G.H.C. Numéro 49 : Mai 1993 Page 790

Magnifique trouvaille sur PRIVAT d'ANGLEMONT
Willy Alante-Lima

A Mademoiselle Carida DANGLEMONT, 
arrière petite-nièce d'Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT

     En  écrivant ce bref essai,  notre seule ambition est 
de  faire  connaître un écrivain dont  la  réputation  est 
quelque peu vilipendée et, également, de susciter chez les 
curieux  de sa production la verve d'une érudition de  bon 
aloi,   que  nous  ne  croyons  pas  pouvoir  posséder  en 
l'espèce.
     Comme il est à peine connu de nos contemporains, nous 
dirons  d'abord  qui  il fut et tenterons  ensuite  de  le 
situer  par rapport à l'oeuvre dont nous nous proposons de 
faire  le  commentaire et la comparaison  (succincte  mais 
notable) avec une autre de Charles BAUDELAIRE.

      Jean-Léo,  un  des rares admirateurs de l'homme dont 
il sera ici question, écrit dans une monographie qu'il lui 
a  consacrée dans la revue belge disparue?  "Synthèses"  : 
"...auteur  d'un  "Paris anecdote" que  seuls  connaissent 
aujourd'hui quelques rats de bibliothèque férus de  petite 
histoire  parisienne.  Je  ne m'étonne ni ne m'indigne  du 
silence qui entoure la mémoire de PRIVAT.  C'est vrai  que 
son   oeuvre  n'est  pas  monumentale  et  qu'il  est  des 
dédaignés qui ont, moins que lui, mérité les oubliettes de 
la  postérité.  On ne connaît de PRIVAT que ses  amis.  Il 
faut dire qu'ils s'appelaient BAUDELAIRE,  NERVAL, MURGER, 
BANVILLE,  NADAR".  Dis-moi qui tu hantes ... "Sans croire 
aveuglément à la sagesse des proverbes,  il y a là de quoi 
faire  dresser l'oreille et donner le goût d'y aller  voir 
de plus près".
     Introduction  excellente  à la vie de  cet  homme  de 
lettres, dilettante absolu qui défraya la chronique litté- 
raire  et mondaine du XIXème siècle,  mais qui appelle  un 
double correctif. D'abord, qui est ce PRIVAT ?

     Il  s'agit d'Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT,  "homme de 
couleur"  (selon la terminologie de l'époque),  né  le  21 
août  1815  à Sainte-Rose,  Guadeloupe,  de la  demoiselle 
Elisabeth  DESMARAIS,  mulâtresse libre,  et  probablement 
d'un  père  gentilhomme  qui  ne  l'aurait  pas   reconnu. 
Alexandre  PRIVAT d'ANGLEMONT (1) fut fort célèbre à Paris 
(où  il  décéda  le 19 juillet 1859  à  l'hôpital  du  Dr. 
Dubois),  mais  ...  demeura  inconnu et méconnu  en  tant 
qu'homme de plume. N'est-ce pas son ami NADAR qui écrivait 
"Tant craqueur qu'on n'a jamais pu savoir s'il était juif, 
bulgare  ou mulâtre" ?  Disons qu'il était un  mulâtre  de 
caractère  roux ou chabin,  comme l'on dit en  Guadeloupe, 
aux yeux gris-vert,  et à la barbe abondante, aux dires de 
ses  amis  et d'après ses rares portraits.  En  voici  une 
esquisse :

  "Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT était,  à l'âge de 20 ans, 
un cavalier plein d'élégance et de distinction.  Sa taille 
grande,  mince  et  élancée,  un  grand  air  de  planteur 
américain,  des vêtements coupés à l'anglaise - chose rare 
alors - qui lui donnaient une tournure tout à fait britan- 
nique,  des  yeux gris et pleins de feu rayonnant  sur  un 
visage  que des taches de rousseur ne déparaient même pas, 
attiraient  sur  lui l'attention,  même des  indifférents; 
enfin,  pour couronner cet ensemble peu commun, surmontez-
le  d'une chevelure plantureuse,  crépue,  tirant  sur  le 
roux,  et  vous  n'aurez pas peine à vous  figurer  quelle 
figure originale et fantastique avaient sous les yeux,  en 
l'an de grâce mille huit cent trente-quatre, les dames qui 
s'épanouissaient  à la Chaumière et les jeunes hommes  qui 
campaient au café Procope" (2).

