G.H.C. Numéro 66 : Décembre 1994 Page 1212
La filiation ROY de BELLEPLAINE
Eugène Bruneau-Latouche
S'il n'est pas toujours possible faute d'indices
suffisants d'affirmer la filiation d'une famille, il est
par contre des indices essentiels qui permettent de le
faire sans le moindre doute. C'est le cas pour la famille
Roy de Belleplaine qui subsiste et qui ne tenait sa filia-
tion certaine qu'à compter de la fin du XVIIème siècle.
Aujourd'hui je peux affirmer avec certitude qu'elle se
rattache à Jean ROY et à Luce LE BRUMAN son épouse.
Jusqu'ici le premier degré connu commençait avec
Nicolas Roy, capitaine de milice, décédé avant 1709, qui
demeurait au François avec son épouse Marie Rose GOBERT.
Cette dernière baptisée au Carbet le 18 octobre 1678,
fille de Julien et de Marie JOURDAIN DUBOIS, épousa en
secondes noces, au François, le 9 avril 1709, Jacques
Christophe DUPLESSIS, inspecteur des Domaines, dont elle
eut plusieurs enfants.
Dans l'article sur cette famille que renferme l'ouvrage
intitulé "GOUYER, GOUYÉ, GOUYÉ MARTIGNAC A la Martinique
dès 1664", pages 344-349, plusieurs indices laissent
entrevoir une affinité entre ces Roy (du François) et les
époux Roy du Prêcheur (Jean Roy et Luce Le Bruman); un
indice sérieux avait été omis - 8 septembre 1705 (au
François), baptême de Paul Roy, fils de Nicolas et de
Marie Rose Gobert; marraine : Catherine Roy épouse de
Pierre MONNEL conseiler au Conseil Souverain. Cette dame
Monnel, demeurant au Robert, paroisse voisine du François,
n'est autre que la fille de Jean Roy et de Luce Le Bruman;
était-ce peut-être la soeur de Nicolas Roy et par consé-
quent la tante paternelle du baptisé ?
Mais l'indice essentiel prouvant la filiation de
Nicolas Roy tient dans le <> (F/3/26, folio 270);
le Procureur du Roi, Claude Honoré HOUDIN, chargé de ce
procès verbal, se "transporta au quartier du Fond
Canonville, accompagné du sieur Nicolas Roy fils,
capitaine de milice du dit quartier..." pour inspecter
l'ensemble des habitations dégradées. Ce "Nicolas Roy
fils" n'est autre que l'un des quatre passagers qui firent
voyage en novembre 1693 au départ de la Rochelle et à
destination de la Martinique avec le Révérend Père Labat.
Ce dernier dit encore : "M. Roy, Capitaine de Milice,
Créolle de la Martinique, étoit fils de M. Jean Roy,
premier Capitaine et Doyen du Conseil de la même Isle;
c'étoit un homme plein de coeur, qui avoit fait des
merveilles quand les Anglois avoient attaqué la Martinique
en 1692 (1). Il étoit aimé de tout l'équipage, excepté des
mousses qu'il avoit soin de faire foüetter presque tous
les jours." (Nouveau Voyage aux Isles de L'Amérique,
Editions des Horizons Caraïbes, 1972, Tome 1, page 46).
(1) Il s'agit en fait de l'année 1693; les anglais au
nombre de 3.000 guerriers perdirent dans cette bataille du
Fond Canonville de 5 à 600 hommes. M. Roy fils s'absenta
de la Martinique pour six mois et demi au plus ce qui lui
fit un séjour de deux mois et demi au maximum en France
pour quatre mois de traversée. Il réembarqua à la Rochelle
le 28 novembre suivant.
Nicolas Roy était donc en 1693 capitaine de milice au
Fort Saint-Pierre, quartier du Fond Canonville, non loin
du quartier du Prêcheur. Le François, un des derniers
quartiers les plus tardivement exploités, l'attira et il
s'y installa avec son épouse, très probablement aidé par
son père.
Descendance du couple Jean ROY et Luce LE BRUMAN
Jean Roy, fils de Guillaume et d'Anne PACQUET, était
né à Bordeaux vers 1627. "Je laissai la compagnie au
Presbytère pendant que j'allai confesser un Négre d'un
habitation de M. Roy, car il y en avoit deux très-considé-
rables dans ma Paroisse, et d'autres encore dans différens
endroits et quartiers de l'Isle. On ne peut sans éton-
nement penser à la fortune de cet homme. Il étoit venu aux
Isles en qualité d'engagé, dans les premières années que
la Colonie commença à se former, il étoit de Bordeaux,
tailleur ou chaussetier de son métier. Le tems de son
engagement étant achevé, il se mit à torquer du tabac, qui
étoit alors la marchandise des Isles; et quand la saison
de torquer étoit passée, il travailloit de son Métier. Il
s'associa avec un autre torqueur, dont il hérita quelques
années après. Il fit quelques voyages en course, si
heureusement, qu'en très-peu de tems il se vit en état
d'établir une sucrerie, et de faire des établissemens en
divers quartiers de l'Isle. Quand j'arrivai à la Marti-
nique il avoit six sucreries, celle du Prêcheur où il
demeuroit étoit accompagnée d'une très-belle raffinerie :
il en avoit une autre dans la montagne à une lieuë de
celle-là; une à la Pointe des Négres auprès du Fort Royal;
une à l'ance de la Couleuvre, et deux dans ma paroisse. On
comptoit plus de huit cens Négres travaillans dans ces
établissemens. Son fils aîné avec lequel j'étois venu de
France, étoit Capitaine de Milice, et une de ses filles
avoit épousé M. de LA FOSSILIèRE, Capitaine de vaisseau de
Roi.
M. Jean Roy est mort en 1707, étant pour lors Doyen
du Conseil, premier Capitaine de Milice, et sans contredit
le plus ancien habitant. Il étoit pour lors âgé de plus de
quatre-vingt-dix ans. Il a laissé aux onze enfans qu'il
avoit eus de Luce Bruman sa femme soixante et douze Négres
chacun, avec la moitié d'un sucrerie, sans compter ce
qu'ils avoient reçû en mariage, et les effets qui se sont
trouvez dans sa maison et en France. C'étoit un très-bon
homme; il étoit logé et meublé magnifiquement; il recevoit
parfaitement bien ceux qui alloient chez lui; charitable
et bienfaisant, au-delà de ce qu'on peut dire. L'Eglise du
Prêcheur qui étoit sa Paroisse lui est redevable de son
bâtiment, et de la plus grande partie des vases sacrez et
des ornemens qui y sont en grand nombre, il avoit la même
charité pour les Paroisses où il avoit des habitations. Sa
mémoire étoit si heureuse qu'il se souvenoit des moindres
circonstances des choses qui s'étoient passées depuis plus
de soixante et dix ans, comme si elles eussent été
présentes. Comme je le voyois assez souvent, j'avois un
plaisir extrême à l'entendre raconter les commencemens de
nos Colonies, ses différens voyages et ses avantures."
(Labat, document précité, Tome 1, pages 121-122).