G.H.C. Bulletin 87 : Novembre 1996 Page 1778
César Dominique DUNY
Paul-Henri Gaschignard (pp 1441, 1631)
Mis sur la voie par les indications fournies par
Pierre Baudrier (GHC n° 81, p. 1602), j'ai consulté au
CARAN les papiers DUNY conservés dans les archives du
Comité des colonies de la Convention (série DXXV). Puis
Raymond Bruneau-Latouche m'a aimablement communiqué un
ouvrage de Georges Bruley, "Les Antilles pendant la Révo-
lution française" (Préface de Carmen Vasquez, Ed. Lafolye,
Vannes 1890; Ed. caribéennes, Paris, 1989), "d'après la
correspondance inédite de César Dominique DUNY", avec le
grand-père de l'auteur, Prudent George BRULEY.
Celui-ci, né à Tours en 1759 et ami d'enfance de
DUNY, avait été "avocat du Roi, président trésorier de
France, maire de Tours, député à l'Assemblée législative,
président du Conseil général de l'Indre-et-Loire". Il
convient de ne pas le confondre avec Augustin Jean
BRULLEY, né vers 1755, colon de la Marmelade (Saint-
Domingue), membre des deux Assemblées de la colonie,
désigné par la seconde, le 29 mai 1792, pour faire partie
des commissaires de Saint-Domingue en France, où il sera
très actif auprès de la Convention et où il connaîtra fort
bien Charles Dominique DUNY.
Ce dernier est né à Tours, paroisse Saint-Hilaire, le
22 juillet 1758, l'un des sept enfants de Jean Baptiste
DUNY, pâtissier, et de Louise VÉRITÉ. "Au physique, il
était de haute taille, maigre et nerveux"; on le dit d'un
tempérament excitable et intransigeant. A ma connaissance,
il est resté célibataire. Tout au plus Georges BRULEY
mentionne-t-il (en 1802 ?) "les préliminaires d'un mariage
avantageux que ses amis - de la Guadeloupe - voulaient lui
faire contracter".
Des frères de DUNY, deux ont vécu à Saint-Domingue :
un frère aîné, arrivé avant lui, qui l'y fait venir; c'est
probablement ce dernier qui périt "dans les horreurs du
pillage et de l'incendie", laissant une veuve et deux
enfants; un frère plus jeune, Jean-Gabriel (?), arrivé au
Cap peu avant juin 1793, qui périra fusillé (vers 1797 ?).
Avant la Révolution, DUNY devient "régisseur de la
famille AUBER, l'une des plus riches de l'île" : il s'agit
probablement des héritiers de Charles AUBERT, propriétaire
d'une sucrerie au Port-de-Paix (cf. Moreau de Saint-Méry,
Description de l'isle Saint-Domingue, réédition, index).
Pendant la Révolution, il est "habitant du Port-de-Paix
(ou de la paroisse du Petit-Saint-Louis, également
dénommée Saint-Louis du nord, à l'est du Port-de-Paix ?)
(DXXV/73 dossier 732).
Dans une liste d'objets abandonnés au Cap en 1793, il
fait figurer "les titres d'une concession de 225 carreaux
de terre (1 carreau = 1 ha 27) accordée par LA LUZERNE et
MARBOIS [respectivement, gouverneur-général (1786-87) et
intendant (1785-89)], et d'une autre, de même superficie,
qui m'a été vendue par le citoyen BARROUSEL, procureur es
siège du Port-de-paix".
Ces deux "concessions" ne figurent apparemment pas à
l'état de l'indemnité attribuée aux colons de St-Domingue
à partir de 1826, alors que DUNY vivait encore : peut-être
en avait-il disposé, bien qu'il ne soit jamais revenu à
Saint-Domingue après 1793, quand elles avaient encore
quelque valeur. On ne l'y trouve, à ma connaissance, que
pour un terrain estimé 990 livres en 1789, sis au Cap-Dame
Marie (dans le sud, à l'ouest de Jérémie), et aussi, d'une
part, comme seul héritier de son frère Jean Gabriel, pour
un terrain de 16.660 livres sis au Gros-Morne, au sud du
Port-de-Paix et d'autre part, comme seul ayant-droit à la
succession de Pierre EYRON pour une maison de 8.800
livres, rue du Tillet au Port-de-Paix.
Parmi les objets perdus au Cap se trouvent aussi des
espèces et lettres de change, une bibliothèque bien
fournie et ce qui lui restait d'esclaves : "12 têtes de
nègres qui m'étaient restés fidèles et attachés, dont les
plus affidés sont officiers de la corporation de Sonthonax
du 20 juin 1793". Dans la bibliothèque, 34 auteurs sont
cités, classiques et philosophes du siècle des Lumières :
La Fontaine, Molière, Fénelon, Montesquieu, Voltaire,
Rousseau, d'Alembert, etc.
DUNY a dû appartenir à la franc-maçonnerie car il
cite, parmi les objets disparus, "mes papiers maçonniques,
tabliers et cordons et bijoux de tous grades, mon certi-
ficat et mon bref du G.. O.. (DXXV, dossier 733).
Après un séjour en France, DUNY rentre à Saint-
Domingue. A peine arrivé, il commande le détachement du
Port-de-Paix envoyé au secours de l'Assemblée coloniale,
alors réunie à Saint-Marc, e n conflit avec le gouverneur
général. Dès ce moment, il fait figure de patriote et,
bientôt, de républicain intransigeant. A la fin de 1790,
il est aide-de-camp du commandant d'un contingent de
volontaires chargé de réprimer la révolte du mulâtre OGÉ.
Puis il participe, en la même qualité, à la répression des
esclaves révoltés (août 1791).
Le 6 octobre, "après avoir tué de sa main trois de
ces "brigands d'insurgés", dont un chef mulâtre, il reçut
une balle dans les reins...". (cf. G. Bruley, op. cit.).
En juillet 1792, DUNY avait eu maille à partir avec
M. de CAZAMAJOR, alors "commandant militaire" au Port-de-
Paix, qui avait "prononcé" contre lui et les frères
GRAMMONT des ordres d'exil et de bannissement que
l'assemblée coloniale, siégeant au Cap le 30 juillet 1792,
déclara "illégaux, nuls et vexatoires". Il semble que M.
de CAZAMAJOR leur ait reproché leur hostilité aux gens de
couleur et à la loi du 4 avril 1792, qui accordait aux
hommes de couleur et nègres libres l'égalité des droits
politiques avec les blancs. On sait que cette loi fut fort
mal reçue par les blancs patriotes dont faisait partie
DUNY, qui signe volontiers "Duny républicain" (DXXV/66, d.
671).
En septembre 1792, DUNY voit arriver avec satis-
faction les commissaires civils SONTHONAX et POLVEREL,
envoyés de la Convention. mais il doit vite déchanter.
Décidés à faire appliquer la loi du 4 avril 1792, et
songeant déjà, sans doute, à émanciper les esclaves,
SONTHONAX et POLVEREL se heurtent non seulement - et tout
naturellement - aux royalistes, mais encore aux patriotes,
républicains, certes, mais vivement hostiles aux hommes de
couleur et partisans du maintien de l'esclavage.
Le 16 juin 1793, sur ordre de POLVEREL et SONTHONAX,
DUNY est arrêté et conduit le lendemain à bord du navire
le Saint-Honoré (DXXV/73, d. 732). Le 20, ce dernier
quitte le Cap, lors de la révolte du général GALBAUD du
FORT contre les commissaires, pour arriver "en juillet" à
New York où DUNY demeure, Vesey Street n° 40.
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Révision 28/12/2004