     Si l'oeuvre d'Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT n'est  pas 
monumentale,  littérairement  parlant - ce,  jusqu'à  plus 
ample  informé - l'homme,  cependant,  a "monumentalement" 
écrit,  dans  tous les domaines et dans tous  les  genres, 
pour  son  propre compte et davantage pour celui de  tiers 
(pratiques, amis et relations), car il fut leur "nègre" et 
même "nègre" d'un nègre,  par exemple l'Alexandre DUMAS de 
la Maison d'Or,  et également,  peut-être,  d'Eugène  SUE.  
Pierre Citron écrit : "Ce qui est remarquable chez PRIVAT, 
c'est son attitude envers ce métier de "nègre", ce bizarre 
mélange d'horreur, de complaisance et de fierté" (3).
  Il  dut sans doute accomplir ce ministère par  nécessité 
vitale  plutôt  que  par  vocation,  comme  le  voudraient 
certains  commentateurs  moins  lucides  ou  bienveillants 
(Claude  Pichois  écrit  tout uniment  :  "PRIVAT  est  un 
névrosé" (4), car la plupart du temps il ne signait pas ce 
qu'il  écrivait  et signait parfois l'oeuvre  des  autres. 
C'est pourquoi certains des poèmes qui peuvent être de son 
cru sont attribués à BAUDELAIRE,  BANVILLE ou  NERVAL,  et 
ceux  signés  de son patronyme lui sont repris  et  rendus 
d'autorité  à  Charles  BAUDELAIRE.  Mais au  Paradis  des 
Critiques,  il en est parfois qui font preuve de  sagesse. 
Alors,  en étudiant l'oeuvre baudelairienne,  ils prennent 
la juste précaution d'écrire : "Poésies attribuées".
  Pourquoi cette expression ?  Parce que l'un d'eux, Jules 
MOUQUET,  aurait  dépouillé  Alexandre PRIVAT  d'ANGLEMONT 
"sinon  absolument tous les vers signés PRIVAT,  du  moins 
toutes  les pièces courtes,  en particulier  les  sonnets" 
(L'observation est de Pierre Citron) (5).

     Mais notre propos d'aujourd'hui n'est pas de débattre 
des  "poèmes  retrouvés",   selon  l'expression  de  Jules 
MOUQUET,  et "attribués" par lui et par d'autres à Charles 
BAUDELAIRE. Comme le dit fort pertinemment Pierre Citron : 
"Les questions d'attribution méritent donc d'être appro
fondies" (6).
  Comme  la  Critique  fait généralement  plutôt  grâce  à 
Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT de sa prose,  nous nous atta- 
cherons donc à ce parti pris, d'autant plus qu'il s'impose 
en l'occurence.  Avant de poursuivre notre quête,  il faut 
souligner  l'heureuse  intuition de Jean-Léo écrivant  une 
sorte de précepte dont ne peuvent que bénéficier tous ceux 
qui s'intéressent au sort de cet auteur oublié,  considéré 
par  certains  commentateurs presque comme  un  kleptomane 
littéraire :  "...  il y a de quoi faire dresser l'oreille 
et donner le goût d'y aller voir de plus près".

 (1) Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT,  de toute la parentèle, 
est le seul à avoir usé de la particule.
 (2)  In :  "Le Siècle",  dimanche 24 juillet  1859,  1ème 
année, no. 30. Alfred Delvau.
 (3)  In  :   "Privat  d'Anglemont  ou  les  vérités  d'un 
menteur", p. 403.
 (4) In :  "Baudelaire",  texte établi, présenté et annoté 
par Cl. Pichois, Eons, La Pléiade, 2 vol. in-8, 1967-80.
 (5) Op. cit., p. 406.
 (6) Souligné par nous (Note de l'auteur).




Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 06/01/2004