G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1488

TRAHISON DES ROYALISTES GUADELOUPÉENS PAR LES ANGLAIS

par une disette affreuse, suite nécessaire de ces menaces, 
des obstacles apportés à la circulation des denrées par la 
défense  faite  d'en laisser sortir et d'en recevoir  dans 
les  villes en payement des subsistances,  enfin  par  les 
maladroites  prohibitions  de beaucoup de  denrées  améri- 
caines  de  première  nécessité aux colonies  et  dont  le 
commerce  britannique  ne  pouvait  encore  approvisionner 
celles  conquises.  Toutes ces causes réunies de méconten- 
tement augmentaient le parti des Républicains, malgré leur 
perversité  : il y a tant de sots dans tous les pays et si 
peu d'êtres réfléchis !

Débarquement des Républicains

     C'est, dis-je, dans ces dangereuses circonstances que 
les  troupes  républicaines firent  leur  débarquement  et 
grossirent  de  suite d'une couple de cent mauvais  sujets 
qui  leur  firent  croire  que  l'escadre  anglaise  était 
partie,  qui les instruisirent de la position  désastreuse 
de la colonie,  qui les décidèrent à tenter l'attaque,  ce 
qu'ils n'osaient entreprendre avec leurs faibles moyens.

     Les  Royalistes,  à  la nouvelle de  l'apparition  de 
cette flotte, se rendent en foule à la Pointe-à-Pitre; ils 
négligent  pour cela toutes les précautions de sûreté pour 
leurs familles au cas d'accident;  on les conduit,  dès le 
même soir, au poste de Fleur d'Épée qu'ils sont résolus de 
défendre  au prix de tout leur sang;  ils n'en  sont  qu'à 
cent pas,  ils rencontrent la garnison anglaise qui venait 
de  l'évacuer après avoir encloué tous les  canons;  leurs 
instances  pour l'engager d'y retourner sont inutiles.  Il 
n'y  avait  effectivement  aucun  moyen  de  défense   par 
l'inutilité  des canons et l'ennemi,  disait la  garnison, 
était à cent pas du poste.  Les Royalistes,  au désespoir, 
retournent  à  la  Pointe-à-Pitre;   ils  y  entourent  le 
commandant  DRUMMOND  (le même qui,  dans son rapport  que 
j'ai lu dans les papiers publics, accuse les Royalistes de 
la  perte de Fleur d'Épée),  ils le conjurent de  défendre 
avec eux la Grande-Terre. Vaincu par leurs sollicitations, 
et l'ennemi n'ayant pas pris, cette première nuit, posses- 
sion de Fleur d'Epée abandonné la veille,  il y renvoie au 
jour la garnison avec trois cents Royalistes et garde  les 
autres pour la défense de la Pointe-à-Pitre.

     Dans  la  journée,  les différents  détachements  qui 
composaient  la  garnison  de la Grande-Terre  et  qui  se 
trouvaient  répartis  dans les paroisses font  monter  les 
troupes  de  ligne à près de cent hommes et  nous  devions 
espérer  de voir arriver dans la journée un renfort de  la 
Basse-Terre  qui sauvait le pays;  mais l'irrésolution  de 
BLONDEL  nous  le faisait vainement attendre  toute  cette 
journée et toute celle du lendemain 5 juin.

