G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1813
Il y a des vers qui perçent les futailles, et tout ce
qui est de bois, c'est pourquoy les vaisseaux de terre y
sont meilleurs.
Mais ce qui a le plus descrié l'isle, et empesché
deux mille personnes d'y venir, sont de grandes couleu-
vres, ou plustost viperes; car elles ont toutes les
proprietez des nostres, qui ont une morsure mortelle, si
on n'y remedie promptement. Il est vray qu'il y en a; mais
non pas en la quantité qu'on se persuade, et si on n'y est
pas sans remedes : elles n'attaquent pas les hommes qui ne
les touchent point, et se retirent la pluspart aux lieux
plus escartez dans les bois.
Les chemins sont fort difficiles par les mornes, ou
montagnes.
Les Sauvages nous apprennent qu'il y a quantité de
poisons, et sçavent bien envenimer leurs fléches. Les
pommes de l'arbre qu'on appelle Mansenille, sont tres-
dangereuses, jusques là, que si l'eau de la pluye qui a
touché ces pommes tombe sur la main nuë, ou autre partie
de l'homme, elle la fait enfler incontinent.
La pluspart des vivres du pays sont legers, et de peu
de suc; ce qui fait qu'on est contraint de manger assez
souvent, et que le jeusne est fort difficile, et quelque
fois dangereux.
La pluspart des remedes qu'on apporte icy de France
perdent tout ou partie de leur vertu. Le fer si roüille
grandement, cause pourquoy il est nécessaire de revisiter
souvent les armes.
La crainte de surprise de la part des Sauvages est
presque continuelle, d'autant qu'ils sont sans foy, et
quelque promesse qu'ils fassent, et bonne mine, il ne si
faut fier, non plus qu'eux ne se fient pas trop à nous;
ils sont merveilleusement dissimulez, et traistres, comme
nous dirons. On a aussi quelque crainte, mais non pas
grande, de la flotte des ennemis estrangers, qui a
coustume de passer proche, et quelque fois à la veuë de
cette isle, et mesme y prendre de l'eau : neantmoins ny
les Sauvages, ny les estrangers n'auront aucun advantage
sur les François, tandis qu'ils seront sur leur garde
comme ils sont.
Des François qui habitent l'isle,
des Negres esclaves.
CHAPITRE VIII
Nous avons pres de mille François en cette isle, et
esperons que le nombre croistra notablement à l'advenir
par le soin des Seigneurs de la Compagnie de ces isles, et
le bon ordre qu'ils donneront, tant pour faciliter les
passages en diminuant le prix, que pour rendre ces isles
plus utiles, leur faisant porter du coton, du sucre, et
autres denrées, dont la traitte sera de plus grand profit
que celle du petun.
Nos François sont tels pour ce qui est des moeurs,
que peuvent estre des peuples presque abandonnez de tout
secours spirituel, sans Messe, sans Prestre, sans Predi-
cateur, sans Sacremens, dans une trop grande licence,
liberté, et impunité. Nous y avons trouvé trois Prestres
en un quartier de l'isle; les autres nommez du prescheur,
de la case du pilote, et du fort royal, qui font bien six
ou sept lieuës de pays, n'en avoient point, et Dieu sçait
si ces bons Ecclesiastiques ont eu beaucoup d'authorité,
et fait bien du fruict là où ils estoient. Nous voulons
neantmoins croire que nos François ne sont pas si vicieux,
et si mauvais qu'on les fait en France; quoy que nous ne
puissions nier qu'il n'y ait des heretiques, et quelques
libertins et athées, esprits stupides et brutaux, dont le
nombre ne peut estre si petit qu'il ne soit trop grand.
L'Eglise jusques à notre arrivée estoit en si bon
estat, qu'à celle qui tient le lieu de la paroisse, qui
est proche du fort sainct Pierre, il n'y a ny ornement, ny
personne qui en ait soin : Il sera necessaire si on veut
assister selon Dieu tous les habitans, dont la plus-part
ont esté jusques à present destituez de tout secours
spirituel, de faire trois maisons et Eglises, d'autant que
nos François contiennent bien neuf ou dix lieuës
d'estenduë le long du bord de la mer, en un pays si rude à
cause des mornes, qu'une Eglise ne peut s'estendre que
deux ou trois lieuës au plus.
Nos François vivent assez franchement ensemble : il
n'y a ny hostellerie ny cabaret; mais quand on va de lieu
à autre, on disne où on se rencontre, personne ne refusant
aux survenans ce qu'il leur peut donner.
Parmy les François il y a des noirs, ou mores du
cap-vert, et ailleurs assez bon nombre, non pas si grand
toutesfois qu'on n'en desirast davantage, et que ceux qui
en ameneroient ny trouvassent bien leur compte, d'autant
qu'un esclave noir est bien plus utile qu'un serviteur
françois, qui n'est que pour trois ans, a besoin d'habits,
demande des gages, n'est pas si accoustumé aux chaleurs;
là où les noirs sont pour toute leur vie, n'ont besoin que
de quelque linge pour couvrir leur honte, n'ont rien que
leur vie, encor bien miserablement, se contentant de
cassave et pois, et sont faits à l'air et au chaud, quoy
que s'ils n'y prennent garde ils sont sujets à la vilaine
maladie des pians.