G.H.C. Numéro 51 : Juillet-août 1993 Page 827
Pour un "amendement" au Code noir ?
acte trouvé par Pierre Bardin
et présenté par Bernadette et Philippe Rossignol
Encore une "trouvaille" inattendue au Minutier
central ! Devant Me Rouen, le 13 mai 1782 (ET/LXXI/37),
comparaissent :
"M. François BEUDET, conseiller honoraire au Conseil
supérieur du Port-au-Prince, propriétaire de plusieurs
habitations sises à St-Domingue, demeurant au château des
Thuilleries (sic), paroisse St-Germain l'Auxerrois;
Haut et puissant seigneur Messire Pierre Gédéon de
NOLIVOS, comte de Nolivos, maréchal des camps et armées du
roy, commandeur de l'ordre royal et militaire de St-Louis
et ancien gouverneur de St-Domingue où il possède des
habitations, demeurant à Paris, rue Grange Batellière,
paroisse de la Madeleine la Ville l'Evêque;
M. Jean Joseph PEYRAC, écuyer, ancien commissaire
général de la marine ayant fait fonction d'intendant à St-
Domingue et y possédant des habitations, demeurant à Paris
rue Poissonnière, paroisse St-Eustache;
lesquels ont déclaré, certifié et affirmé que,
quoiqu'aux termes de l'Edit de mars 1685 enregistré au dit
conseil le 6 mai 1687, concernant la police des Isles
françaises de l'Amérique, tout ce que les esclaves
acquièrent par leur industrie ou des libéralités appar-
tienne de droit à leurs maîtres, néanmoins ceux-ci, autant
par humanité pour adoucir la servitude que par la considé-
ration de leur propre intérêt qui les persuade d'attacher
à leur personne et à la culture de leurs terres les
esclaves qu'ils possèdent, ne se prévalent jamais du béné-
fice de la loi qui semble avoir voulu laisser aux maîtres
le meilleur ou plutôt le seul moyen de tourner à leur
sûreté et à leur profit le pouvoir presque absolu qu'elle
leur accordait.
Les comparants attestent encore que l'usage où sont
les maîtres de respecter le pécule que se forment les
esclaves par la culture des terrains qu'on leur distribue
sous le nom de jardins, par le soin d'élever des volailles
et des cochons et par les ventes qu'ils font librement des
fruits de leur industrie, le plus souvent à leurs maîtres
mêmes, remonte à l'époque de l'établissement des îles à
sucre, c'est-à-dire aux temps antérieurs à la publication
du Code noir; qu'enfin cet usage est tellement sacré que
les comparants n'ont eu connaissance d'aucune contra-
vention; qu'il s'étend jusqu'aux successions, lesquelles
passent toujours aux plus proches parents ou autres
personnes à qui l'esclave a entendu transmettre son pécule
et que le maître reçoit lui-même ce pécule en totalité ou
en partie des mains de son esclave pour le prix convenu de
sa liberté quand il plaît au maître de la lui procurer,
sans cependant vouloir lui en faire don."
Voilà les termes exacts de ce document, qui n'est
accompagné d'aucune autre pièce explicative. L'édit de
mars 1685, c'est le Code noir qui, dans l'article 28,
disait : "Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui
ne soit à leurs maîtres; et tout ce qui leur vient par
industrie ou par la libéralité d'autres personnes ou
autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en
pleine propriété à leurs maîtres sans que les enfants des
esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous
autres y puissent rien prétendre par successions, dispo-
sitions entre vifs ou à cause de mort; lesquelles dispo-
sitions nous déclarons nulles, ensemble toutes les
promesses et obligations qu'ils auraient faites, comme
étant faites par gens incapables de disposer et contracter
de leur chef."
Les "jardins" des esclaves ne sont pas mentionnés
dans le Code noir; en revanche, il est fait allusion au
"pécule" dans l'article 29 mais il n'est pas parlé de
rachat de liberté, seulement d'affranchissement par les
maîtres.
Qui saurait ce qui a pu motiver l'établissement d'un
tel acte notarié ? Nous le trouvons intéressant à plus
d'un titre, d'une part, parce qu'il prouve que les
rigueurs du Code noir étaient, sur certains points,
atténuées par l'usage et, d'autre part, parce qu'il montre
la priorité, dans certains cas, de l'usage antérieur au
Code noir sur les prescriptions de celui-ci.
COMPTE-RENDU DE LECTURE
par Bernadette et Philippe Rossignol
Dictionnaire encyclopédique Désormeaux
Dictionnaire encyclopédique des Antilles et de la Guyane
7 volumes, 2360 pages
Editions Désormeaux 3 rue Galliéni 97200 Fort-de-France
Ed. Désormeaux 12 rue François Arago 97100 Pointe-à-Pitre
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notices portent sur la langue créole, l'histoire, la
littérature, la nature, l'archéologie, les communes de
Guadeloupe, Guyane, Martinique et les pays de la Caraïbe,
le monde rural, etc. Toute la culture créole ! Nous y
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