G.H.C. Bulletin 90 : Février 1997 Page 1867

Louis Daniel BEAUPERTHUY, Carlos FINLAY et la fièvre jaune

thèse de Finlay). Pire, quand le grand spécialiste  de  la
vulgarisation scientifique américaine Paul de Kruif,  dans
son Microbe Hunters (1926) évoquait  Finlay,  c'était  (et
c'est toujours, puisque le livre demeure  un  best-seller)
pour le mépriser : on trouve dans  le  numéro  de  février
1996 dans A.S.M. News, la revue de l'American Society  for
Microbiology, une dénonciation de son  racisme  et  de  sa
xénophobie (on peut la lire aussi via Internet en tapant : 
http://www.asmusa.org/jnlsrc/news/letfeb.htm).
    Qu'on ne s'y trompe pas, la phrase si souvent répétée, 
prononcée en 1900 par le gouverneur militaire américain de 
Cuba, le général Leonard  Wood  (l'île  a  été  prise  aux
Espagnols en 1898), rend moins hommage à Finlay qu'elle ne 
félicite la commission américaine d'avoir  enfin  confirmé
sa théorie : "La confirmation de la doctrine du Dr  Finlay
est le pas le plus grand qui  ait  été  fait  en  sciences
médicales depuis la découverte du vaccin par  Jenner".  La
suite de la phrase, qu'on ne cite jamais, est explicite  :
"... et ce  fait  à  lui  seul  justifiait  l'intervention
américaine".

6. Sur Louis Daniel Beauperthuy et Carlos Finlay.

     On  trouve,  dans  l'ouvrage  du  docteur   Francisco
Dominguez, Carlos J. Finlay,  son  centenaire  (1933),  sa
découverte (1881), paru à Paris en 1935, des  informations
sur Finlay (écossais par son père, français par  sa  mère,
arbre généalogique p. 27), mais aussi sur les  travaux  de
Beauperthuy. Sont reproduits le mémoire qu'il a  envoyé  à
l'Académie des Sciences de Paris (en date  du  18  janvier
1856, lu en séance le  14  avril)  et  plusieurs  extraits
d'une compilation intitulée Travaux scientifiques de Louis 
Daniel Beauperthuy, Docteur en médecine  des  facultés  de
Paris et de Caracas, Naturaliste  et  micrographe  (compi-
lation préparée par son fils, Pierre Daniel, et publiée  à
Bordeaux en 1891). L'ouvrage est précédé d'une préface  du
docteur Pierre Jean  Marcelin  Brassac,  médecin  de  1ère
classe de la marine française  (qui  fut  médecin-chef  en
Guadeloupe dans les années 1880). Dominguez signale aussi, 
sans la citer, pour la  contester,  une  publication  d'un
partisan  de  l'antériorité  de  Beauperthuy  sur   Finlay
(communication, faite en anglais, par le docteur Aristides 
Agramonte, devant la Société  américaine  de  Médecine  de
Baltimore le 28 mars 1908, publiée en juin  1908  dans  le
Boston Medical  Surgical  Journal).  De  toute  façon,  un
siècle avant Beauperthuy, dès 1748, le  docteur  américain
Clark Nott, de l'Alabama,  avait  émis  l'hypothèse  qu'un
moustique pouvait être l'agent vecteur de la fièvre jaune.
    Sauf erreur de ma part, ni Oruno Lara (dans La  Guade-
loupe dans l'histoire, 1921), ni Henri-Adolphe Lara  (dans
sa compilation La  Contribution  de  la  Guadeloupe  à  la
pensée française, 1935), n'évoquent Beauperthuy.

