G.H.C. Numéro 59 : Avril 1994 Page 1029
APPORTS RÉCIPROQUES DE LA GÉNÉALOGIE ET DE L'HISTOIRE ANTILLAISES
n'avaient jamais quitté l'île "jusqu'aux troubles". Les
habitations du général DUGOMMIER, séquestrées par le
gouvernement, étaient une sucrerie et une caféière à
Trois-Rivières, ainsi qu'une maison à Pointe-à-Pitre. Les
trois femmes étaient avec les CONSOLINI, frère et soeur.
Elle, Thérèse, 56 ans, célibataire, n'avait jamais quitté
la France mais possédait une maison à Basse-Terre, en
copropriété avec son frère Marie, 51 ans, aussi céliba-
taire ("secrétaire de feu le général DUGOMMIER depuis le
siège de Toulon et depuis sans emploi"), qui habitait en
Guadeloupe depuis 28 ans au moment des troubles et qui en
revint avec DUGOMMIER le 3 août 1791 par Bordeaux.
Signalons au passage que "Nicolas Marie CONSOLINI de
BEAUMELLE" était membre de la loge de St-Jean d'Ecosse de
Basse-Terre comme BOUBERS, le "commissaire des Guade-
loupéens" dont nous avons parlé plus haut. Les CONSOLINI
et Justine DUGOMMIER recevaient des secours depuis le 27
nivôse IV (17 janvier 1796) tandis qu'Augustine et sa mère
Caroline y furent admises le premier germinal (21 mars).
A travers ces deux personnages nous pouvons voir
qu'il y a encore beaucoup de documents à exploiter et que
la collaboration entre généalogistes et historiens ne peut
être que bénéfique.
Commençons par l'apport de l'histoire à la généalogie.
Le généalogiste doit connaître l'histoire locale et
nationale pour écarter immédiatement certaines invraisem-
blances des traditions familiales ou mieux comprendre la
vie d'une famille et ses déplacements géographiques par
exemple. Il évitera ainsi de dire et d'écrire "d'après la
tradition familiale ma famille a été anoblie à la Marti-
nique par Henri IV" (lettre que nous avons reçue).
S'il se trouve qu'il ne sait comment remonter une
ascendance parce qu'il est arrivé au début d'un registre,
il cherchera dans les communes voisines et remontera de
Grande-Terre en Basse-Terre, redécouvrant ainsi comment
s'est fait le peuplement de l'île.
S'il voit, en consultant des registres, que, l'année
de la mort d'un ancêtre, les inhumations sont nombreuses,
il cherchera dans les livres d'histoire pour en trouver la
cause : une épidémie, un tremblement de terre, un
incendie, etc.
S'il ne trouve pas un acte dont il connaît la date par
un document notarié postérieur, il cherchera à comprendre
ce qui s'est passé à l'époque de l'acte.
Par exemple, après le tremblement de terre de 1843, les
actes reconstitués à Pointe à Pitre sont classés par ordre
chronologique des déclarations faites et non par ordre
chronologique des actes originaux perdus.
S'il n'arrive pas à remonter une ascendance et ne
retrouve pas le nom de sa famille avant 1850 dans une
commune, il pensera à l'abolition de 1848 et cherchera
dans les registres des nouveaux libres.
Que dire des généalogistes qui ne connaissent que les
dates et lieux des naissances, mariages et décès de leurs
ancêtres en ignorant le tissu politique, économique ou
géographique dans lesquels ils ont vécu ?
Pour mieux comprendre ses ancêtres il faut élargir au
maximum son champ de vision et le nombre et la qualité des
travaux historiques modernes ou anciens le permettent
La recherche historique s'élargit et les ponts entre
les deux disciplines sont de plus en plus nombreux.
Il nous arrive maintenant, malgré la grande méfiance,
pour ne pas dire le mépris, qu'ont certains mandarins
historiens envers les généalogistes, de rencontrer et
d'aider des étudiants en histoire. Nous avons ainsi
rencontré une étudiante qui entreprenait des recherches
sur les administrateurs et magistrats d'origine antil-
laise, ayant exercé en Afrique noire.
Nous avons pu lui communiquer des documents familiaux
et la mettre en rapport avec des représentants de familles
dont elle avait établi la liste. Il est évident que les
documents auxquels elle aura accès par cette voie sont
différents des documents officiels trouvés en archives.
Cela peut permettre un autre éclairage dont profitera
aussi le généalogiste.
Le regretté M. Debien nous avait signalé un document
sur la Guadeloupe qui se trouvait aux archives de Londres.
Nous avons pu ainsi publier cette liste des habitants
de la Guadeloupe en 1664 dans le bulletin de la Société
d'Histoire de la Guadeloupe et nous nous sommes rendu
compte, en compulsant toutes les lettres du même fonds, de
l'importance de Paris dans le peuplement et les relations
commerciales des Antilles, alors que l'on parle toujours
de l'Ouest, Normandie et Bretagne.
Les mythes ont la vie dure.
Il est désespérant de lire et d'entendre que Saint-
Barthélemy a été peuplé uniquement de normands alors que
les travaux de M. Deveau ont montré la très grande variété
des origines des familles.
Il est énervant de lire dans les guides touristiques
et d'entendre à la télévision que les Matignon sont issus
d'une famille noble pourchassée par Victor Hugues, la
généalogie prouvant que c'est faux.
Ne serait-il pas plus historique et généalogique de
parler, dans un cas, de la pérennité de la tradition
normande maintenue par les femmes, et, dans l'autre cas,
de la difficile mise en valeur des Grands Fonds par le
travail de plusieurs générations ?
Mais il faut de nombreuses années pour que les travaux
des généalogistes, publiés il est vrai à un très petit
nombre d'exemplaires, soient pris en compte par les
historiens.
Nous avons eu tout récemment le plaisir de voir citer
comme référence notre étude sur l'ascendance antillaise de
Saint-John Perse alors qu'elle a été publiée en 1982.
A cette occasion on nous qualifie de généalogistes profes-
sionnels ce qui pour nous n'est pas forcément un
compliment mais le terme d'amateur que nous revendiquons
est trop souvent considéré comme péjoratif. Amateur
signifie seulement non rémunéré. C'est un passe-temps très
prenant et n'y a-t-il pas des amateurs éclairés ?
La généalogie possède en effet des institutions et
une méthodologie.
La Fédération française de généalogie est composée
d'environ 140 associations, régies par les lois de 1901,
et qui regroupent environ 35.000 adhérents.