G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1815
Ces Sauvages vont entierement nuds sans honte, les
femmes aussi bien que les hommes : j'en repris un capi-
taine, qui ne me fit autre responce que, non cà bon pour
France, bon pour Caraïbe. Ils se rougissent le corps, qui
autrement est de couleur olivâtre, avec du rocou. Les
femmes ont quelquesfois une façon de brodequins, depuis le
genoüil jusques à la cheville du pied, qu'ils estiment
gentille. Hommes et femmes portent, quand ils en ont
quelque collier de rassade, ou de cristal, ou de petits os
assez bien agencéz. Quand celuy, que nous appellons le
pilote, qui est parmy eux l'un des premiers capitaines, et
ancien amy, et fidelle aux François, vint voir monsieur le
gouverneur, il avoit sur la teste un chappeau, pour marque
qu'il ayme et estime les François; les autres vont la
teste nuë comme le reste du corps. Ils lient leurs cheveux
qui ne sont pas trop grands derriere la teste et y passent
des plumes d'aras, de flamens, et autres oyseaux, ou les
laissent pendre par derriere, et y attachent quelques
gentillesses à leur mode. Ils s'arrachent la barbe. Arlet
frere du pilote, aussi capitaine, avoit de petites pieces
d'airain penduës aux levres, au menton, et au nez. Les
femmes sont mal heureuses et traittées comme des esclaves;
car il faut qu'elles fassent jardins, mesnages, et tout,
excepté la guerre, la pesche, et la chasse, ou s'il y a
quelque gros arbre à abbatre, le mary en prend quelques
fois la peine. Ils ont plusieurs femmes; les prennent et
les quittent à discretion; les traittent fort mal, et
quelquesfois les tuent, n'y ayant parmy eux aucune justice
non plus que superiorité; chacun fait ce qu'il veut, et
est quitte des crimes les plus horribles, pour dire, qu'il
estoit mouche bourache, c'est à dire, bien yvre. Ils tuent
aussi quelques fois les vieilles gens, disant qu'aussi
bien ils n'en peuvent plus, et sont mal-heureux : et quand
leurs femmes sont vieilles, ils les tuent, alleguant pour
raison qu'elles ne peuvent plus faire le jardin, la
cassave, ny le houikou. Ils sont jaloux, et si une femme à
manqué, ils la tuent, ou la font servante et esclave des
autres :quand ils doutent si elle a malfait, ils l'a font
enyvrer (car leur hoüicou enyvre quand il est bien fait)
afin qu'en cet estat elle ne cele rien.
Les hommes sont merveilleusement faineants, et passent
le temps dedans leurs lits, ou dessus à boire, causer, et
se faire peigner par leurs femmes, il ne se passe point
une heure qu'ils ne se fassent peigner, et ne prennent pas
mesme la peine de pescher, ou chasser, aymant mieux se
passer à peu, et ne manger que de la cassave, et des
crabes, que de sortir de la case pour prendre du lezard,
de la tortuë, ou autre chose : lors toutefois qu'ils
viennent traitter avec les François ils prennent de la
tortuë et l'apportent; c'est ce dont ils traittent princi-
palement. Ils apportent quelque fois des ananas, et des
bananes, et de leurs arcs et fleches, qu'ils donnent à
leurs comperes; ainsi appellent-ils tous leurs amis.
Ces Sauvages ont une ridicule ceremonie à la naissance
de leurs enfans; la femme se leve incontinent apres avoir
accouché, et va au travail si elle peut; le mary se met au
lict, qu'on esleve au hault de la case, et là plaint le
ventre, et le frotte comme s'il enduroit beaucoup. Cela
dure une lune toute entiere, qu'il ne sort du lict qu'en
necessité, s'appuyant sur un baston, et on le visite comme
un malade : il est vray qu'ils font aucunement passer
cette feinte maladie en verité, tant ils le traittent mal,
le faisant jeusner quelques jours fort estroittement, ne
luy donnant à manger que de la cassave, et encor fort peu;
pour la boisson on luy en donne assez, particulierement
lors que l'enfant tette; apres quelques jours il peut
manger des crabes; et puis on luy permet quelque temps
apres la tortuë, et en fin toutes sortes de vivres indif-
feremment, comme estant pleinement guery; mais auparavant
on fait une assemblée où ce pretendu malade est dechiqueté
par tout le corps, et perd bien du sang : Ceux toutesfois
qui ont desja eu cinq ou six enfans ne sont plus dechi-
quetez que par les bras et les jambes. Pour les enfans,
ils ne sçavent que c'est que de les emmaillotter, ny de
les delicater comme nous faisons, quoy qu'ils les aiment
tendrement.
