G.H.C. Bulletin 76 : Novembre 1995 Page 1452
Deux gouverneurs des Antilles
Guy Stéhlé
Le gouverneur Delphino MORACCHINI
Gouverneur des colonies. Voilà un titre qui évoque le
faste, le décorum, la puissance ! Pourtant, au tournant du
siècle, le poste de gouverneur aux Antilles n'est pas
obligatoirement une sinécure et le séjour n'y est pas
forcément idyllique. Pour illustrer mon propos, je vous
conterai les tribulations d'un gouverneur dont le nom ne
vous dira sûrement rien et qui, pourtant, a bien servi les
Antilles. Il s'appelle Delphino Moracchini.
Né en Corse en 1846, diplômé d'une licence en droit
et de l'École coloniale, il commence modestement une
carrière outre-mer dans la magistrature. Elle le conduit
successivement, en 1875, à Cayenne, puis dans les
Comptoirs français de l'Inde. Après un passage, en 1882,
comme percepteur des finances dans les Vosges, le voilà,
en 1885, Directeur de l'Intérieur (second personnage
administratif après le gouverneur) à Tahiti, puis à
Nouméa.
Jusque-là, sa carrière ne présente guère d'intérêt
particulier. Tout va changer lorsqu'en 1890 il est nommé
en Martinique comme adjoint du gouverneur Germain Casse.
A partir de ce moment, le malheureux homme va être
confronté à toutes les calamités naturelles ou humaines
qui sévissent aux Antilles. Le 22 juin 1890, Fort-de-
France brûle : il y a 14 morts et une grande partie de la
ville est détruite. Le maire et le gouverneur brillent par
leur absence. C'est Moracchini qui, à peine débarqué,
prend les choses en mains, évitant, grâce à l'aide de
l'armée et des pompiers de Saint-Pierre, que la ville ne
soit rayée de la carte. Son action lui vaut d'être nommé à
la place de Casse qui, lui, est limogé.
L'année suivante, c'est le grand cyclone du 18 août
1891. Le bilan est très lourd : 450 morts, plus de 2.000
blessés, une économie en ruines. Moracchini donne la
pleine mesure : il obtient des crédits, reconstruit, remet
en route la machine économique.
En 1894, il accueille Béhanzin, le roi du Dahomey,
envoyé en exil en Martinique, avec sa nombreuse famille.
Il veille sur sa captivité avec beaucoup d'humanité,
malgré les attaques virulentes et injustifiées des poli-
ticiens locaux qui l'accusent d'affamer ce prisonnier
illustre.
En 1895, il est nommé en Guadeloupe où il remplace
Pardon qui permute avec lui. S'il espérait à la Guadeloupe
avoir une administration moins agitée que dans l'île
soeur, il va rapidement déchanter.
Le 23 avril 1897, un tremblement de terre détruit une
partie de Pointe-à-Pitre; la même année, le problème du
taux de change lui vaut l'inimitié durable et tenace d'une
partie du patronat usinier.
En 1898, il connaît des manifestations houleuses lors
des élections législatives qui verront la victoire de
Gerville Réache et de Légitimus. Moracchini retrouve les
mêmes fléaux qu'en Martinique : incendies de Pointe-à-
Pitre à partir de juin 1898 et cyclone du 7 août 1899.
C'est d'ailleurs en 1899 qu'il a les préoccupations les
plus graves. Les usiniers et les planteurs accusent les
socialistes (Légitimus en particulier) de mettre le feu
partout; les socialistes accusent à leur tour les "blancs
réactionnaires". Ces derniers, en collusion avec le consul
américain, n'attendent qu'une occasion pour solliciter une
intervention des Etats-Unis dont la flotte rôde dans les
parages.
Moracchini se trouve au centre des passions déchaînées.
Son jugement est très sûr, mais il sert à tous de bouc
émissaire. Il refuse de prendre des mesures qui le
rendraient, comme il le dit lui-même, "dupe ou complice
des réactionnaires". Ses interventions fermes mais
discrètes sauvent la Guadeloupe du chaos.
Le calme revenu, il part en congé le 2 juin 1900.
Promu gouverneur de 1ère classe en 1900 après une inter-
vention de Gerville Reache, il est mis à la retraite
d'office en 1901, cette fois-ci, sans doute, sur inter-
vention de Légitimus.
Voilà l'histoire d'un gouverneur "ordinaire" dont les
Antillais ne connaissent même pas le nom et qui, pourtant,
a bien rempli sa mission.
Le gouverneur FRÉBAULT
Après avoir évoqué les tribulations antillaises du
gouverneur Moracchini je voudrais dire ici quelques mots
du gouverneur Frébault. Son nom est familier à tous les
Guadeloupéens, et en particulier aux Pointois. En effet,
l'une des deux grandes artères de Pointe-à-Pitre porte son
nom et son buste voisine avec celui d'Éboué sur la Place
de la Victoire.
Charles Victor Frébault, est né dans la Nièvre, en
1813. A vingt ans, il intègre l'École Polytechnique, puis
poursuit sa formation à l'École d'Application de Metz. Il
en sort en 1837 avec le grade de lieutenant dans l'infan-
terie de marine. Six mois plus tard, il participe à
l'Expédition du Golfe du Mexique; il s'y distingue
puisqu'il est décoré de la Légion d'honneur.
Capitaine en 1840, il passe deux ans à la Guadeloupe.
De là, il est envoyé à Brest. Promu chef de bataillon en
1848, il prend, la même année, la direction de l'École de
Pyrotechnie de Toulon. Lors de la Guerre d'Orient, il est
envoyé dans la Baltique, nommé lieutenant-colonel en 1854,
colonel en 1856, et promu officier de la Légion d'honneur.
Après un séjour à Nevers, dans sa région natale, où
il dirige une fonderie, il est affecté, en septembre 1859,
comme gouverneur à la Guadeloupe. Au même moment, il est
fait commandeur de la Légion d'honneur.
Frébault débarque en janvier 1860 à la Guadeloupe; il
y reste cinq ans, en deux séjours, et repart définiti-
vement à la fin de 1864. Il est le dernier gouverneur
militaire de l'île.
A son arrivée, Frébault est déjà un homme d'expérience,
militaire de terrain, mais aussi administrateur confirmé;
de plus, il connaît la Guadeloupe pour y avoir séjourné
précédemment. Dès son arrivée, il remet de l'ordre dans le
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