G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1492
TRAHISON DES ROYALISTES GUADELOUPÉENS PAR LES ANGLAIS
républicaine, et nous le priâmes de s'expliquer. Il eut la
perfidie de nous dire que jamais il ne capitulerait; qu'il
avait des malades qu'il ne pouvait abandonner et qu'il
voulait défendre jusques à la mort, ainsi que le poste qui
était confié et qui était pour la colonie de la plus
grande importance; qu'il ne pouvait le faire sans notre
secours; qu'en conséquence nous devions combattre,
triompher ou mourir ensemble et que, si les Royalistes
l'abandonnaient, ils seraient cause de sa perte et de
celle de la colonie entière par celle du terrain qu'il
occupait; qu'au surplus il attendait des secours qui ne
pouvaient pas tarder, ce qui devait nous donner de la
confiance. Nous n'en eûmes que trop, nous en prîmes en ses
promesses; l'honneur et l'intérêt de la colonie nous
faisaient un devoir impérieux de défendre l'armée anglaise
qui, sans nous, ne pouvait se soutenir. Il n'y eut là
dessus qu'une voix; personne ne craignait de mourir les
armes à la main mais on craignait les perfides capitu-
lations. Hélas ! Etait-ce avec raison !
Capitulation
Le lundi 6 octobre, un parlementaire républicain
arrive au camp; il était envoyé de la Pointe-à-Pitre par
le commissaire HUGHES; le plus grand mystère couvre
l'objet de sa mission qui donne lieu à un conseil de
guerre. On nous dit de nous préparer au combat, nous en
voyions les préparatifs autour de nous, nous le désirions
tous et attendions ce moment comme celui de la délivrance
de la colonie. Depuis quatre jours, l'amiral JERVIS était
mouillé devant le Gosier et nous ne doutions point que,
nous voyant engagés, il ne fût stimulé et qu'il ne hâtât
le mouvement si désiré qui devait nous délivrer. La nuit
du lundi au mardi 7 se passe comme les autres sous les
armes mais dans l'attente continuelle de l'attaque que
supposaient exprès, les officiers anglais pour mieux nous
tromper : c'était pour cacher aux Royalistes ce qui se
passait, pour détourner leur attention du quartier général
et, pour être plus sûr, on avait fait défense aux lignes
de laisser sortir personne, on avait placé des sentinelles
entre les lignes et le quartier général. Pendant ce temps,
on y trafiquait notre vie, on livrait la colonie : un
officier républicain, arrivé furtivement dans la nuit,
réglait avec le général dans sa tente les articles de
l'infâme capitulation qui livrait aux nègres trente pièces
de canons de tout calibre, des mortiers et des obusiers,
des munitions de guerre de toute espèce dont ils
manquaient, les ouvrages les plus importants pour la
conservation de la colonie, et trois cents et quelques
Royalistes défenseurs de l'armée anglaise pour servir
d'aliment à la rage républicaine, pour étancher la soif
inextinguible du sang qui dévore tous les imbéciles
français qui sont dévoués à la cause de la Convention, qui
se détruisent tous entre eux aveuglement sur le caprice et
pour l'intérêt d'une poignée d'ambitieux qui les trompent
et se disputent le pouvoir souverain sur les ruines de la
Patrie.
La chaloupe
On nous annonce cette affreuse nouvelle au lever du
soleil : il n'était plus temps de prendre un parti. La
désolation, la confusion étaient dans le camp; l'espérance
soutenait encore la plupart, on leur faisait accroire que
l'on négociait à cet instant un article en faveur des
habitants, que les mulâtres libres avaient leur grâce; par
ce mensonge on divisait les Royalistes, on les empêchait
de prendre un parti décidé qui devenait d'ailleurs en cet
instant très périlleux par le grand nombre de troupes
ennemies qui couvraient depuis la veille les chemins de
sortie et qui auraient pu aisément écharper ceux que le
feu des batteries dirigé en plein jour eût épargnés. Dans
cette douloureuse confusion, plusieurs des moins confiants
se jetèrent dans les palétuviers environnants au risque de
tous les périls qui devaient les y accompagner, et ce
furent les plus sages. Vingt-cinq seulement devaient être
embarqués sur un bateau couvert, d'après un article de la
capitulation, et les autres livrés à la barbarie de leurs
implacables ennemis, pour le prix du retour en Angleterre
de quelques officiers anglais malheureusement ennuyés des
colonies.
J'étais du nombre des vingt-cinq sauvés dans le
bateau couvert; deux officiers républicains (dont un
créole des colonies cruellement persécuté après la
conquête, délivré des prisons à l'arrivée des patriotes et
qui mérite toute notre reconnaissance par ses généreux
procédés) surveillaient notre embarquement aux ouvrages de
St-Jean; quatre de nos malheureux camarades qui n'étaient
point compris dans la liste des vingt-cinq nous y avaient
accompagnés. Nous avions prié Mr MONROUX (12), le créole
républicain dont je viens de parler, de souffrir leur
embarquement; il avait promis d'y fermer les yeux et d'y
engager son camarade qui alors était au quartier général.
Au moment de l'embarquement nos quatre malheureux amis se
glissent avec nous, les Républicains s'en aperçoivent et
ne disent mot... Le croiriez vous ! Un officier anglais,
un nommé STOWEN, que je dois vous faire connaître,
l'auteur de tous nos maux puisque ce fut le plus ardent
solliciteur de la capitulation auprès du général,
regrettant sans doute que le sacrifice soit moindre de ces
quatre victimes, se récrie et veut vérifier; il demande la
liste pour compter : la liste ne se trouve heureusement
point et, à la honte du nom anglais que STOWEN déshonore,
des Républicains plus généreux, eux nos ennemis naturels,
eux qui, par devoir, doivent être sévères en cette
occasion, refusent la vérification, nous font tous
embarquer et sauvent la vie, malgré STOWEN, à quatre
Royalistes !
Culpabilité des Anglais
Concevez notre douleur après avoir versé tant de
larmes sur le malheureux sort qui attendait nos camarades
laissés derrière nous, dans lesquels se trouvaient nombre
de pères de famille et la plus belle jeunesse, concevez,
dis-je, notre douleur, en arrivant à bord de l'amiral,
d'apprendre que ce jour-là même il avait fait ses
dispositions pour venir à notre secours; que ce jour-là
même étaient enfin arrivées à Ste Marie quelques troupes
d'envoi de Mr PRESCOTT qui commandait à la Basse-Terre;
que ces troupes devaient incontinent marcher vers nous
avec un rassemblement de Royalistes. Quelques jours,
quelques heures plus tard l'affreux sacrifice n'avait pas