G.H.C. Bulletin 83 : Juin 1996 Page 1650

Loÿs L'HERMINIER, homme de plume énigmatique
Willy Alante-Lima

      On peut  se  demander  si  l'inexistence  littéraire
virtuelle ne fut pas le sort  ou  la  caractéristique  des
hommes de plume (non de  Lettres  !)  d'origine  guadelou-
péenne les plus significatifs du XIXème siècle. Avec  Loÿs
L'HERMINIER, nous pensons à Alexandre  PRIVAT  d'ANGLEMONT
et à MELVIL-BLONCOURT qui, vivants, méritaient  mieux  que
le purgatoire qu'ils endurent encore.

     Pourtant, tous ont fait partie du cénacle des  grands
lettrés du XIXème siècle, ont été amis intimes et  estimés
des plus célèbres d'alors, et qui le sont restés.
     Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT  fut  l'ami  de  Charles
BAUDELAIRE. Le premier auditoire de celui-ci a été MELVIL- 
BLONCOURT et Jules LEVALLOIS. Ce dernier écrivit :  "Quand
il avait composé une  nouvelle  pièce  de  vers,  il  nous
réunissait en petit cénacle dans quelque  crémerie  de  la
rue Saint-André-des-Arts ou dans quelque modeste  café  de
la  rue  Dauphine,  MELVIL-BLONCOURT,  Antonio   WATRIPON,
Gabriel DANTRAGUES, Alfred DELVAU" (1).

     Loÿs L'HERMINIER, comme il se faisait nommer, et  non
Eloys LHERMINIER,
  est né à Basse-Terre (Guadeloupe)  le  3
juin 1813, décédé à Paris le 2  avril  1893  ;  il  a  été
inhumé le  5  avril  au  cimetière  de  Montmartre  (18ème
division, 4ème ligne). Cette concession à  perpétuité  no.
22 date de 1896. A l'intérieur figurent six  plaques  dont
quatre aux  noms  d'Yvonne  et  Germaine  L'HERMINIER,  et
monsieur et madame Léon L'HERMINIER.
     Il était le fils de Félix Louis L'HERMINIER. Dans  la
biographie universelle de Michaud l'on lit : "...chimiste- 
pharmacien et naturaliste du Roi à la Guadeloupe, naquit à 
Paris le 18 mai 1779. Partit de Paris à l'âge de  16  ans,
passa en Amérique et s'établit à la Guadeloupe  ...  Exilé
en 1815, par suite des troubles qui survinrent à la Guade- 
loupe, il  se  rendit  d'abord  aux  États-Unis,  dans  la
Caroline du Sud, puis alla se fixer dans l'î e  de  Saint-
Barthélemy."

     Parmi les  amis  de  Loÿs  L'HERMINIER,  l'on  compte
Alfred et Paul de MUSSET, GUICHARDET et Hippolyte  LEJOSNE
(Commandant). Ces deux derniers ont été,  le  1er  octobre
1863, témoins à son mariage.
     BAUDELAIRE connaissait L'HERMINIER depuis 1846  :  le
1er juin, tous  deux  étaient  à  une  soirée  donnée  par
BANVILLE et VITU. Le fait est attesté par  une  invitation
adressée à Ernest PRAROND le 27 mai 1846 (2).
     "MM. Théodore de  Banville  et  Auguste  Vitu  prient
monsieur Ernest Prarond de leur faire l'honneur  de  venir
passer chez eux la soirée  du  lundi  1er  juin  avec  MM.
Baudelaire Dufaye (3), Théodore Barrière, Alfred  Busquet,
Michel  Carré,  Hippolyte  Castille,  Champfleury,  Pierre
Dupont,  Lherminier,  Armand  du  Mesnil,  Victor  Perrot,
Auguste Supersac, Auguste Vacquerie, Jules  Viard.  On  se
réunira à 8 heures. On dansera".
     D'après une note de PRAROND écrite au dos de  l'invi-
tation adressée  en  1886  à  Eugène  CRÉPET,  le  premier
biographe de Baudelaire, se joindront à eux les fils HUGO, 
NADAR et SONGEON.
   L'on connaîtra Loÿs L'HERMINIER, au moins par les mémo- 
rialistes du  milieu  littéraire  de  ce  temps  :  Firmin
MAILLARD, Théodore de BANVILLE et Maurice DREYFOUS.

