G.H.C. Numéro 60 : Mai 1994 Page 1047
LA FAMILLE ALINGRIN (Languedoc, Martinique)
L'année suivante naquit Céleste, dont le parrain fut
ce Joseph ALINGRIN dont nous ne connaissons pas le
devenir. Céleste mourut quelques mois après.
Sur ses vieux jours, Antoine ALENGRIN se retira chez
sa fille Jeanne, mariée au François. Il y meurt en 1796 :
"A été inhumé dans le cimetière de cette paroisse, le
corps de sieur Antoine ALINGRIN, natif du diocèse de
Béziers en Languedoc (c'est une erreur), âgé de 80 ans
environ, marié dans cette paroisse où il a exercé pendant
longtemps l'état de chirurgien, décédé hier à 10 heures du
soir, muni des sacrements de pénitence et d'extrême
onction, dans la maison du sieur VOITTIER, son gendre, en
foi de quoi j'ai signé avec les témoins ... Le François,
le 7 décembre 1796".
Son épouse lui survivra : elle mourut à 90 ans, à Fort-de-
France, en 1816.
Lors des événements relatifs à la Révolution
française, Jean François Timothée aurait été "déporté par
l'ennemi de l'état". C'est du moins ce qu'a écrit
l'officier d'état civil de Basse-Terre en Guadeloupe, qui
a procédé à son mariage; le terme "exilé" serait sans
doute plus juste, car les Anglais ne se trouvant pas en
Guadeloupe n'ont pu l'y conduire de force.
Il est directeur de l'hôpital de Basse-Terre lorsque, le
14 Ventôse de l'an IV (4 mars 1795), il se marie civi-
lement avec Marie Madeleine JUBELIN, 20 ans, née à
Marseille; il a alors 30 ans. Nous n'avons pas trouvé de
naissance d'enfant du couple ALINGRIN / JUBELIN dans les
registres d'état civil de Basse-Terre.
De retour en Martinique, les jeunes époux se marient
religieusement en la paroisse Saint-Louis de Fort-Royal
(le 31 janvier 1804), probablement pour être plus faci-
lement admis dans la société de notables à laquelle ils
veulent accéder. Là non plus nous n'avons pas trouvé de
baptême dans les années suivantes. Après avoir été clerc,
Jean François Timothée achète un office d'avoué auprès du
conseil souverain et des tribunaux de Fort-de-France.
Le 29 février 1816, devant Me. Husson, notaire à
Fort-Royal, M. Etienne MONTENOR MONGUY et son épouse,
domiciliés au quartier du Trou-au-Chat, font donation à la
dame Marie JUBELIN, épouse ALINGRIN, d'une petite
négresse, nommée Joséphine, âgée de onze ans, fille de
leur esclave Calixte "estimée entre les parties à 1.650
livres", et donnée "pour en jouir, faire et disposer par
la dame Alingrin en toute propriété dès à présent et à
toujours". La donation est faite "à cause de l'amitié des
donateurs pour la dame Alingrin et parce que telle est
leur volonté".
Marie JUBELIN, épouse ALINGRIN, ne profitera pas
longtemps de la jeune Joséphine, qui devait lui servir de
domestique. En effet, en juin de la même année, elle
décède à 40 ans, en sa maison du Carénage.
Les affaires de notre avoué devaient être prospères,
car le 28 août 1816, deux mois environ après le décès de
son épouse, il achète à Charles François MÉRY, négociant à
Fort-Royal, une habitation, la Belle Vue, située aux
environs de la ville, pour la somme de 7.000 livres.
Pour quelle raison Jean François Timothée s'est-il
séparé d'un petit mulâtre, âgé de 3 ans ? Nous l'ignorons,
mais le fait d'avoir éloigné cet enfant de sa mère et
l'avoir déplacé dans une autre ville nous paraît
révoltant. L'acte auprès de Me. Husson est du 19 novembre
1816 :
"Fut présent Jean François Timothée ALINGRIN, avoué,
lequel, sain d'esprit mémoire et entendement, fait
donation irrévocable entre vifs à M. Pierre Honoré
VIGNERON, marchand, domicilié au bourg du Lamentin, du
petit mulâtre nommé Eugène, 3 ans, estimé entre les
parties à 500 livres, pour en jouir, faire et disposer à
son gré". Signé en la maison du donataire.
Jean François Timothée ALINGRIN meurt à 58 ans, le 19
mai 1824; il ne laisse aucun enfant de son nom.
Au cours des décennies suivantes, il n'apparaît aucun
ALINGRIN dans les tables et registres de Fort-de-France.
Ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle que l'on retrouve ce
patronyme : l'acte de naissance du 27 mars 1897, de Joseph
Louis Henry MARIE-AIMÉE, "déclaré par Henry Louis François
ALINGRIN son père, docteur en médecine, et dame Marie
Julie ALIVON, son épouse", porte en marge "ALINGRIN", ce
qui paraît logique, vu le texte, mais c'est une erreur,
car le père s'appelle légalement MARIE-AIMÉE. D'ailleurs,
le nom d'ALINGRIN a été barré, puis rétabli plus tard,
avec mention d'un jugement du tribunal de première
instance de Fort-de-France du 11 juin 1907. Ce jugement
avalise le changement de nom obtenu par décret du
Président de la République française et contresigné par le
Garde des Sceaux :
"Le sieur MARIE AIMÉE (Louis François Henry), docteur en
médecine, né le 5 décembre 1859 à Fort-de-France (île de
la Martinique), y demeurant, est autorisé à substituer à
son nom patronymique celui de ALINGRIN, afin de s'appeler
légalement à l'avenir ALINGRIN au lieu de MARIE AIMÉE.
Ledit impétrant ne pourra se pourvoir devant les tribunaux
pour faire opérer sur les registres de l'état civil le
changement résultant du présent décret qu'après l'expi-
ration du délai fixé par la loi du 11 Germinal an XI et en
justifiant qu'aucune opposition n'a été formée devant le
Conseil d'Etat. Paris, le 27 mai 1905".
La naissance de celui qui est devenu officiellement
un ALINGRIN avait été déclarée le 12 janvier 1860 à Fort-
de-France par demoiselle Andrine Victoire MARIE AIMÉE, 37
ans, qui l'avait reconnu pour son fils. Il s'est marié le
23 avril 1885, à Fort-de-France; il est alors déclaré fils
naturel d'Andrine Victoire MARIE AIMÉE "en famille
ALINGRIN", ce terme "en famille" indique un nom reconnu
par les proches, comme un surnom. Il est donc de père
inconnu, alors que sa soeur utérine, Hermance, fut
reconnue par son père Arthur LEMERLE, greffier au Tribunal
de Fort-de-France.
Andrine Victoire MARIE AIMÉE était née le 9 mai 1822
d'une certaine Marie Aimée, domiciliée rue du Gouver-
nement. Pourquoi se disait-elle ALINGRIN, une fois adulte,
sinon parce qu'elle était de père ALINGRIN (Rappelons que
Jean François Timothée ALINGRIN est mort an 1824).