût aimé lire un second manuscrit : son
"Traité linguistique" (5). En effet, dans une chronique de
la "Revue du Monde Colonial", "Les Antilles et la Revue
des Deux Mondes", réplique à un article de Ed. du Hailly,
il esquisse une étude de sociologie humaine comparée, en
même temps qu'il montre que le parler créole ne lui était
pas étranger. Il enseigne au détracteur de la société
nègre la signification du mot poban (ou pur blanc) (6) mot
que de nos jours encore bien peu d'Antillais connaissent,
émaillant son propos d'un proverbe célèbre tiré de la
langue.
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Révision 20/01/2005