7. Autres médecins "antillais" de naissance, d'adoption ou 
de passage...

     Rien d'étonnant à ce que des médecins cubains  (comme
Finlay) et guadeloupéens  (comme  Beauperthuy)  se  soient
préoccupés de ce fléau. Je  voudrais  attirer  l'attention
sur deux personnalités  qui  mériteraient  d'être  connues
(appel aux membres de G.H.C.) : 
     Le docteur Étienne RUFZ de LAVISON, né en  Martinique
en 1806, médecin chef de l'hôpital civil de la maison  des
aliénés de Saint-Pierre et maire de la ville, puis respon- 
sable du Jardin d'Acclimatation de Paris (mort en 1884), a 
publié sur divers  sujets,  entre  autres  sur  la  fièvre
jaune, dès 1844, et a fait une communication sur le  sujet
devant l'Académie de Médecine le 18 septembre 1857. 
     Le docteur  J.-J. CORNILLIAC, jadis chirurgien de  la
Marine, installé comme médecin  civil  à  Saint-Pierre,  a
publié en 1864 ses Études sur la fièvre jaune  observée  à
la Martinique de 1669 à nos jours (réédition en 1873).  Il
mourra dans la catastrophe de 1902.

     M. Guého, qui a étudié  l'historique  des  recherches
sur les modes de transmission  et  de  propagation  de  la
fièvre jaune, pourrait sans doute attirer l'attention  sur
d'autres médecins de la  Caraïbe,  civils  et  militaires,
Créoles ou métropolitains. Voici le  nom  de  quelques-uns
d'entre eux qui ont écrit et  publié  avant  1880  sur  la
fièvre jaune étudiée dans toute la région,  en  Martinique
(N. Chervin, 1840; L.J.B. Bérenger-Féraud, 1875), à  Vera-
Cruz au Mexique (J. Rosis, 1842),  à  la  Nouvelle-Orléans
(P.F. Thomas, 1849; A.J.F. Cartier, 1859; Alfred  Mercier,
1860), à La Havane (Manzini, 1858; Charles Belot, 1865), à 
la Guadeloupe (Gilbert Cuzent, 1867). Après 1880, ils sont 
trop nombreux pour que je les  cite.  Dans  son  livre  La
Médecine entre les pouvoirs et les savoirs (1981), Jacques 
Léonard nomme de nombreux médecins en poste dans  diverses
colonies  françaises  de  par  le  monde,  devenues  terre
d'élection de la bactériologie.  Il  pourrait  être  inté-
ressant de préciser le poids relatif des  médecins  de  la
Caraïbe par rapport aux autres chercheurs sur le sujet. 

8. Encore Corre.

     Autre médecin de marine, comme Cornilliac,  mais  qui
est seulement passé dans la région,  quoique  à  plusieurs
reprises entre 1862 et 1887, et a beaucoup  écrit  sur  la
fièvre jaune, tant des articles que des livres, le docteur 
Armand CORRE. Il connaissait  personnellement  Cornilliac,
et Brassac, et aussi Jean-Baptiste BÉRENGER-FÉRAUD,  autre
médecin de marine,  l'auteur  en  1891  d'un  gros  Traité
théorique et clinique de la fièvre jaune longtemps  consi-
déré comme le livre  sur  le  sujet.  Cet  ancien  médecin
particulier de Napoléon III avait étudié la  fièvre  jaune
en Martinique en 1875 mais d'abord à Gorée, au Sénégal, en 
1871, en même temps que Corre  (qui  lui  reprochera  plus
tard, publiquement, de lui avoir volé ses notes, d'où  son
amertume... et les conséquences fâcheuses pour la carrière 
de Corre, mais c'est une autre histoire). J'ai déjà évoqué 
dans G.H.C. (p. 684 et suiv.) le scandale de l'épidémie de 
fièvre jaune en Guadeloupe, en  1886-1887,  pour  laquelle
Corre, contraint de se taire, a interjeté appel auprès  de
la postérité, c'est à dire de nous.
     Fallut-il vraiment attendre la commission Reed et les 
années 1900 pour que les travaux  de  Finlay  trouvent  un
écho ? M. Guého le dit. Or, bien avant cette date,  Armand
Corre avait présenté  ses  travaux  dans  la  revue  quasi
officielle Archives de la Médecine navale. Par lui,  c'est
toute la communauté scientifique française qui a découvert 
les travaux de Carlos Finlay. 



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Révision 20/01/2005