G.H.C. Numéro 67 : Janvier 1995 Page 1240
Histoire de l'habitation "Guischard" ou "Grand Parc" la Basse Terre de la Guadeloupe
Yvain Jouveau du Breuil
Cette habitation se trouve actuellement sur la
commune du Matouba en Guadeloupe. Elle fut créee par deux
frères, Pierre et Jean Baptiste GUISCHARD qui acquirent,
le 22 mai 1719, une "quantité de cent quarreaux de cent
pas en quarré de terre chacun à prendre dans ma terre du
Parc, dans la partie d'en bas entre les deux bras de la
rivière Saint Louis et chasser à la montagne jusqu'à ce
que l'arpenteur ait borné assez de terre pour fournir
cette quantité". Cette terre fut cédée, "en roture dans ma
censive", par haut et puissant seigneur messire Charles
HOUëL, fils et héritier du gouverneur. Cette vente eut
lieu pour le prix de 10.000 livres, payable dans un an, et
"faute de ceci d'en payer l'interest au denier vingt". Les
intérêts étaient dus deux ans après la signature du
contrat, et si rien n'était payé trois ans après, Charles
HOUëL se réservait le droit de récupérer cette terre. (1)
Il faudra attendre 58 ans, pour avoir un autre document
sur cette habitation, les notaires ne faisant des doubles
de leurs actes qu'à partir de 1777 (2). Malgré ce long
délai, nous pouvons imaginer l'exploitation et la
formation de cette habitation. Les deux acquéreurs ont dû
commencer immédiatement le défrichement de cette terre,
car le contrat de 1719 stipulait "que les sieurs Guichard
commenceront incessament à défricher et travailler...";
d'autre part, HOUëL leurs laissait "deux ans de temps
sans rien payer (des intérêts) pour donner aux Sieurs
Guichard le moyen de s'établir plus commodément". L'acte
nous précise encore que les acquéreurs feront du sucre ou
du cacao.
Il semble, d'après le premier inventaire de 1777 (3),
qu'elle fut tout d'abord exploitée en tant que sucrière. A
cette date le moulin à sucre est en mauvais état, la
sucrerie en plus mauvais état encore. Le nombre d'esclaves
est important, 138, traduisant l'ancienne fonction de
cette terre, qui demandait une main-d'oeuvre importante.
Le café arrivé aux Antilles vers 1720 (4) a dû, également
être planté pendant cette période, les hauteurs du Parc
étant assez propices à sa culture, et les besoins en main-
d'oeuvre moins importants que pour la canne.
Pierre GUISCHARD, qui devint GUISCHARD de BIENASSIS
cédant probablemnt à la mode de l'époque, capitaine de
milice, avait acquis la totalité de l'habitation avant
son décès survenu le 19 novembre 1743. Sa veuve,
Marguerite MASSIEUX, acquit de ses enfants héritiers de
leur père, les parts qu'ils avaient sur l'habitation. Elle
en confia la gérance à son second fils Jean Baptiste. Le
14 janvier 1777 (3), elle céda l'habitation à son fils
Jean Baptiste et à ses petits enfants Marguerite DUPUY DES
ISLETS et son époux Bernardin, Comte de PRAëL-SURVILLE. Il
restait alors devoir aux héritiers HOUëL la somme de
10.000 livres, solde du prix d'acquisition, plus les
intérêts depuis 56 ans soit 28.000 livres. Madame veuve
Guischard devait toujours le prix des parts de ses enfants
sur la succession de leur père. L'une des filles, Marie
Anne épouse de Nicolas CAPBER avait cédé ses droits au
Sieur THILLAC, lui-même les avait cédé au Sieur DUQUERRY,
aux droits des enfants ANQUETIL-CAVALIER, et ce dernier
les avait finalement cédés à M. et Mme de SURVILLE (5).
La boucle est bouclée, les transactions se firent
sans qu'une seule livre fut dépensée. La venderesse se
gardait 1/6ème de l'habitation, et la jouissance de la
maison principale où elle demeure avec ses domestiques.
Son fils Jean Baptiste demeurait avec elle, et M. et Mme
de SURVILLE demeuraient sur leur habitation, limitrophe de
celle-ci. Tout le monde restait chez soi, seule l'exploi-
tation était assurée par une société sous la dénomination
"Guischard et Surville".
Cet acte nous précise également l'état de l'habi-
tation, dont une parcelle de 8 carrés avait été détachée
en faveur de Pierre Etienne GUISCHARD. Etablie en manu-
facture à sucre et à café, elle faisait 92 carrés de 100
pas, plantée partie en cannes, partie en café, mangues et
savanne, le surplus en bois debout. Les bâtiments étaient
représentés par la maison principale en charpente, une
cuisine,un bâtiment servant d'infirmerie et de poulailler,
un boucan à café, une bergerie, deux cases à bagasses,
deux moulins à piler le café, le moulin à sucre avec ses
mouvements, en mauvais état, la sucrerie en plus mauvais
état avec les chaudières cassées, la purgerie, l'étuve, la
gragerie, une case à farine, et une chaudière. Un magasin
situé à Basse Terre Saint François servait d'entrepôt aux
marchandises avant leur expédition pour la métropole.
Cet état nous permet de dire que la sucrerie ne
fonctionnait plus depuis déjà un certain temps. les cannes
sont plantées sur seulement 5 carrés et devaient être
expédiées dans la sucrerie voisine "des Islets". C'est la
culture du café qui prédomine avec 12.000 pieds plantés,
et deux moulins en bon état. La main d'oeuvre servile est
représentée par 138 individus, chiffre qui parait démesuré
par rapport à l'état de l'habitation mais qui traduit son
ancienne fonction de sucrerie. Le manque d'argent n'a pas
permit de maintenir la sucrerie, d'où cette vente pour
avoir de nouveaux capitaux, qui furent apportés par Mme de
SURVILLE, héritière d'un important habitant sucrier de
Basse Terre, Jean Baptiste DUPUY DES ISLETS, époux en
premières noces de Marguerite GUISCHARD, fille de
Marguerite MASSIEUX. Cette vente eut lieu pour la somme de
392.800 livres.
Cette transformation se verra dans l'acte de vente de
l'habitation par M. et Mme de SURVILLE et Jean Baptiste
GUISCHARD, à leur oncle et frère, Pierre Etienne GUISCHARD
de BIENASSIS, le 2 janvier 1782 (6). Cette vente eut lieu
suivant le désir de Marguerite MASSIEUX. Elle est alors
établie uniquement en manufacture à sucre, faisant
toujours 92 carrés et employant 102 esclaves, chiffre
beaucoup plus adapté à la taille de cette propriété. 45
carrés sont plantés en cannes, 4 en magnioc et un en
patates. Les bâtiments sont les mêmes que précédement avec
une autre maison en charpente, un moulin à sucre avec une
masse de canal, la sucrerie avec quatre chaudières
montées, en bon état, et une cinquième propre à la
batterie. Le magasin situé à Basse Terre existe toujours.
L'habitation est alors estimée à 498.723 livres. Ce
chiffre paraît peu important par rapport à celui de 1777,
mais ce dernier avait été grossi par l'importante
proportion des esclaves.