G.H.C. Numéro 59 : Avril 1994 Page 1033
COMPTE RENDU DE LECTURE
Les deux livres s'opposent aussi en ce que le docteur
Bangou se penche surtout sur sa vie à lui alors qu'Arlette
Blandin-Pauvert ne parle jamais directement d'elle-même,
ou si peu. On devine qu'elle a épousé un monsieur Bon dont
l'aïeul, ingénieur des Ponts et Chaussées, aurait
construit le premier pont sur la Rivière Salée... Les
Mémoires du docteur Bangou révèlent certaines blessures
secrètes, donnant par exemple à lire la lettre de rupture
que son père lui a adressée au jour de son mariage avec
Marcelle, une Blanche ! Autre différence, on peut suivre
les étapes de sa vie politique (maire de Pointe-à-Pitre,
député, sénateur), jusqu'à cette autre blessure, sa
rupture avec le parti communiste guadeloupéen.
En parallèle, sa ville prend le visage qu'on lui
connaît aujourd'hui, elle est devenue "la" grande ville de
Guadeloupe. Arlette Blandin-Pauvert évoque plutôt les
habitations autour de Basse-Terre, une ville qui n'a pas
connu les mêmes changements et où l'on a tout le loisir
d'évoquer le passé... Le livre du docteur Bangou est ainsi
en prise avec l'actualité, celui d'Arlette Blandin-
Pauvert, quel que soit son titre ("au début du siècle"),
évoque surtout Basse-Terre en 1865-1880.
Et pourtant il arrive que les parallèles se rejoignent.
Riches et pauvres, Blancs et Noirs, partagent tant de
repères culturels : même importance chez les enfants
Blandin et Bangou de la langue créole, interjections,
chants et légendes; même importance du carnaval et de ses
figurations de la mort, de la religion chrétienne et de la
Fête-Dieu; et des catastrophes toujours menaçantes (le
choléra, le cyclone ou le feu). Manifestement, être
Créole, c'est partager une histoire et une culture, quoi
qu'en disent les dictionnaires : la lecture parallèle des
deux livres, malgré leurs différences, ou plutôt justement
du fait de ces différences, le suggère avec force. Les
deux auteurs, chacun pour ce qu'il en sait, veulent porter
témoignage d'un pan de la même histoire, celle des
"Créoles", et en cela leurs oeuvres, loin d'être contra-
dictoires, sont complémentaires et se rejoignent.
Selon les clichés habituels, il n'est rien d'étonnant
à ce que le petit Nègre soit superstitieux, mais Arlette
Blandin-Pauvert, dans son chapitre "Réalité et magie",
n'est pas loin d'avouer la même croyance en des forces
obscures. De même, elle admire les docteurs Colbert et
Henri Cabre pour avoir su intégrer à la science médicale
officielle une partie des remèdes traditionnels, comme le
"chardon béni" (contre la fièvre jaune) ou le simarouba
(contre le choléra). Ce qui réunit aussi les Créoles "au
début du siècle", dont témoigne aussi bien Arlette
Blandin-Pauvert que Henri Bangou, chacun dans le milieu
qui était le sien, c'est la réalité des mêmes préjugés
fondés sur la supériorité du plus clair sur le plus foncé.
Chez tous.
Préjugés présentés par Arlette Blandin-Pauvert comme
aujourd'hui périmés chez les Blancs créoles, mais selon
elle encore vivaces chez les historiens et hommes
politiques épris de revanche, qui exacerbent le racisme
anti-blanc en rappelant et exagérant la gravité des
mauvais traitements jadis infligés aux esclaves...
Henri Bangou prend de même ses distances à l'égard des
"négristes" qui se sont, comme Légitimus, servis du
racisme comme d'un levier. Chez les deux auteurs, on
observe donc un semblable recul mais en même temps, un
effort pour comprendre, en historien, les nécessités du
moment : c'est parce que selon Arlette Blandin-Pauvert,
ses ancêtres furent des "durs à cuire" qu'ils "firent la
Guadeloupe", et c'est parce que Légitimus et quelques
autres combattirent avec les armes qui étaient les leurs
qu'aujourd'hui le Nègre peut ne plus être "le terrible
troisième".
D'où une double reconnaissance. Le docteur Henri
Bangou est nommé au début d'Au temps des mabos par Arlette
Blandin-Pauvert qui cite un extrait de sa monumentale
Histoire de la Guadeloupe (plusieurs fois rééditée depuis
1962). Un passage où l'historien noir et communiste rend
hommage au courage des premiers colons blancs arrivés en
Guadeloupe et confrontés à de bien difficiles conditions
d'existence. Et Arlette Blandin-Pauvert est nommée et
citée par Henri Bangou à la fin de ses Mémoires au
présent, dans son chapitre "Une société créole" :"Le temps
des mabos n'est plus, et l'auteur de cet ouvrage autobio-
graphique, si elle en a la nostalgie, a voulu davantage,
je crois retracer pour la mémoire collective un morceau de
notre Histoire, rattaché à une ascendance, la sienne,
qu'elle ne renie pas, et elle a raison".
Une société créole ? En 1986, Arlette Blandin-Pauvert
évoque le projet de la municipalité (communiste) de
Pointe-à-Pitre de restaurer "en tant que monument
historique" le "Chalet Souques", appelé aussi "Maison
Pagès", "du nom du dernier administrateur des Sucreries
Coloniales qui l'occupa"...
L'année suivante, c'était chose faite, et dans ses
Mémoires, le maire de la ville évoque avec fierté
"l'ancienne maison Souques-Pagès convertie en sanctuaire
d'un Blanc créole guadeloupéen dont le talent poétique fut
couronné à Stockholm, Saint-John Perse". Arlette Blandin-
Pauvert cite à plusieurs reprises son recueil Eloges. Le
musée Saint-John Perse de la rue de Nozières, comme la
borne qui marque la naissance d'"une société créole unique
et belle, singulière et polymorphe, à couleur d'épices et
à vocation d'universalité" ?
L'idée est belle en effet.
CONFÉRENCE
Les Filles du Roy :
orphelines en France, pionnières au Canada au XVIIe siècle
Yves Landry
de l'université de Montréal, historien et démographe
jeudi 31 mars, 16h15 précises, participation aux frais 1OF
25 rue Mesnil, 75016 Paris (métro Victor Hugo)
organisé par
Le Centre généalogique de Paris
La Bibliothèque généalogique
L'antenne parisienne de l'Union de Bretagne-Pays de Loire