G.H.C. Numéro 66 : Décembre 1994 Page 1204
Novembre 1794 : la mort des deux cousins COQUILLE
Bernadette et Philippe Rossignol
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur, même éclat,
Celui qui croyait au ciel,
Celui qui n'y croyait pas. (Aragon)
Ils y croyaient sans doute tous les deux, au Ciel,
mais ils y sont parvenus par des chemins différents, le
Constituant royaliste "à la solde des Anglais", et le
général de la Révolution, mort au combat en Catalogne face
aux Espagnols, en ce même mois de novembre 1794. Nous
souhaitons par la publication de ces éléments généalo-
giques, rendre hommage aux deux cousins guadeloupéens qui,
chacun à sa façon, ont servi leur idée de la France
jusqu'à en mourir.
Notre propos n'est donc pas de refaire une énième
biographie de l'un et de l'autre :
- sur Robert COQUILLE, le Constituant, on relira l'article
publié dans le bulletin n° 33 (décembre 1991) de "Généa-
logie et Histoire de la Caraïbe" (qui donne sa descendance
que nous ne reproduirons donc pas ici) et, sur la
situation historique de Marie-Galante en 1794, les
articles de Willy Alante-Lima "Vive la Marie-Galante
indépendante" (janvier 1994, n° 56) et de Guy Botreau
Roussel Bonneterre "La dissidence de Marie-Galante"
(novembre 1794, n° 65).
- sur le général DUGOMMIER, on peut recommander le livre
d'Arthur Chuquet, "DUGOMMIER 1738-1794", publié à Paris en
1904, et celui de Vauchelet, "La Guadeloupe, ses enfants
célèbres (DUGOMMIER)", publié à Montreuil-sur-Mer en 1899.
Nous allons simplement rappeler quelques faits, princi-
palement sur le général, vous donner à lire des pièces
originales signées de sa main que nous a confiées le
docteur Chatillon, et préciser certains éléments de
généalogie, faisant une sélection dans l'abondante famille
COQUILLE qui nécessiterait un numéro spécial si on voulait
la présenter au complet.
Commençons par la fin, c'est-à-dire par leur mort,
dont c'est le deux-centième anniversaire en ce mois de
novembre.
27 brumaire III (17 11 1794) : Mort de DUGOMMIER
Le général DUGOMMIER, puisque c'est sous ce seul nom
qu'il est connu dans l'histoire de France, après s'être
rendu célèbre aux Antilles en 1790, en aidant les
patriotes de Saint-Pierre contre les habitants royalistes,
passa en France et montra son talent militaire en
commandant, en 1793, l'armée républicaine qui fit le siège
de Toulon et reprit la ville aux Anglais. Lors du siège,
il eut sous ses ordres le jeune BONAPARTE, put découvrir
ses qualités et prévint la Convention : "Avancez-le, sinon
il saura bien s'élever de lui-même". Il passa ensuite au
commandement en chef de l'armée des Pyrénées Orientales et
c'est là que, le 27 brumaire an III, il fut tué aux
avants-postes de la redoute de la Montagne Noire (à
l'extrême nord-est de la Catalogne espagnole). Son tombeau
est à Perpignan.
9 frimaire III (29 11 1794) : Mort de Robert COQUILLE
Robert COQUILLE faisait partie des trois commissaires
nommés par les Anglais qui occupaient Marie-Galante. La
date que nous avions donnée pour sa mort sur la foi de ce
que disait de façon imprécise Lacour dans son Histoire de
la Guadeloupe n'est pas août mais bien novembre 1794. En
effet, voici ce qu'indique un document non signé, intitulé
"Notes sur la situation où j'ai laissé les Iles du Vent à
l'époque du 21 messidor (III) où j'ai quitté la
Guadeloupe" (Colonies C/7a/48, f° 236) :
"Marie-Galante : cette île a été reconquise aux Français
par ses propres habitants pendant le siège du Fort Saint-
Charles de la Guadeloupe. Ils étaient venus, au nombre de
40, joindre HUGUES au Port de la Liberté. Apprenant
quelques jours après qu'il n'y avait plus de garnison
anglaise dans leur colonie, ils demandèrent à y passer
dans des pirogues et, l'ayant obtenu de Victor HUGUES, ils
s'embarquèrent le 9 frimaire à 5 heures de l'après-midi,
arrivèrent dans la nuit, surprirent les aristocrates,
rassemblèrent les patriotes et le pavillon national fut
arboré."
C'est donc dans la nuit du 9 au 10 frimaire an III
(29/30 novembre 1794) que se passe l'épisode tragique
conté par Lacour : "M. COQUILLE, commissaire du gouver-
nement anglais, éveillé en sursaut, comprend le sort qui
l'attend. Dans l'espoir de se sauver sur les navires
anglais, après s'être armé de deux pistolets, il saute par
une fenêtre donnant sur une ruelle voisine de la mer.
Mais, en tombant, il se casse une cuisse. Sans hésiter, il
se brûle la cervelle."
Comment Jacques COQUILLE devint DUGOMMIER
Les COQUILLE, étant très nombreux, utilisèrent pour
se différencier, comme c'est fréquemment le cas aux
Antilles, des noms de branche, parfois pittoresques comme
ceux de COQUILLE d'OURSIN ou COQUILLE DESVAGUES. Seul le
chef de la branche aînée gardait le nom patronymique sans
complément : ce fut Germain COQUILLE, procureur général au
conseil supérieur de Guadeloupe, frère aîné de Jacques
(d'un an seulement !). Jacques dut donc trouver un nom de
branche et il le tira d'une habitation : en février 1768
(il n'avait pas trente ans) les deux frères avaient acquis
de leurs père et mère l'habitation caféyère du Gommier,
dans les hauteurs de Basse-Terre, entre les rivières du
Gommier et du Galion. Cela se passa en l'étude de Me
Mercier et, le lendemain, Robert Germain faisait cession à
son frère cadet de sa moitié : Jacques se retrouvait donc
propriétaire en totalité; en fait, il portait déjà le nom
de COQUILLE DUGOMMIER au moins depuis 1765, année de son
mariage, et c'est sans doute pour cela qu'il tenait à être
propriétaire de l'habitation du même nom. Cependant, moins
de dix ans plus tard, le 1er février 1777, devant Me
Fontaine, il devait se défaire de l'habitation (dont la
maison principale avait été totalement détruite par
l'ouragan de septembre de l'année précédente) en la
vendant pour 140.000 livres à Pierre Charles DOLET. Mais
le nom lui resta. Aux Antilles, il signait COQUILLE
DUGOMMIER et en France, DUGOMMIER.