G.H.C. Bulletin 85 : Septembre 1996 Page 1711
La famille d'ALESSO et l'habitation "Frégate"
Il est frère du Sr. d'Éragny. Il a fait des chansons
insolentes et calomnieuses, et a tenu de fors mauvais
discours contre l'autorité (...) (12).
Ce sieur d'ALESSO, dont il est question ci-dessus
était son frère, Claude-Alexandre, qui ne bénéficiait pas
du titre de marquis d'Éragny. On le remarque aussi désin-
volte que son frère, et c'était aussi l'avis de l'adminis-
tration qui semblait les considérer comme étant aussi
exaspérants l'un que l'autre.
Un an plus tard, en mars 1750, le marquis de CAYLUS
recevait enfin la réponse du ministre sur cette affaire :
"Par ma dépêche du 28 du mois dernier, je vous ai expliqué
la décision du Roy par réponse à M. Radau. J'ay à vous
faire savoir dans celle cy ce que S.M. a réglé sur ce qui
concerne le Sr. d'Éragny. Il n'est pas douteux que cet
habitant est un de ceux qui se sont les plus joints à
l'aventurier et qui ont le plus abusé de l'illusion qui
s'était répandue dans toute la colonie. S'il n'y avait eu
que ce reproche à luy faire, il se serait aisément
justifié par des observations qu'il n'a pas manqué de
faire : l'un que l'erreur a été généralement autorisée par
la conduite même des chefs de la colonie, et l'autre que
durant tout le séjour que l'aventurier a fait dans les
divers quartiers de l'Isle, vous avez laissé à tout le
monde liberté entière de le suivre et de s'attacher à luy.
Mais le sieur d'Éragny est sorti avec luy de la Martinique
sans vous en avoir même demandé la permission; c'est
l'article le plus grave à luy reprocher dans sa conduite.
Il a représenté à un égard que vous aviez été prévenu de
son départ par une lettre que l'aventurier vous a écrite
sans que vous ayez rien dit; et cela en des termes effec-
tivement confirmés par une de vos lettres à M. le Comte de
Maurepas. Cette conviction jointe à celle des dépenses que
luy occasionne son voyage en France, a déterminé S.M. à ne
pas porter sa punition plus loin ci à lui permettre de
revenir à la Martinique; mais il luy a été ordonné de se
présenter à son arrivée devant vous pour vous demander
excuse; et l'intention de S.M. est que, dès qu'il y aura
satisfait, vous luy laisserez la liberté de retourner à
son habitation et de vaquer à ses affaires (...) (13).
Finalement, l'affaire se termina plutôt bien pour
d'ALESSO, même si elle lui valut un séjour en Europe, le
temps de calmer les passions.
d'ALESSO n'en restait pas moins un homme indiscipliné
par nature. Dans la lettre précitée, le ministre évoquait
une question de protocole entre la noblesse, à laquelle
appartenait d'ALESSO, et les représentants du Roi :
"(...) Il m'étois revenu, indépendamment de la conduite
qu'il [d'ALESSO] a tenue à l'occasion de l'aventurier,
qu'il étoit des principaux habitants qui, sous prétexte de
leur Noblesse, prétendent être non seulement exemptés de
la Milice, mais encore n'être subordonnés qu'au gouverneur
lieutenant-général immédiatement. J'ay lieu de croire
qu'il est désabusé de cette erreur. Mais en tous cas, Je
suis bien aise de vous observer à cette occasion que vous
ne devez la tolérer ny chez luy ny chez aucun autre
habitant (...)". (14).
d'ALESSO à la Chambre de Commerce et d'Agriculture
Son tempérament insoumis se manifesta à nouveau lors
de sa désignation comme député de la Chambre d'Agriculture
et de Commerce que nous avons évoquée plus haut.
Alors que DUBUC et DECELY, les deux autres habitants
choisis avec lui, acceptèrent de bonne grâce la mission
qui leur était confiée, d'ALESSO émit une condition : "que
la colonie voudroit bien, avec la permission de la cour,
l'aider à supporter les dépenses auxquelles il seroit
assujetti par ce poste et qui ne peuvent être, ajoute-t-
il, remplis par la modicité des 8.000 livres que le Roy
donne (...)" (15).
La chambre hésita devant ces prétentions. Il lui
fallait pourtant se dépêcher de trancher, car les députés
devaient partir rapidement pour la métropole. Finalement,
elle refusa la proposition et choisit un autre habitant,
le sieur FAURE.
d'ALESSO n'alla pas à Paris, refusant l'honneur de la
députation que lui faisaient ses confrères de la Chambre
pour des raisons bassement pécuniaires. Ce motif semble
d'autant plus troublant que d'ALESSO était un homme riche,
tant par les héritages qu'il avait recueillis que par ses
affaires. On ne lui connaissait pas de difficultés finan-
cières, du moins les rapports des lieutenants généraux
n'en firent jamais état. D'ailleurs, le choix des membres
de la Chambre était significatif. Ces missions étaient
connues de tous pour être très coûteuses, c'est pourquoi
le ministre du roi recommandait de choisir des hommes
aisés afin qu'ils puissent assurer convenablement leurs
tâches.
Les habitants et les négociants, premiers concernés,
le savaient mieux que quiconque.
Deux raisons purent pousser d'ALESSO à présenter une
excuse d'ordre pécuniaire : soit il ne voulait réellement
pas aller à Paris pour cette députation, dans ce cas en
présentant une condition d'ordre pécuniaire il savait que
sa proposition serait refusée et il évitait ainsi un refus
direct, soit il se montrait tel qu'il était, c'est-à-dire
avare et ne voulait pas effectuer une mission d'intérêt
général sur ses propres fonds, ce qui démontre aussi un
manque de civisme. Ce refus reste étonnant quand on
imagine les avantages personnels et politiques qu'il
aurait pu obtenir de cette députation.
Le siège et la capitulation de la Martinique en 1762
On retrouve d'ALESSO au premier plan des événements,
quelques années plus tard, lors des combats aboutissant à
la prise de la Martinique par les Anglais, en 1762. Il
commandait les troupes de la milice. Les événements
tournant mal pour les Martiniquais, d'ALESSO et quelques-
uns de ses compagnons prirent une initiative importante. A
la tête d'une délégation d'habitants, il présenta la
reddition de la colonie aux généraux anglais Mouckton et
Rodery.
En juillet 1762, un habitant des Trois-Ilets rédigea
pour le Roi un rapport sur le siège de la Martinique.
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