G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1490
TRAHISON DES ROYALISTES GUADELOUPÉENS PAR LES ANGLAIS
L'hivernage et les fièvres
Après l'évacuation de la Grande-Terre, après l'embar-
quement désolant de toutes les familles royalistes qui se
trouvaient à portée, qui se précipitaient à la mer de
crainte de manquer les chaloupes et de rester pour
victimes au sacrifice du nouveau culte et partaient sans
argent, laissant aux patriotes leurs manufactures remplies
de denrées qu'on leur avait empêché de vendre depuis la
conquête; après l'embarquement des troupes, elles se divi-
sèrent et furent reprendre leurs garnisons respectives.
Les postes de la Baie Mahaut furent renforcés, de
nouvelles batteries furent élevées et l'on établit des
frégates pour empêcher la communication par mer et
l'entrée des subsistances à la Grande-Terre par la voie
des neutres. Nous devions croire du moins que la Guade-
loupe demeurerait intacte et ne comptions pas éprouver de
plus grands malheurs par un nouveau manque de surveillance
de la Marine. L'hivernage finissait et de semaines en
semaines on nous annonçait l'arrivée de forces
d'Angleterre. On nous promettait, au moins, le retour de
l'escadre de l'amiral JERVIS qui nous aurait tranquillisés
sur les craintes d'un débarquement des noirs de la Grande-
Terre sur les endroits de la côte sans défense, ce dont
nous étions menacés depuis quelque temps d'après les
rapports de nos espions. Nous n'osions plus nous fier à la
surveillance des frégates qui, chaque jour, laissaient
entrer à la Grande-Terre des vivres, des munitions de
guerre et des bandits sortant des îles neutres. Presque
tous les soldats anglais des colonies étaient morts ou
mouraient au camp Berville où ils arrivaient successi-
vement, par le peu de soin, de surveillance et d'activité
des officiers et des chirurgiens, par la très mauvaise
administration qui y régnait; et cette armée qui pouvait
très facilement conquérir, trois mois avant, la Grande-
Terre avec une persévérance de quelques jours de plus,
cette armée qui en était partie, dit-on, à l'approche de
l'hivernage de crainte de perdre quelques soldats par les
fièvres, était périe en détail par les fièvres.
Les Républicains n'avaient pas été plus épargnés; les
fièvres avaient fait le même ravage parmi les troupes
venues de France et elles étaient réduites à une couple de
cent. Mais ils avaient une armée noire de deux ou trois
mille hommes qu'ils exerçaient tous les jours avec
assiduité. Mais ils avaient pour matelots et canonniers
tous les bandits chassés des colonies conquises et qui
étaient repassés à la Grande-Terre sans que les frégates
croiseuses y eussent apporté le moindre obstacle. Mais ils
étaient enfin actifs et entreprenants, et nous ne
connaissons que trop la tranquille confiance, pour ne pas
dire l'indolence et l'apathie de nos défenseurs.
Les habitants de la Guadeloupe proposèrent plusieurs
fois aux généraux de lever, de leur côté, une armée noire
dont les officiers et sous-officiers auraient été choisis
parmi ceux qui restaient aux colonies des différents
régiments français qui y avaient servi et dont plusieurs
étaient dans le besoin. Un régiment, un seul bataillon de
pareilles troupes bien disciplinées, accoutumées au climat
et aux fatigues, épargnait la vie à nombre de soldats
anglais, nous préservait, sans doute, de l'invasion de la
partie de la Guadeloupe et conservait le pays. Ils ne
furent pas écoutés et le petit nombre de soldats anglais
en état de faire le service au camp Berville à la fin de
septembre enhardit les Républicains et leur fit tenter la
cruelle expédition qui nous coûte si cher.
Attaque du camp Berville
Dans la nuit du samedi au dimanche 28 septembre,
quatre cents hommes embarqués à la Pointe-à-Pitre, à la
vue des ouvrages de St-Jean, dans des chaloupes et des
grandes pirogues (que GRAHAM croyait destinées à touer
(10) une frégate républicaine qu'il supposait avoir
dessein de sortir et dont, à son habitude, il n'a fait
aucun cas) ont traversé le bras de mer de trois lieues qui
se trouve entre le Gosier et la paroisse de la Goyave. Un
vaisseau de 74 canons y était mouillé et deux frégates y
croisaient : la côte était sans défense; ils prirent terre
sans opposition et marchèrent dans la même nuit sur le
Petit-Bourg où ils arrivèrent de bon matin et dont ils se
sont emparés sans perte d'un seul homme, à la vue du
vaisseau "l'Assurance", de quelques "gun boats" et de
plusieurs autres bâtiments qui y étaient mouillés à portée
de fusil. Avec le Petit-Bourg ont été perdus tous les
magasins de l'armée, les vivres et les munitions de
guerre.
Dans la même nuit, huit cents hommes embarqués au
Port-Louis (devant lequel devait croiser une forte frégate
qui depuis plusieurs jours ne s'y trouvait pas), sur neuf
petites goélettes ou grandes pirogues, firent route sur le
Lamentin également sans défense et y débarquèrent de bon
matin, à la vue d'une corvette mouillée à la Baie Mahaut
pour la protection des côtes sur le derrière de l'armée,
et marchèrent sur le camp Berville qui, le soir du
dimanche 28 septembre, se trouva cerné par la jonction des
deux armées républicaines.
Tous les Royalistes de la Baie Mahaut, ceux de la
Grande-Terre qui y étaient en garnison, quelques-uns des
quartiers voisins se jetèrent dans le camp pour sa défense
sur l'ordre qu'ils en reçurent du général GRAHAM qui y
commandait. Il en avait un grand besoin, puisque de six
cents hommes de troupes qu'il avait, il y en avait quatre
cent cinquante sur le grabat. Des dispositions furent
faites à la hâte pour la commune défense. Il n'y avait
aucun ouvrage sur les derrières du Camp à la rivière du
Coin, qui se trouvait alors menacée. On y plaça quelques
pièces de campagne; on y fit quelques barricades à la hâte
et l'on y attendit l'ennemi qui n'attaqua pas cette
première nuit. Les Républicains nous réservaient pour le
lendemain, afin d'avoir le temps de rassembler toutes
leurs forces, ce qui leur était devenu facile par
l'évacuation du passage de la Rivière Salée qui leur
rendait la communication libre avec la Grande-Terre et
auquel le général avait été obligé par la position où il
se trouvait. Le lendemain 29, toutes les bandes noires, au
nombre de trois mille, étaient réunies sur nos derrières