G.H.C. Numéro 70 : Avril 1995 Page 1311
La généalogie des populations afro-caraïbes :
les originalités de la recherche
Colbert, ministre de Louis XIV (marine, puis marine et
colonies), s'est inspiré du droit romain (lois de
l'empereur Justinien) lors de la rédaction de ses ordon-
nances "servant de règlement pour le gouvernement et
l'administration de la justice et de la police des Iles
françaises de l'Amérique, et pour la discipline et le
commerce des nègres et esclaves dans ledit pays".
Trois notions, entre autres, peuvent être retenues du Code
noir : la condition servile; la notion de bien meuble
appliquée à l'esclave, qui par conséquent peut être vendu;
l'affranchissement. Les conséquences de ces notions sont
les contraintes et difficultés de la vie quotidienne, qui
compliquent les recherches en généalogie.
* - les ordonnances royales et les règlements des conseils
souverains de la Martinique et de la Guadeloupe.
Pour qu'une ordonnance royale soit applicable à la colonie
considérée, il fallait qu'elle soit, souvent après
discussion, "enregistrée" c'est-à-dire en fait acceptée,
par les représentants des colons (libres) assemblés en
conseil. Ceux-ci étaient particulièrement sourcilleux
quant au degré de leur indépendance à l'égard du pouvoir
central royal (le fait du prince) et de la cour de
Versailles (l'administration).
Il est évident que cette attitude était particulièrement
sensible pour tout ce qui touchait à la situation des
esclaves, des affranchis et des gens de couleur libres.
* - Les deux recensements des populations de la Guadeloupe
de 1664 et de 1671 et celui de St Christophe de 1671.
* - L'affranchissement :
- des cas exceptionnels, mais pas rares, avant 1830;
- la période 1830-1832 : les assouplissements voulus par
la Monarchie de Juillet : l'ordonnance du roi des Français
Louis-Philippe 1er en date du 12 juillet 1832;
* - Les deux abolitions de l'esclavage et le rétablis-
sement de l'esclavage en 1802, ont brusquement modifié la
condition juridique de milliers de personnes.
* - L'arrivée des engagés africains à la fin du XIXe
siècle : c'étaient des populations libres ayant un contrat
de travail. Leur arrivée peut être appréhendée dans des
documents relatifs aux transports maritimes et aux
personnes débarquées dans les ports de la Guadeloupe et de
la Martinique.
Les naissances, mariages et décès de ces populations
libres africaines se retrouvent dans les registres de
l'état civil. Quelques exemples de patronymes : Oualli,
Abonna, Abenzoar ... .
II - La méthode
Comment rechercher les actes paroissiaux, puis de
l'état civil de populations serviles, puis d'affranchis,
puis de "Nouveaux Libres" ?
a) - d'abord par le prénom, car l'esclave n'a pas de
patronyme; en tant que "bien meuble", l'esclave apparaît
sur certains recensements d'habitations sucrières, si ces
recensements portent des mentions nominatives; de même et
surtout dans les inventaires faits lors de ventes, de
successions après décès, lors de donations au moment de
mariages des propriétaires, donc dans les actes notariés.
Recherches dans les minutes des notaires, ou dans les
documents du service de l'enregistrement-hypothèques.
b) - les affranchissements : par arrêtés du gouverneur de
la colonie, donc recherches à effectuer dans les journaux
officiels des colonies considérées.
- connaître la procédure de l'affranchissement.
- repérer l'arrêté d'affranchissement, puis l'inscription
dans le registre de la commune de résidence de l'affranchi
car cette commune peut être différente de celle d'affran-
chissement.
- noter à cette occasion si l'affranchi conserve son "nom"
d'esclave ou reçoit un patronyme nouveau, ce qui est
d'ailleurs le cas le plus fréquent.
Les recherches se poursuivent dès lors, d'une façon
classique, par patronyme et par acte d'état civil.
c) - les "Nouveaux Libres" : consulter les registres
établis à partir d'avril 1848 pour, d'une part établir les
parentés, et d'autre part connaître les patronymes donnés.
A toutes fins utiles, il est intéressant de consulter
l'ouvrage de M. Cazenave sur "Les patronymes en Guadeloupe
et en Martinique à partir de 1900" (étude des patronymes
des seules populations nées dans les îles; étude réalisée
à partir de documents de l'Insee; 35.000 noms en Guade-
loupe et 30.000 noms en Martinique).
d) - la recherche vise à la fois les hommes et les femmes,
contrairement aux personnes de condition libre pour
lesquelles la recherche se fait souvent à partir du patro-
nyme et donc à partir des hommes.
Il est évident que le contenu des actes paroissiaux,
puis de l'état civil, des documents notariés, ou des
journaux officiels, n'est pas suffisant pour retracer dans
sa plénitude la généalogie et la vie des populations afro-
caraïbes... Bien d'autres documents, tels les journaux de
l'époque, les archives privées, familiales, ou les cartes
postales anciennes, constituent autant d'éléments très
instructifs qu'il convient réellement d'inclure dans les
recherches.
III - La recherche
Très intéressante, très riche en développements,
surprises, découvertes, anecdotes et enseignements :
origines des populations, personnalités des membres de
familles, vie quotidienne, adoptions, reconnaissances, la
notion très forte de famille, de groupe familial, de clan;
le mariage et l'union libre; le nombre d'enfants.
Il faut se poser des questions précises pour donner
un fil conducteur à sa recherche; tenter d'y répondre;
vérifier et prouver chaque affirmation et indication.
Par exemple :
Quelle est l'origine sociale de ma famille ?
Quelle est son origine géographique ?
Quels sont les métiers que l'on a habituellement exercés
au sein de ma famille ?
Quelle est l'origine du patronyme ?
Comment sont donnés les prénoms ?
Quelle est la longévité des générations ?
Quelles sont les causes de décès ?
Quel est le nombre d'enfants par femme ?