   Dans son "Requiem des Gens de Lettres", Firmin MAILLARD 
consacrant une notice nécrologique à Guichardet,  écrit  :
"A l'hôpital Necker mourait un Bourguignon... le  Ministre
d'État mis à la disposition des  amis  de  Guichardet  une
somme de 300 francs. On l'enterra  à  Montmartre  dans  le
tombeau de famille d'un de ses amis, M. L'HERMINIER".
Le même Firmin MAILLARD, évoquant la fermeture définitive, 
le 14 octobre 1859 (4) du divan  Le  Pelletier,  fondé  en
1837, note dans "La Cité des Intellectuels"  :  "C'est  là
que triomphait la fameuse formule "les plus  beaux  livres
ne  sont  pas  ceux  que  l'on  écrit",  et  j'y  entendis
LERMINIER, qui donnait son obole pour une souscription  en
faveur des inondés, demander simplement si  l'on  n'allait
pas bientôt en ouvrir une pour les gens à sec"  (Observons
en passant que pour ce même homme la graphie du  patronyme
varie d'un ouvrage à l'autre).

     Est-ce peut-être avec raison que BANVILLE,  dans  une
ode, "Le divan Le Pelletier", écrit :
               "Ce fameux divan est un van
            Où l'on vanne l'esprit moderne..."
     Dans une autre, intitulée  "Nadar",  il  présente  en
médaillons, croquées à grands traits, quelques  célébrités
des Arts et des Lettres que l'on  voit  aux  premières  du
Vaudeville, où après avoir dit :
               "... et l'on remarque aussi 
                le bataillon des chauves"
dans la strophe suivante, l'on lit :
      "C'est le brun Lherminier, Sansonoff et Murger
                  Et Lemer, doux lévite
   Leurs cheveux peuvent dire en choeur avec Burger (5)
             Hurrah ! Les morts vont vite !".

     Au chapitre du Commentaire  (1873)  accompagnant  ses
"Odes funambulesques",  BANVILLE  écrit,  en  page  350  :
"L'Herminier. C'est lui que BALZAC a pris pour  modèle  de
son "La Palférine" (6). Il avait fondé le  "Portefeuille",
revue diplomatique. Il a été le  seul  homme  qui  ait  su
jouer Don Juan, la scène  avec  M.  Dimanche,  et  quoique
Balzac les ait écrémées, les belles histoires  parisiennes
dont il a été le héros rempliraient encore un volume".
     Quand l'on sait que ce personnage de Balzac était  un
Don Juan, disons madré, l'on est fondé à croire  que  Loÿs
L'HERMINIER ne fut pas inconnu du beau sexe !
     Maurice DREYFOUS, dans son livre "Ce que je  tiens  à
dire" (1912), évoquant ses amis ("notre sextuor") dans  un
chapitre intitulé "La colonie  de  l'enclos  des  Ternes",
trace un  portrait  plaisant  pris  sur  le  vif  de  deux
habitants du lieu, voisins de Théodore BARRIèRE, Severiano 
de HEREDIA et Loÿs L'HERMINIER. A son dire,  Severiano  de
HEREDIA "était en son jeune temps doué pour le farniente".

     Mais il y avait mieux que lui : il évoque  alors  "un
autre habitant de cet enclos  des  Ternes  si  fertile  en
originaux, un créole du nom de LHERMINIER. S'il  ne  reste
pas une ligne signée par ce LHERMINIER, il  en  existe  en
revanche plus d'une, et des meilleures, dans  les  oeuvres
des gens qui l'ont feuilleté durant trente années, se sont 
approprié ses formules éblouissantes  et  ses  inimitables
paradoxes. Un jour que nous nous acharnions après lui pour 
le supplier de vaincre sa paresse :                        


Page suivante
Retour au sommaire




Révision 28/12/2004