G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1491
TRAHISON DES ROYALISTES GUADELOUPÉENS PAR LES ANGLAIS
aux environs de la rivière du Coin; les troupes anglaises
en état d'agir montaient, avec le secours d'une cinquan-
taine de matelots tirés du vaisseau et des frégates du
Petit-Bourg, à deux cents hommes; deux cent quarante
habitants blancs et cent vingt mulâtres et nègres libres
formaient le secours des Royalistes entrés au Camp le 28
au soir. Avec des forces aussi peu proportionnées, on
attendit l'attaque avec résolution : elle eut lieu le 30 à
la barre du jour et, après un combat de trois heures où
toutes les troupes de ligne et de royalistes blancs et de
couleur déployèrent le plus grand courage et le feu le
mieux soutenu, les patriotes prirent la fuite en laissant
sur le champ de bataille et les palétuviers voisins nombre
de morts et de mourants. Leur perte fut calculée à la
Pointe-à-Pitre et nous avons su depuis qu'elle y fut
portée à neuf cents hommes tués ou blessés mais sur
lesquels il est probable qu'il y eut beaucoup de fugitifs.
Cette affaire jeta une telle épouvante parmi les bandes
africaines que leurs chefs ne purent jamais depuis les
déterminer à nous attaquer de nouveau et ils se bornèrent
à ériger des batteries contre nous.
Occasions manquées
C'était l'instant ou l'on devait profiter de la
victoire, profiter de la terreur dont les noirs étaient
atteints, pour en débarrasser pour jamais la Guadeloupe.
S'ils eussent été poursuivis, si quelques rassemblements
de Royalistes se fussent offerts à leurs yeux, ils
rentraient à la Grande-Terre en désordre et nous
reprenions nos premiers postes. Mais le défaut d'ensemble;
mais le défaut d'organisation des milices; mais l'insou-
ciance, l'indolence et l'égoïsme des chefs de la colonie
qui se répandaient de proche en proche sur les parti-
culiers; mais... cette fatalité qui nous conduisait depuis
quelque temps avait décidé notre perte et l'ennemi ne fut
point poursuivi; il eut encore tout le temps de se
remettre de sa frayeur.
Je ne sais si Mr GRAHAM, à l'exemple de Mr DRUMOND, se
retranchera dans le compte qu'il sera obligé de rendre de
sa capitulation, sur le défaut de courage des Royalistes;
mais je sais fort bien que tous les officiers anglais
furent étonnés de la vivacité du feu qu'ils déployèrent
dans le combat du 30 7bre (11), que le général leur
écrivit une lettre de remerciement et de félicitation, et
que sans eux c'en était fait de l'armée anglaise, qui
n'aurait pu résister avec deux cents hommes en santé
contre toute cette multitude d'attaquants; que chaque
individu des six cents hommes de cette armée doit la vie
aux Royalistes qui se sont dévoués à leur secours : eh
bien, huit jours après, ils sont sacrifiés, vendus et
livrés aux bourreaux qui prennent le nom de patriotes et
qui se baignent dans le sang de leurs concitoyens qui, par
principe et de sang-froid, sont plus cruels que les bêtes
sauvages les plus féroces. Le mensonge et la perfidie ne
coûtent rien au général anglais pour tromper, pour retenir
près de lui les victimes avec lesquelles il compte acheter
son lâche retour en Angleterre. O crime ! O douleur ! O
jour d'exécrable mémoire !... Mais n'anticipons pas.
La défaite des patriotes, la désertion qui en fut la
suite, la terreur dont les noirs furent atteints ne
permettant plus à leurs généraux de les ramener au combat,
ils se déterminèrent à nous couper les communications dans
l'espérance de nous prendre par famine. Des chaloupes
canonnières nous cernèrent du côté de la mer et des
batteries élevées sur tous les points environnant la
rivière du Coin, en nous incommodant beaucoup, remplis-
saient leur dessein. Nous l'apercevions sans inquiétude,
il était si facile de le faire avorter ! Nous n'avions sur
les derniers jours qu'une demi-livre de farine dont nous
faisions une pâte cuite que nous mangions avec d'assez
bonne viande, des boeufs que les habitants de la Baie
Mahaut avaient fait entrer au camp dans la journée du 28
septembre et dont il y avait une quantité suffisante pour
plusieurs mois; avec cela, des cannes, des fruits et du
manioc qui se trouvait, quoiqu'en petite quantité, sur les
habitations du camp, nous pouvions vivre plusieurs
semaines encore et attendre les secours qui devaient
inévitablement nous arriver.
Perfidie du général Graham
L'amiral JERVIS était mouillé au Gosier; le moindre
mouvement de sa part rétablissait la communication par mer
avec la Basse-Terre; il pouvait pulvériser les batteries
du petit îlet à Cochon; il pouvait chasser les chaloupes
canonnières des Républicains; il pouvait faire entrer ses
frégates et même ses vaisseaux par la passe du Mazarin et
nous jeter les secours dont nous avions besoin. Nous
attendions d'ailleurs et devions attendre une apparition
quelconque de troupes, soit réglées ou de marine, soit des
Royalistes des quartiers de la Capesterre, Trois-Rivières,
Basse-Terre et ceux de l'île sous le vent, jusqu'à Ste
Rose qui n'avaient pu le premier jour se rendre au camp;
et cette apparition, en quelque petit nombre qu'elle fût,
dans la disposition où se trouvaient les Africains,
suffisait, comme je l'ai dit, pour les faire rentrer à la
Grande-Terre. Nous avions enfin la ressource des sorties
que nous sollicitions vivement du général GRAHAM depuis
l'instant de la défaite des patriotes et auxquelles il
s'est toujours refusé avec persévérance; à deux cents pas
de nos barricades qui prenaient peu à peu la forme d'épau-
lements par les travaux des habitants eux-mêmes, aidés de
quelques domestiques, s'élevaient des batteries dont le
feu de mitrailles, par la position du terrain en amphi-
théâtre, ne permettait pas sans les plus grands dangers de
s'éloigner à dix pas des lignes. On ne voyait qu'une
vingtaine d'hommes occupés à établir ces pièces qu'il
était très facile d'enlever; on le demandait avec
instance, le salut commun y était fortement intéressé et
l'on éprouvait encore le refus du général.
Cependant, il témoignait de temps en temps une assez
vive inquiétude et, la communiquant à ceux qui l'appro-
chaient, nous ne pûmes un jour nous dispenser de sonder
ses intentions sur une capitulation que nous avions raison
de craindre, de lui déclarer que l'intention des Roya-
listes était dans ce cas de se faire jour, l'épée à la
main, pour ne pas devenir les victimes de la fureur