G.H.C. Numéro 56 : Janvier 1994 Page 968

VIVE LA MARIE-GALANTE INDÉPENDANTE !
Willy Alante-Lima

     Non,  ce  n'est  pas un péan qu'aurait poussé feu  le 
général de Gaulle lors d'un passage aux Amériques...
     Nonobstant,  Marie-Galante  a bien été indépendante à 
l'époque  révolutionnaire.   C'est  peut-être  l'une   des 
premières  républiques de cette nature dans l'espace  amé- 
ricain.  Voici comment.  Mais avant tout, disons ce qu'est 
encore  cette  île sur le plan physique et ce qu'elle  fut 
jadis, juridiquement et administrativement parlant.

Situation géographique, politique et économique

     L'île  de  Marie-Galante est située  dans  l'arc  des 
Petites Antilles, par 16° Nord et 61° 15' Ouest (17 lieues 
de  tour),  appelée également la  Grande  Dépendance,  par 
rapport aux autres îles de l'archipel guadeloupéen. Géolo- 
giquement  on rattache la nature de son sol à celui de  la 
Grande-Terre  (autre  versant de la Guadeloupe  proprement 
dite).  Vue  en  mer,  à quelques milles  marins,  elle  a 
l'aspect   d'une  assiette  renversée.   Les   découvreurs 
espagnols l'ont comparée à un sombrero. Peut-être avaient-
ils  le  sentiment que Marie-Galante  saluait  leur  venue 
inattendue ?
     Au  XVIIIème siècle,  cette "Ante-Isle" dépendait  du 
gouvernement  de la Guadeloupe et avait une administration 
plus importante que de nos jours. En voici le détail :
"Un commandant particulier,  un major de place,  un  petit 
détachement  du régiment de la Guadeloupe et la milice  du 
pays  constituaient  sa force militaire.  Un commis  prin- 
cipal,  un garde magasin, un receveur du domaine formaient 
son  armature  civile.  La justice et  la  police  étaient 
confiées  aux soins d'un sénéchal et d'un officier  public 
chargé du pouvoir exécutif. L'administration municipale se 
composait  d'un  maire,  élu  à la pluralité  absolue  des 
citoyens  actifs,   d'officiers  municipaux  désignés   au 
scrutin de liste,  d'un procureur syndic et d'un greffier. 
Enfin,  six  avoués plaidaient au tribunal et trois  curés 
exerçaient  le culte dans les trois paroisses de  l'arron- 
dissement :  Grand-Bourg,  Capesterre et Vieux Fort Saint-
Louis" (devenue à présent Saint-Louis tout court).

     Sur  le  plan économique,  Marie-Galante était  alors 
relativement  prospère et la renommée de certains  de  ses 
produits  rayonnait bien au-delà d'elle.  Le coton qu'elle 
exporta  en  1775 pour une valeur de  Frs  400.000  était, 
selon le Père Labat,  d'une qualité qui dépassait celui du 
Levant "pour la longueur, la finesse et le lustre soyeux". 
Un  certain M. LE TELLIER avait même fabriqué un excellent 
vin,  aux  dires  du  dominicain qui  s'y  connaissait  en 
nourritures terrestres.

La cocarde tricolore

C'est  donc au sein d'une société tranquille ou  tranquil- 
lement organisée, car le servage n'était pas encore aboli, 
que  tomba  une  nouvelle qui fit beaucoup  de  bruit,  en 
Europe  comme  aux Antilles :  la convocation  des  Etats-
Généraux.  Marie-Galante  ayant appris,  par les  "papiers 
publics"  (comme  il se disait) venus  de  Guadeloupe,  la 
nouvelle  de la réunion des Trois Ordres et du port de  la 
cocarde tricolore, ses habitants arborèrent cet emblème, à 
l'exception du commandant militaire,  le marquis  de SÉGUR 
d'AGUESSEAU.
Les Marie-Galantais firent comprendre au ci-devant marquis 
que  son  acte  d'insubordination était on  ne  peut  plus 
déplacé, ce d'autant que des dissensions s'étaient élevées 
aux Isles du Vent (Guadeloupe, Martinique, Tobago, Sainte-
Lucie) entre "patriotes" et "aristocrates",  aggravées par 
le comportement des très officielles Assemblées coloniales 
de  Martinique  et  de  Guadeloupe,   prétendant  toujours 
brandir le pavillon blanc pour manifester leur fidélité au 
Roi Louis XVI.

     Mais  le  second acte vraiment  décisif,  qui  allait 
orienter  Marie-Galante dans la voie de la sécession,  fut 
celui du commandant militaire DESNOYERS, remplaçant le ci-
devant marquis admis à la retraite (forcée, probablement), 
et que l'on vit se promener dans les rues avec une cocarde 
blanche au chapeau.
     Craignant  de  voir,  comme  dans  son  alentour,  se 
propager  le feu de la discorde,  les habitants  perdirent 
confiance  dans leurs représentants officiels et  afin  de 
juguler  l'incendie  probable,  les  Assemblées  primaires 
furent   convoquées  et  il  fut  choisi  dans  les  trois 
paroisses, "douze citoyens chargés de ramener la tranquil- 
lité  et  de sauver la  colonie",  selon  l'expression  de 
Raphaël Bogat (*).

   Pour commencer, une commission d'enquête fut instituée, 
qui  déclara  coupable  le  commandant  DESNOYERS  d'avoir 
bafoué  ouvertement  la  loi,  et "qu'il  avait  perdu  la 
confiance  de la colonie,  étant donné que,  bien loin  de 
vouloir maintenir l'ordre et la paix,  il avait essayé d'y 
semer  le  trouble et la division en arborant  la  cocarde 
blanche". Cette commission, transformée pour ainsi dire en 
assemblée législative, se mit à légiférer. Le 1er novembre 
1792,  les  commissaires de Grand-Bourg et  de  Capesterre 
s'adjoignirent  celui de Vieux Fort.  M. DESHAYES fut  élu 
président et M. BESNIÉ, secrétaire.

L'indépendance

   Après avoir délibéré sur certains sujets d'ordre domes- 
tique,  la commission étudia en particulier ses  relations 
avec  la  Guadeloupe,  notamment le  comportement  qu'elle 
devait  tenir  vis-à-vis  du Gouverneur  par  intérim,  le 
vicomte d'ARROT,  qui avait remplacé le gouverneur,  baron 
de CLUGNY, décédé à Basse-Terre le 25 juillet.

     Cet  arrêté du 1er novembre 1792 marque la  naissance 
de  la  République  de  Marie-Galante,  aussi  appelée  la 
République des Douze,  par le fait des douze personnalités 
qui  avaient pris part à son élaboration :  MM.  DESHAYES, 
ROUSSEL-BONNETERRE,   MURAT,   BRUNEL,   PELLICO,  BÉQUET, 
PRÉVOST, ANDRÉE fils, HÉLOIN, BIOCHE, GREVIN, BESNIÉ.

  Je ne citerai que quelques-uns des considérants les plus 
significatifs et la décision finale.

"Considérant  que sous prétexte de leur attachement  à  la 
personne  du Roi,  qui n'est que le premier  fonctionnaire 
public,   ils   (les  membres  de  l'Assemblée  coloniale) 
affectent le plus souverain mépris pour la Nation qui  est 
tout  et  de  qui ce même fonctionnaire  tient  toute  son 
autorité,





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