G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1812
Les vaisseaux qui passent par icy traittent aussi
pour d'autres denrées; de la cassave, ou pain du pays; des
pois; du caret pour faire des peignes, des coffres et
cabinets. Quand la saline sera en estat les estrangers y
viendront aussi querir du sel : et qui auroit une barque
pourroit porter aux autres isles du sel, de la tortuë, du
lamentin, et autres choses, sur lesquelles il gagneroit
beaucoup.
Il y a encore d'autres commoditez qu'on peut retirer
de cette isle et autres; mais qui regardent le public, ou
les personnes qui gouvernent, et non pas les particuliers,
c'est pourquoy je ne juge pas à propos de les rapporter
icy.
Je ne parle point aussi de ce que les marchands
doivent apporter en l'isle pour traitter avec les habi-
tans; ils sont assez soigneux de s'en bien informer au
prealable que d'entreprendre le voyage, et ce n'est pas à
moy à les instruire : joint que de ce que j'ay dit, ils
cognoissent aisément ce dont nous avons plus de besoin.
Quand à ceux qui y voudroient venir pour s'y establir; ils
peuvent aussi cognoistre de ce qui a esté dit ce de quoy
ils doivent faire provision. Qu'ils apportent beaucoup de
linge, chappeaux, souliers, quelque petite estoffe de
couleur pour faire des caleçons ou hault-de-chausse; pour
les pourpoints ils y sont peu en usage, et les manteaux
encore moins. Les bas de chausses doivent estre ordinai-
rement de linge, pour eviter les ulceres des jambes.
Qu'ils ayent aussi du fil, de la soye, un peu de boeuf et
de lard, huyle, beurre, graisse, platine de fer pour faire
de la cassave, quelques pots de terre, bon nombre de
haches et serpes pour couper le bois, et autres ferremens
et utensiles. Mais la principale richesse d'un maistre de
case consiste au nombre de serviteurs qu'il amene pour
découvrir et cultiver la terre : Le marché qu'on fait avec
eux est, qu'ils s'obligent à servir pour trois ans, et
moyennant cela le maistre les fait passer à ses despens,
les nourrit, et leur donne par an quatre vingts ou cent
livres de petun, et eux-mesmes s'entretiennent d'habits.
Au bout des trois ans, s'ils veulent demeurer dans l'isle,
ils demandent quelque place à monsieur le gouverneur, qui
l'accorde fort volontiers aux lieux qui ne sont encor
occupez. Quelquefois deux ou trois hommes se font matelots
les uns des autres, c'est à dire se joignent et associent
ensemble, et tiennent une mesme habitation, qu'ils font à
frais communs.
Des incommoditez de l'isle.
CHAPITRE VII
Nul bien sans peine, c'est un meslange necessaire en
ce bas monde que celuy du bien et du mal. Nostre isle a
des commoditez, elle a aussi des incommoditez. Je
n'entends pas icy par incommoditez le manquement de
quelques commoditez. Ce que nous avons dit jusques à
present fait assez cognoistre ce qui nous manque.
Venons donc aux incommoditez positives et reelles.
C'est merveille si quelqu'un eschappe, de ceux qui
arrivent de nouveau aux isles, qu'il n'ait quatre ou cinq
accez de fievre, encore mesme, qu'il se soit fait purger
et saigner à l'arrivée; le remede est facile, qui est de
corrompre son mal en marchant et travaillant, et ne se
laisser abbattre.
Les personnes qui se tiennent oisives, qui ne font
que dormir le jour, ou qui s'abandonnent à la tristesse,
ne sont pas pour vivre longuement en cette isle : les
ulceres aux jambes qui sont assez difficiles à guarir, les
maux d'estomach, et autres incommoditez les accueillent,
et dépeschent bientost. Il faut icy fuïr la melancholie,
marcher et travailler gaillardement, se tenir nettement,
et se laver souvent; pour cet effect les serviteurs ont
l'apresdinée du samedy libre, pour se baigner, et laver
leurs linges et autres hardes : S'ils ne se lavent, et
tiennent proprement, et travaillent, ils deviennent incon-
tinent malingres, c'est à dire lasches, malades, et
inutiles.
Le mal des pians est assez commun parmy les Negres,
non pas tant parmy les François. C'est un vilain mal,
auquel on apporte les mesmes remedes qu'à la grosse
verole; car quoy qu'il ne procede pas de la mesme cause,
il a neantmoins quelque affinité avec elle, et les mesmes
effects sur les corps.
Il n'y a icy ny puces, ny pour l'ordinaire de poux,
ou autre semblable vermine; mais en la place il y a dans
les maisons des chiques, qui se forment dans la poussiere;
elles sont si petites qu'on ne les aperçoit, quoy qu'elles
soient noires : ces petits animaux attaquent particulie-
rement les pieds, et les parties d'iceux proches des
ongles, ou les talons et la plante, entrent dans la chair,
et grossissent comme de nos pois, et font de petits, et si
on ne les tire il y a à craindre quelque ulcere; mais on
les tire aisément avec une espingle, et ceux qui arrousent
souvent leurs cases n'en ont point, à quoy l'eau de mer
est meilleure que celle de riviere, combien que celle-cy
soit bonne. Le petun verd sert aussi, à ce qu'on dit, de
remede contre ces chiques.
Il n'y a point dans les bois de maringoins, si ce
n'est sur le bord de la mer, où on en voit et sent
quelques-uns le soir et le matin : mais il y a dans les
bois des tiques, petits animaux plats, qui succent le sang
jusques à ce qu'ils crevent; mais ils ne font grand mal,
et causent seulement quelque demangeaison.
Les petits animaux nommez ravers, mangent et gastent
les draps, si on n'y regarde souvent, et on ne les met à
l'air.