G.H.C. Numéro 70 : Avril 1995 Page 1310
La généalogie des populations afro-caraïbes :
les originalités de la recherche
Philippe Camprasse
Conférence donnée aux magasins du Printemps à l'occasion
des manifestations du Printemps créole le 26 avril 1994.
I - Le cadre
Les recherches généalogiques des populations afrocaraïbes
doivent tenir compte, notamment, de trois séries de
contraintes originales : le milieu géographique souvent
insulaire et dispersé; la chronologie historique des faits
et des institutions; le cadre juridique dans lequel ces
populations ont vécu.
1 - le milieu géographique.
Notre association s'intéresse à toutes les populations
des îles de la Caraïbe et du pourtour du bassin caribéen :
les recherches effectuées par les différents membres de
Généalogie et Histoire de la Caraïbe portent sur l'étude
des relations et des liens (familiaux, juridiques, commer-
ciaux, etc.) qu'ont entretenus les populations européennes
et les populations d'origines différentes habitant les
îles de la Caraïbe. En annexe, nous donnons la liste des
îles et pays concernés.
Cet exposé porte essentiellement sur les populations de
race noire qui habitent ces espaces géographiques. La
nature du milieu géographique a eu, et a toujours, deux
conséquences principales, d'ailleurs valables pour les
autres populations :
* - l'apparition d'isolats, sociaux, économiques, géogra-
phiques ou de peuplement, liés au caractère insulaire du
milieu; les ruptures brutales, historiques ou institution-
nelles (guerres, prises de possession, changements de
statuts politiques...), ne modifient que fort lentement
les situations sociologiques constatées;
* - les phénomènes de mouvements et de déplacements de
populations ou de personnes (voyages familiaux, indi-
viduels, collectifs, passages d'îles en îles, changements
de nationalités ou de statuts juridiques...) rendent les
recherches certes plus complexes, mais plus riches en
enseignements et "découvertes". Si les familles et les
générations sont dispersées géographiquement, ou vivent
sous des statuts différents, les liens familiaux
(affectifs, sociaux et souvent économiques) ne sont pas
pour autant relâchés : nous n'en retenons pour preuves que
les nombreuses lettres privées, procurations notariales et
autres documents d'archives familiales, qui foisonnent.
2 - le cadre historique.
* - 1492 : découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.
* - 1635 : première installation pérenne des Français en
Guadeloupe et à la Martinique (1er septembre).
* - 1635 à 1650 : la période des compagnies commerciales :
la Compagnie des Iles d'Amérique (1635-1650) créée par
Richelieu, et plus tard la Compagnie des Indes Occiden-
tales (1664-1674), créée par Colbert; mais cette dernière
disparaît assez rapidement à cause de difficultés finan-
cières et des guerres de Louis XIV.
Les colonies dépendent du ministre des affaires étrangères
(jusqu'en 1669).
* - vers 1642 : début de la traite des esclaves.
* - 1650 à environ 1664 : c'est le régime seigneurial. Des
colons s'établissent en achetant des concessions aux
compagnies commerciales qui en outre assurent le transport
et le commerce entre la France et les colonies d'Amérique.
Les conflits d'intérêts sont nombreux. Par achats
successifs, guerres et luttes d'influence, la Guadeloupe
finit par appartenir en majorité comme terre privée à
Charles Houel et la Martinique à Du Parquet. Mais, ces
seigneurs de tradition féodale sont en lutte constante
avec les autres habitants des îles (les colons et les
Caraïbes), et finalement en conflit avec les compagnies
commerciales.
* - 1669 : Les colonies dépendent désormais du secrétaire
d'Etat à la marine (Colbert) et non plus du ministre des
affaires étrangères.
* - décembre 1674 : les colonies d'Amérique entrent dans
le Domaine royal.
Les conflits d'intérêts entre les colons et les compagnies
commerciales, les révoltes d'esclaves (1679 à la Marti-
nique) amènent le roi de France Louis XIV à incorporer les
colonies d'Amérique au domaine de la Couronne. Le système
seigneurial est officiellement et définitivement aboli. Le
pouvoir royal est désormais représenté par le gouverneur,
qui porte ensuite le titre de lieutenant-général; sous ses
ordres, sont placés les trois intendants de police, de
justice et des finances. L'intendant de justice prend
ensuite le titre de procureur du Roi pour la justice.
Ces autorités interviennent à la fois pour les personnes
libres et pour les esclaves.
* - 16 floréal An II (4 2 1794) : première abolition de
l'esclavage dans les colonies françaises : décret voté par
la Convention nationale, à Paris. Application de cette
abolition dans les colonies françaises de Saint-Domingue,
de la Guadeloupe et de la Guyane; pas à la Martinique qui
est occupée depuis la mi-février 1794 par les Anglais et
que les Français n'arrivent pas à reprendre.
* - 16 juillet 1802 : rétablissement de l'esclavage dans
les colonies françaises.
cf. toutefois la loi du 30 floréal An X.
* - 1817 : arrêt de la traite des Noirs par la France :
ordonnance royale du 8 janvier 1817.
* - 27 avril 1848 : seconde abolition de l'esclavage : sur
rapport de Victor Schoelcher, abolition de l'esclavage des
Noirs dans toutes les colonies françaises par l'Assemblée
constituante - IIe République. Etablissement des registres
des "Nouveaux Libres".
Pour mémoire : le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord avait aboli l'esclavage dans ses
colonies vers 1830.
3 - le cadre juridique.
* - Les ordonnances de Colbert, dont la rédaction a
commencé en 1680, et rassemblées en 1685 en un ouvrage
unique que l'on a appelé "le Code noir" ou Edit de mars
1685 (cinquante-neuf articles).