G.H.C. Bulletin 85 : Septembre 1996 Page 1708

La Guyane; aperçu géographique et historique

Ce ne fut  pas  cinquante  familles  que  l'on  envoya  en
Guyane, mais  15.000  personnes  environ,  recrutées  dans
l'Est de  la  France,  en  Suisse,  en  Allemagne,  furent
amenées à Kourou. Mal logés, mal nourris, peu  enclins  au
travail de la terre, ils moururent par milliers.
Six mille survécurent et les  9/10  furent  rembarqués  de
force. Cette catastrophe  fit  perpétuer  l'affirmation  :
"Guyane française, pays malsain, cimetière des  Européens"
(cf. Pierre THIBAUBAULT, "Echec de la démesure en  Guyane.
Autour de l'Expédition de Kourou").

     La situation fut rétablie par un homme  énergique  et
compétent,  propriétaire  à  Saint-Domingue,  MALOUET.  La
Guyane connut son âge d'or économique à la fin du XVIIIème 
siècle. "Les plus grands espoirs s'ouvraient  de  voir  la
colonie délivrée de son mauvais destin" (Dr. Henry).

     Au XIXème siècle, trois événements vont  marquer  son
Histoire.
- L'abolition de l'esclavage
Dès 1789, les idées de liberté et d'égalité affirmées  par
la Déclaration des Droits provoquèrent de l'agitation chez 
les esclaves. Mais il n'y eut pas de révoltes importantes, 
comme en Martinique, en Guadelou e  et  surtout  à  Saint-
Domingue. Seul incident, à l'Approuague, où  des  esclaves
se révoltèrent et assassinèrent leurs maîtres en 1791. Ils 
furent arrêtés par d'autres  esclaves  restés  fidèles  et
armés par leurs  propriétaires.  En  récompense,  certains
furent affranchis; ce fut le cas d'un BARTHÉLEMY.
    En 1794, les Montagnards, sur la proposition de l'Abbé 
GRÉGOIRE, abolirent l'esclavage. ROBESPIERRE s'était écrié 
à la tribune de la Convention : "Périssent  les  colonies,
s'il doit vous en  coûter  votre  honneur,  votre  gloire,
votre liberté !". Mais rien n'avait été prévu  pour  faire
vivre les anciens esclaves. Le gouverneur de la Guyane  se
contenta de leur dire : "Vous êtes libres ! Faîtes mainte- 
nant ce que  vous  voulez  !".  Aussitôt  les  plantations
furent abandonnées : pour  l'esclave,  le  travail  de  la
terre était synonyme d'esclavage. Certains reconstituèrent 
leurs tribus et rejoignirent les "marrons" sur  les  rives
du Maroni.

     En 1802, BONAPARTE rétablit l'esclavage.  La  plupart
des noirs reprirent docilement leur joug. Cependant deux à 
trois mille refusèrent. On envoya contre eux des hommes de 
couleur libres : nouvelle guerre fratricide organisée  par
Victor HUGUES.
     De 1828 à 1843, Mère JAVOUHEY, de l'Ordre  de  Saint-
Joseph de Cluny, prouva qu'on pouvait faire prospérer  des
plantations avec des noirs libres.  Elle  affranchit  cinq
cents esclaves, les installa à Mana, et leur  travail  fit
de cette commune la plus prospère de la colonie. Elle  dut
lutter non seulement contre  les  colons,  mais  également
contre les autorités religieuses qui la désavouèrent (elle 
fut privée de l'Eucharistie en 1841).

     Mais la fin définitive de l'esclavage approchait. Dès 
1815, la traite était interdite. Après  la  Révolution  de
1848, le Gouvernement Provisoire, sur  la  proposition  de
Victor SCHOELCHER, abolit l'esclavage le 27  avril.  Comme
en 1794, la plupart des esclaves abandonnèrent les planta- 
tions pour venir à Cayenne ou vivre de  petites  cultures.
L'histoire de la culture spéculative guyanaise s'achevait.
Un exemple, en ce qui concerne la production  de  sucre  :
2.309.180 kg en 1847; 401.618 kg en 1851 : 

- Le Bagne
Pendant la Révolution de 1789, la Guyane avait déjà  servi
de lieu  de  déportation  pour  les  condamnés  politiques
("guillotine  sèche").  Parmi  de   nombreux   royalistes,
prêtres réfractaires, jacobins, les plus célèbres furent : 
COLLOT d'HERBOIS, BILLAUD-VARENNES, PICHEGRU,  BARTHÉLEMY,
installés à Sinnamary. La déportation  politique  continua
au XIXème siècle : DREYFUS.
     C'est en 1854 que NAPOLÉON III institua le bagne pour 
les condamnés de droit commun.  Il  s'agissait  de  débar-
rasser Brest,  Rochefort  et  Toulon  de  ce  que  DUCROS,
Ministre de la Marine et des colonies,  avait  appelé  une
"vraie lèpre sociale qui  entretenait  les  traditions  de
l'école du crime dans les  bas-fonds  de  la  population".
NAPOLÉON III, lui, paraît plus optimiste : "Il  me  semble
possible de rendre la peine des travaux forcés plus  effi-
cace,  plus  moralisatrice,  moins  dispendieuse  et  plus
humaine en l'utilisant aux progrès  de  la  colonisation".
Pour  tous  ces  objectifs  l'échec  fut  complet.  En  se
limitant à l'aspect économique,  l'histoire  de  la  route
coloniale no. 1, surnommée no.  O,  car  elle  n'a  jamais
dépassé quelques kilomètres, est restée célèbre. La  seule
conséquence fut de perpétuer la fâcheuse réputation de  la
Guyane : pays du bagne après avoir été  le  cimetière  des
Européens !

- La découverte de l'or
Dernier avatar de l'histoire de la Guyane au XIXème.
En 1855, l'El Dorado tenait enfin ses promesses. Mais cela 
n'enrichit ni la plupart des orpailleurs (qui  dépensèrent
le peu qu'ils avaient gagné), ni l'Etat  (la  plus  grande
partie de la production passait  en  contrebande).  En  90
ans, elle est officiellement de 160  tonnes.  En  réalité,
elle fut de 4 à 500 tonnes !
     Surtout, cette découverte eut quatre conséquences :
1. l'abandon des dernières plantations : les vivres durent 
être importés;
2. le développement du commerce à Cayenne pour ravitailler 
les placers : prospérité factice.
Établissement de  nombreuses  rhumeries  pour  fournir  le
tafia aux mineurs;
3. une nouvelle immigration : Hindous, Antillais (français 
et anglais)...
4. la réduction de la Guyane à ses limites actuelles : les 
frontières avec le Surinam et le Brésil  n'avaient  jamais
été fixées définitivement. Il se trouve que c'est dans les 
territoires contestés que l'or fut  découvert  en  premier
lieu. La Hollande et  le  Brésil  les  revendiquèrent.  La
IIIème République se désintéressa de ce problème, qui  fut
réglé par arbitrage. En 1882, le Tsar de Russie, Alexandre 
III, donna la région de l'Awa à la Hollande. En  1900,  la
Suisse donna la région d'Amapa au Brésil.

    Au XXème siècle, la Guyane est une colonie habitée par 
des citoyens français. Sur le plan administratif et  poli-
tique, elle fut progressivement dotée d'un  système  simi-
laire à celui de la métropole :  des  conseils  municipaux
dans les communes, un conseil général, un député.


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