G.H.C. Bulletin 85 : Septembre 1996 Page 1712
La famille d'ALESSO et l'habitation "Frégate"
Il mettait en cause le gouverneur et d'autres person-
nalités en leur attribuant la responsabilité totale de
cette défaite.
Son avis sur le cas d'ALESSO n'était guère tendre :
"(..) M. Dalesseau (...) a fui des premiers. [Il a]
engagé le Lamentin et le voisinage à mettre bas les armes
et capituler. Lui, le sieur LAREINTY autre parent et deux
autres, ont rédigé la capitulation, se portant fort pour
neuf paroisses dont ils n'avoient aucun pouvoir, mais que
la parenté captivoit par des menaces très rigoureuses.
Ces capitulants disent aujourd'hui que M. le général aïant
füi, tout abandonné, avoit ordonné aux habitants de se
retirer chez eux. Je ne puis Monseigneur, attester ces
ordres, quoique plusieurs gens honnêtes me le garantissent
pour l'avoir entendu de la bouche du chef (...)" (16).
La capitulation que d'ALESSO et ses compagnons présen-
tèrent aux Anglais était favorable aux habitants (17).
C'est dans cette optique qu'ils préférèrent négocier tout
de suite et eux-mêmes avec le vainqueur afin de préserver
leurs intérêts économiques. D'ailleurs, dans ce même
rapport, l'auteur déclarait que certains habitants se
satisfaisaient très bien de la domination anglaise dont
ils tiraient de gros bénéfices.
Pourtant, l'initiative de d'ALESSO ne fut pas du goût
du gouverneur, LEVASSOR de la TOUCHE. Dès le 12 février
1762 il écrivait à Rodney et Moncton pour proposer la
capitulation officielle au nom des pouvoirs qu'il tenait
du roi. Il s'en prit vivement aux habitants responsables
de cette abdication qu'il jugeait illégale et demanda que
les coupables lui fussent livrés.
"(...) Nous nous devons, Messieurs, contre des sujets
coupables un mutuel secours. Le droit sacré des souverains
est attaqué par la démarche insolente de plusieurs
habitants, qui, au mépris de leur naissance et de leurs
serments particuliers de fidélité, ont osé présenter à vos
Excellences un projet de capitulation. Qu'ils eussent mis
bas les armes par faiblesse, par défaut de courage, je les
regarderais comme indignes de posséder des terres qu'ils
devoient de rendre, mais que des particuliers sans titre,
sans caractère ayant eu la ridicule audace de se former en
corps, de se liguer pour traiter contre les intérêts de
leur roy, une telle démence ne sauroit estre absolument
soufferte ni par vous ni par moy, car enfin, Messieurs,
nous ne pouvons plus jeter qu'un coup d'oeil indigne sur
des gens que la bassesse d'âme a mis entre votre mépris et
le mien (...)" (18).
Le retour en grâce
En 1763, un sieur d'ALESSO fut envoyé en France avec
d'autres colons sur ordre du Roi. Il s'agissait en réalité
de son frère, Claude-Alexandre (19). La même année, en
septembre, Claude-François rédigea un "Mémoire sur les
bois propres à la construction navale" qu'il se proposait
de fournir au roi. Ce long mémoire s'étendait sur les
différentes qualités de bois et leurs modalités de
livraison. D'ALESSO faisait autant preuve de talent dans
sa connaissance des bois de marine que de zèle pour
flatter le souverain. La lettre d'accompagnement de ce
mémoire n'était ni plus ni moins qu'une demande de grâce.
d'ALESSO cherchait les faveurs du Roi afin de se refaire
une situation :
"Monseigneur,
J'ay l'honneur de vous envoyer cy joint un mémoire
concernant la marine qui m'a paru d'assez grande consé-
quence pour pouvoir l'adresse à votre grandeur direc-
tement; elle y verra que j'offre de procurer des bois de
construction en quantité et en qualité admirable.
Je souhaite d'autant plus que cette proposition vous
soit agréable quand fournissant au roy cette partie essen-
tielle de ses forces, elle pourra vous prouver,
Monseigneur, toute l'étendue de mon zèle. Il est tel que
l'oubli réitéré de la Cour dans la distribution des grâces
qu'il a plu au Roy de répandre dans cette colonie à
l'occasion des deux sièges de 1759 et 1762 n'est point
capable de le rebuter.
Sensible à cette privation que je ne crois pas avoir
méritée, j'aime mieux l'attribuer à l'injustice des chefs
qu'à la malveillance du prince.
L'état de mes services que j'ay l'honneur de vous
présenter Monseigneur, vous fera constater si j'ay mérité
d'estre excepté des grâces du Roy. Il est humiliant pour
moy d'en estre privé après avoir fait tout ce qu'il
falloit pour me les prouver.
Je puis avancer sans immodestie que j'ay esté un des
principaux mobiles de la conservation de cette colonie en
1759. Le certificat de M. de Beauharnais que j'envoyé à M.
de Cervier en 1761 fait foy à ce sujet.
En 1762, j'ay fait dans le cours du siège de cette
colonie tout ce que l'honneur et le zèle le plus déterminé
pouvoient exiger (...).
Il me semble, Monseigneur, que si vous eussiez esté
informé de mes services et de ma blessure votre bonté
équitable vous auroit engagé à m'accorder la croix de
Saint-Louis; je viens d'en voir distribuer auxquels je ne
peux qu'applaudir, dans le mesme temps que je me vois
sevré de cette mesme grâce.
Les services et les blessures sont d'ordinaire les
motifs qui provoquent cette récompense militaire; par
quelle fatalité en suis-je donc privé en offrant l'un et
l'autre. Vous este équitable, Monseigneur, et tr p clair-
voyant pour vous en laisser imposer par les comptes
perfides de chefs prévenus. Les faits que j'avance sont
dans l'exacte vérité; je me flatte qu'ils suffiront pour
vous engager à m'accorder une marque d'honneur que je me
suis empressé toute ma vie de mériter et dont la privation
seroit en quelques façons déshonorantes pour moy.
Ministre du Roy bienfaisant et juste, vous le repré-
sentez à ses peuples dans toute votre administration;
daignez donc, Monseigneur, en répandre les influences
jusqu'à moy; j'attends cette grâce de votre bonté
équitable.
Je suis avec un profond respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
DALESSO DERAGNY"
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