G.H.C. Numéro 59 : Avril 1994 Page 1026
L'ÉCOLE DE SOREZE DANS LE TARN
Yves Blaquière
La vieille abbaye qui existait au début du IXe créa à la
fin du XVIIe siècle un séminaire qui prit une importance
de plus en plus grande dans le courant du XVIIIe siècle
sous l'impulsion de quelques remarquables Maristes.
Sous le règne de Louis XVI, l'Ecole devint "Ecole
royale militaire". Les élèves affluent, non seulement de
la proche région, mais aussi de toute la France, de divers
pays d'Europe, notamment d'Espagne (en nombre), d'Italie
(l'ancêtre du dernier roi d'Italie fut élevé à l'Ecole :
un appartement porte encore le nom de CARIGNAN. C'est en
effet dans cet appartement que la famille des princes de
CARIGNAN était reçue lorsqu'elle venait à l'Ecole). Mais
là ne s'arrêtait pas le recrutement! "Les îles" envoyaient
de nombreux élèves. Que "d'Amériquins"! Et, pendant la
Révolution, ces enfants ou adolescents étaient coupés de
leur famille et c'est le directeur, François FERLUS, qui
eut la charge non seulement de s'occuper d'eux scolai-
rement, mais aussi de les nourrir, car l'argent des
pensions ne lui arrivait plus. Il est très vraisemblable
que le jeune Jean-Louis LEBORGNE-CLERMONT (question 94-
27), qui aurait été pensionnaire à l'Ecole de 1791 à 1799,
ait fait partie de ce groupe d'élèves.
Par ailleurs, à cette époque-là, et jusqu'en 1840,
les protestants étaient nombreux dans ce collège. Il y
avait même un aumônier pour eux, comme il y en avait un
pour les catholiques (c'était donc plutôt une "école
libre" qu'une "école catholique", pour utiliser des termes
d'aujourd'hui).
En 1902, on a publié un volumineux ouvrage : "Les
Soréziens du siècle", rédigé par une équipe d'anciens
élèves, professeurs, etc. En principe, on y trouve le nom
et une notice (parfois très longue, parfois très réduite)
sur chacun de ceux qui ont fréquenté l'Ecole au XIXe
siècle (il y a également ceux du XVIIe mais de manière peu
rigoureuse et avec pas mal de lacunes). Les erreurs n'y
sont pas rares, notamment en ce qui concerne les années
d'entrée et de sortie. Mais ce livre reste un document
précieux.
Jean-Louis LEBORGNE-CLERMONT y figure sous le nom de
"Jean-Louis CLERMONT, né à Basse-Terre (Guadeloupe) 1798-
1801". Il est tout à fait possible que les deux dates de
cette brève notice soient inexactes. Lorsque les
rédacteurs n'avaient plus aucune relation avec des élèves
lointains, ils n'écrivaient à peu près rien !
Pour plus de précision, Sorèze est aussi un village
qui s'est bâti au Moyen-Age autour de l'abbaye. Est-ce à
cause de l'Ecole ? Plusieurs familles protestantes du
village et des environs immédiats (Revel, à 5 km.) ont eu
des "affaires" aux Antilles. Commerce et peut-être, pour
certains, une habitation (exploitation agricole) ? Cela,
j'en ai la preuve au moins pour la seconde moitié du
XVIIIe siècle et les débuts du XIXe.
Je dois ajouter que cette Ecole prestigieuse (qui a
conservé archives, bibliothèque, meubles) a fermé ses
portes il y a deux ans. Le recrutement était toujours
aussi international et abondant mais les charges finan-
cières (et les dettes) considérables. Jean Mistler, dans
"Le bout du monde", raconte sa jeunesse à Sorèze et donne
une des clés du déclin de l'Ecole : "trois hectares de
toits, sept hectares de parc". C'est à peine exagéré.
Je m'étais occupé de faire classer ce très beau
monument de l'histoire de l'éducation comme "monument
historique". C'est chose faite. La région Midi-Pyrénées,
le département du Tarn, la commune de Sorèze se sont unis
pour acheter l'ensemble. On s'attaque aujourd'hui à la
mise hors d'eau de ces toits qui étaient devenus des
passoires. Que deviendra cet ensemble à peu près unique ?
Je ne sais. Il me semble qu'on aurait pu depuis longtemps
lancer une campagne nationale pour sauver ce monument.
Déjà, il y a une quarantaine d'années, le doyen de la
faculté des lettres de Toulouse, le professeur Godechot,
poussait un cri d'alarme, à l'occasion d'une préface. Est-
ce le fait qu'il s'agisse d'une école libre qui pouvait
gêner ? Je ne sais.
Pour répondre à la question posée au sujet des
"dossiers d'élèves", les archives de l'Ecole ont été
provisoirement transférées aux archives départementales
pour y être inventoriées.
Il est toutefois possible de trouver chez les bouqui-
nistes les comptes-rendus annuels de l'Ecole pour le
XVIIIe siècle et une partie du XIXe, imprimés sous le nom
de "Exercices publics de l'Ecole de Sorèze". On y retrouve
quelques indications sur les classes suivies et les
résultats. Mais attention : un même élève pouvait être en
VIe pour les mathématiques et en IVe pour le français ou
les langues. Il y avait là une pédagogie extrêmement
souple et adaptée à chaque enfant (avec programme d'études
"à la carte"). C'est seulement le R.P. LACORDAIRE,
directeur de l'Ecole de 1854 à 1861 (c'est-à-dire jusqu'à
sa mort) qui transforma cela pour se rapprocher de ce qui
était pratiqué dans les lycées de son temps.
Vous avez maintenant quelques renseignements sur
Sorèze. Je n'ai guère parlé des Antillais. Mais c'est un
livre qu'il faudrait...
COMPTE RENDU DE LECTURE
Yvain Jouveau du Breuil
"Saint Claude, histoire d'une commune de Guadeloupe"
Gérard Lafleur
Éditions Karthala, Paris 1993, 364 pages.
Cet ouvrage, passionnant et très bien documenté, retrace
l'histoire d'une commune limitrophe de Basse Terre depuis
l'arrivée des colons jusqu'à nos jours. Gérard Lafleur
fait une étude de l'évolution de l'agriculture de cette
commune avec les premières habitations sucrières,
l'implantation du café à la fin du XVIIIe siècle, la crise
sucrière au XIXe siècle et l'apparition des distilleries
puis de la culture bananière. Il retrace l'histoire de ce
quartier, particulièrement l'essai d'établissement des
alsaciens sur les hauteurs de la commune au Matouba; narre
la tragique fin de Delgrès et de ses fidèles sur l'habi-
tation d'Anglemont.
Ce livre est une étude complète sur la société,
l'histoire et l'économie de cette commune, qui est le
reflet de l'évolution de la Guadeloupe depuis plus de
trois siècles et demi. Malheureusement, je déplore
l'absence d'index, car l'auteur cite beaucoup de person-
nages qui participèrent à l'histoire de Saint-Claude.