On garde presque la mesme ceremonie pour faire un
capitaine, qui toutefois n'a pas beaucoup d'authorité
parmy eux; on le fait jeusner, on le déchiquette, puis on
luy jette à la teste des peaux de poisson seiches, de
sorte que s'il ne se pare dextrement, il est en danger
d'estre blessé, et n'estre tenu pour un bon capitaine.
Durant la grossesse de la femme, le mary ne mange
point de tortuë d'autant, disent-ils, que s'il en mangeoit
l'enfant seroit sourd comme la tortuë; semblablement il ne
mange point de lamentin, d'autant qu'il a les yeux fort
petits, et si le pere en mangeoit, cette imperfection et
defaut passeroit à l'enfant; mais quand ils mangent avec
les Francois, ils ne sont pas si scrupuleux.
La vie qu'ils menent leur est si agreable, qu'ils en
sont tres contents; et quelque bon traittement que vous
leur fassiez, vous ne les retiendrez point pour demeurer
avec vous. On en a veu qui ayant long temps demeuré parmy
les François, et bien à leur aise, à la premiere occasion
se sont échappez, et retournez vers les autres Sauvages.
Ils sont extremement deffians; ne croyez pas que s'ils
voyent un fusil en vostre main, ils viennent en vostre
case, les moindres choses leur donnent de la deffiance.
Comme nous passions à nostre retour par la dominique un
Sauvage vint vers nous jusques à my chemin, mais si tost
qu'ils apperceut nostre petit batteau qui estoit derriere
le vaisseau, il s'en retourna bien viste. Si quelqu'un a
des armes dans le vaisseau, jamais ils ne viendront à
bord; si l'un d'eux monte au vaisseau, l'autre demeure
tousjours dans le canot, et regarde par tout. Ils jugent
des autres comme on doit juger d'eux, qu'il ne s'y faut
jamais fier; s'ils viennent en une case, ils regardent par
tout, partie pour voir s'il n'y a rien qui leur fasse
peur, partie pour descouvrir les moyens de la surprendre.
Quand ils virent la maison de brique que monsieur le
gouverneur a fait faire, ils venoient heurter contre, pour
experimenter s'ils la pourroient enfoncer, et la trouvant
ferme, dissimulant leur estonnement et fascherie, luy
disoient comme par conioüissance, mouche manigat mon
compere. Ils ne tâchent qu'à surprendre, et quelque bonne
mine qu'ils vous ayent fait, où ils auroient l'avantage,
il ne faudroit attendre d'eux aucune misericorde : Et
quand ils ont tâché à vous surprendre, s'ils manquent leur
coup, ils s'en viendront froidement vous dire, moy non
faché à toy, et traitteront avec vous comme si rien ne
s'étoit passé, et comme s'ils estoient vos meilleurs amis.
Ils sont extremement sales en leur manger; qui leur
auroit veu faire leur hoüicou en auroit horreur. Un jour
en la presence de monsieur nostre gouverneur à un disner,
l'un d'eux estant loin d'un plat où estoit son appetit,
monta sur son banc, puis mit un pied sur la table entre
les plats, advance une main vers le bout de la table où
estoit ce met, pour s'appuyer, et ainsi estendu de son
long sur les plats et les viandes, porte son autre main à
ce qu'il desiroit. Voila comme ces messieurs sont civils.
Au reste avec cela ils sont si superbes que qui que ce
soit qui les aille voir, ils ne se leveront pas pour
l'accueillir, mais luy diront seulement, monstrant un
lict, mets toy là. Ils demandent fort librement tout ce
qui leur plaist, et ne faut pas les refuser; c'est
pourquoy ceux qui sont bien instruits n'exposent rien en
leurs cases, quand les Sauvages y doivent venir, que ce
qu'ils veulent bien leur donner. Ils promettent assez,
mais ils manquent souvent de fidelité. Ils mangent les
animaux qui leur font du mal, comme chiques, tiques, et
semblables vermine.