G.H.C. Numéro 59 : Avril 1994 Page 1028
APPORTS RÉCIPROQUES DE LA GÉNÉALOGIE ET DE L'HISTOIRE ANTILLAISES
Il faut y ajouter les mulâtres que les pères blancs
ne légitimaient pas toujours mais affranchissaient souvent
et emmenaient avec eux en France ou les y envoyaient pour
leur éducation. Certains sont devenus célèbres, comme le
chevalier de SAINT-GEORGES, fils d'un habitant de la
Guadeloupe.
En fait les esclaves, anciens esclaves et sang-mêlé
originaires des Antilles étaient très nombreux en France.
Une ordonnance de 1738 leur interdisait formellement de se
marier en France. Les lois et ordonnances les concernant
sont nombreuses, répétées, ce qui prouve qu'elles étaient
peu appliquées. Pierre Pluchon, qui a étudié le sujet, dit
qu'à Bordeaux les noirs, en général domestiques, apparu-
rent dès la fin du XVIIe siècle et qu'en 1725, un tiers
était des libres et deux tiers des esclaves.
On en trouvait beaucoup dans tous les ports de la façade
atlantique mais aussi quelques-uns à l'intérieur des
terres, en Languedoc par exemple. En 1777, il y avait 71
noirs et mulâtres en Provence, dont 30 esclaves. Enfin,
Paris avait une importante colonie de noirs et mulâtres,
libres ou esclaves.
Nous avons d'ailleurs publié le compte-rendu d'un
accident survenu au "nègre AZA" dans les rues de Paris à
la fin du XVIIIe siècle.
Dans les réfugiés à Marseille sous la Révolution nous
avons trouvé Alexandre, "mulâtre de Guadeloupe, établi en
France avant la guerre, aujourd'hui cordonnier, faisant
travailler en ville, marin de profession".
L'aire géographique des recherches est en fait très
large et dépasse forcément le cadre français ou franco-
phone. Nous avons donc cherché à établir des contacts en
dehors des Antilles françaises.
D'abord lors d'un voyage en Louisiane où nous avons
été accueillis chaleureusement et pilotés avec efficacité
par un guadeloupéen devenu américain, pardon, citoyen des
Etats Unis d'Amérique.
Ceci nous a permis de découvrir l'intérêt que portaient
de nombreux louisianais à leur ascendance dans les îles
françaises, en particulier St Domingue, sans pour autant
parler français. Mais la contribution de La Fayette, de
d'Estaing et de nombre d'antillais à la guerre d'indépen-
dance est toujours évoquée avec chaleur et amitié.
Disons de plus que la visite des universités et
bibliothèques américaines nous a éblouis par la richesse
des documents et leur facilité d'accès.
A Cuba nous sommes par contre tombés sur une indigence
complète de recherches sur la période antérieure au XXe
siècle. Pourtant des archives existent, riches semble-t-
il, mais peu, pour ne pas dire pas, exploitées.
Or, tant aux Etats Unis que dans les îles anglaises
et espagnoles, des antillais français ont fait souche ou
sont passés.
Les généalogistes qui se trouvent confrontés à ces
déplacements sont conduits à étudier l'histoire pour les
comprendre et il reste à étudier l'influence de ces
familles déplacées sur les événements historiques de leur
île d'origine.
Il est un fait connu que de nombreux antillais étaient à
la cour de Louis XVI.
N'accuse-t-on pas Joséphine, à notre avis complètement à
tort, d'avoir poussé Napoléon à rétablir l'esclavage alors
qu'il vaudrait mieux, sur ce sujet, étudier l'influence
anglaise lors des traités de paix ?
Quelle influence peuvent avoir eu les nombreux réfugiés
de Saint Domingue aux U.S.A. sur le commerce maritime
entre les îles françaises et les U.S.A. ?
Quelle influence politique peuvent avoir eu les réfugiés
guadeloupéens à la Martinique sur la coupure de cette île
avec la Métropole ?
Quelle influence ont eu en Métropole les réfugiés antil-
lais lors de la Révolution ?
Lors du Congrès de Vichy, l'année dernière, nous
avions fait une conférence sur "les réfugiés des Antilles
en France lors de la Révolution" et nous avions alors
évoqué deux guadeloupéens à Marseille.
Le premier, peu connu, BOUBERS, commissaire des
guadeloupéens, qui signe un grand nombre de certificats
établis pour les demandes de secours. A travers ces
documents on imagine une communauté qui s'épaule et
s'organise face à une même situation de gêne et de misère,
toutes classes sociales et opinions politiques confondues.
En effet "François Mériadée BOUBERT, déporté de la
Guadeloupe" est d'une riche et noble famille d'habitants
sucriers et il réunit sous sa houlette des petites gens.
Peut-être la franc-maçonnerie expliquerait-elle
d'ailleurs en partie cette organisation , car "Messire
François Drausin Mériadec de BOUBERS vicomte de BERNâTRE
chevalier seigneur de MORPHÉE" était vénérable de la
Grande loge provinciale de Guadeloupe en 1785 et faisait
partie de celle de St-Jean d'Ecosse à Basse-Terre en 1791.
Il figure sur "l'Etat des citoyens déportés mis en état
d'arrestation" à Paris le 24 fructidor III (deux jours
après, il recevait des secours à La Ciotat... Une inter-
vention de ses frères maçons ?). C'est le 57e d'une liste
de 101 noms; son mandat d'arrêt était du 16 fructidor et
il est dit de lui "Drosain François Meriadec BOUBERS, 46
ans, de Guadeloupe, ex noble, dénonciateur, détenu à
Paris" (D/XXV/119 dossier 937).
Le deuxième guadeloupéen est le général DUGOMMIER
dont on va, peut-être, célébrer le 200ème anniversaire de
la mort. Parmi les nombreux Guadeloupéens de Marseille, on
trouve en effet la famille du général Jacques COQUILLE
DUGOMMIER, connu sous ce seul deuxième nom comme général
de la Révolution et décédé en Espagne le 28 brumaire an
III (18 novembre 1794). En l'an V, Justine, la fille
légitime, âgée de 28 ans, vivait avec Augustine, la fille
naturelle, mulâtresse, de 13 ans et Caroline, la mère de
cette dernière, 36 ans. Les documents montrent l'embarras
des autorités locales pour prendre en compte ces relations
familiales : Augustine est dite "la soeur à Justine
DUGOMMIER" et Caroline seulement "créole".
Justine, née à la Guadeloupe, était venue en France à cinq
ans, sans doute pour son éducation, et retourna dans l'île
six mois à peine avant de repartir pour la France où elle
arriva comme réfugiée, à Marseille, le 19 octobre 1791,
avec sa demi-soeur et la mère de celle-ci qui, elles,