Défense et abandon du fort Fleur d'Epée

    Imaginez un morne à moitié fortifié, tout un côté sans 
muraille  et sans épaulement;  les trois quarts des canons 
encloués,  très peu avaient été mis en état de tirer  dans 
les  journées du 4 et du 5,  faute d'ustensiles propres  à 
cette  opération  que l'on n'avait pas ou que l'on  ne  se 
donnait  pas  la peine de  chercher.  Point  d'ordre,  nul 
commandement.  DRUMMOND,  qui accuse les habitants, qui ne 
dit  pas tout et qui dans ce qu'il dit n'est pas  toujours 
vrai,  ne  paraissait  jamais  (on dit  pourtant  qu'il  y 
passait  les  nuits et je l'y ai vu celle  de  l'attaque), 
DRUMMOND  ne s'inquiétait nullement de la disposition  des 
forces royalistes qui cependant  devaient le défendre.  Il 
se  plaint  du peu de discipline et de courage  des  Roya- 
listes  dans la sortie qu'il leur fit faire le soir du  4; 
et  pourquoi envoyer dans la nuit cent  cinquante  hommes, 
qu'il  connaît sans discipline et qui ne peuvent en avoir, 
attaquer  quinze cents hommes disciplinés et derrière  des 
canons ?   Quel   était  le  but  de  cette   inconcevable 
démarche ?  N'était-ce point énerver le courage des  siens 
par le sacrifice qu'il en paraissait faire,  et encourager 
les ennemis à l'attaque ?  Ce qui est arrivé.  Pourquoi la 
majeure   partie   des  forces  royalistes   étaient-elles 
conservées à la Pointe-à-Pitre ?  Il y gardait cinq  cents 
hommes  très inutilement et n'en envoyait que trois  cents 
au poste important de Fleur d'Epée,  manquant encore d'eau 
et de subsistances. Pourquoi avait-il placé la plus grande 
partie des forces de Fleur d'Epée en dehors des murailles, 
faute  de  banquettes,   dit-on,  qu'il  était  facile  de 
fabriquer à la hâte ?  Les malheureux habitants qui défen- 
daient  la partie attaquée étaient dans cette disposition; 
ils furent fusillés par le feu plus de l'intérieur que  de 
l'extérieur et,  voulant regagner la hauteur, étaient pris 
par  le petit corps de réserve anglais pour des ennemis et 
cruellement  sacrifiés :  le  désordre dans  cette  partie 
devenait inévitable.  Les autres compagnies avaient  ordre 
de rester invariablement à leur poste;  l'ennemi qui avait 
pénétré  se  formait  derrière  elles au  milieu  du  fort 
pendant  que les troupes réglées gardaient constamment  la 
porte où il n'en parut point;  et sans la profonde  obscu- 
rité de la nuit le sacrifice était complet.

     C'est  après l'ouverture des portes,  c'est après  la 
sortie  de DRUMMOND et de sa garnison que la  plupart  des 
Royalistes  le  suivirent,  très en désordre il est  vrai, 
mais  c'était  inévitable,  et la  garnison  elle-même  en 
donnait  l'exemple.  Nous  trouvâmes à notre passage à  la 
Pointe-à-Pitre le morne du Gouvernement sans défense, tous 
les  postes  abandonnés,  et ce fut avec la mort  dans  le 
coeur  que chaque individu chercha un refuge à  la  Guade- 
loupe,  laissant la plupart leurs familles livrées à toute 
l'horreur  des humiliations,  à toutes les atrocités  dont 
les  Républicains  français ont abreuvé notre  malheureuse 
Guadeloupe.

Regroupement des forces royalistes et anglaises

    Fleur  d'Epée  et  la ville de  la  Pointe-à-Pitre  au 
pouvoir de l'ennemi dans la nuit du 5 au 6,  les habitants 
se  rassemblent à Sainte-Marie (7) et sont joints le 6  au 
soir  par quatre cents hommes de troupe de ligne  dont  la 
moitié  nous  eût sauvés la veille mais partis  malheureu- 
sement  trop  tard  de  la  Basse-Terre.  Les  différentes 
compagnies se forment et suivent la petite armée  anglaise 
au  Petit-Bourg  et,  bientôt  après,  à la  Baie  Mahaut. 
L'espoir  de  posséder bientôt la  Grande-Terre  que  nous 
venions de perdre était dans tous les coeurs par l'arrivée 
de l'escadre et des troupes qui arrivent successivement de 
toutes  les  îles.   Elles  débarquent,  quoiqu'en  petite 
quantité,  au  Gosier,  avec  tous  les Royalistes  de  la 






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