G.H.C. Numéro 48 : Avril 1993 Page 778

Le début de la révolte de Saint Domingue dans la Plaine
du Cap, vécu par Louis de Calbiac

assassins.  J'aurais  trouvé  tout naturel qu'ils  eussent 
confisqué  la  plupart  de ces  femmes  pour  leurs  menus 
plaisirs,  je leur aurais même pardonné un peu de violence 
car  nous  leur jouons d'assez vilains tours à  ce  sujet, 
mais  exercer envers elles les cruautés les plus affreuses 
c'est  le  comble  d'une  méchanceté  diabolique.  Maudite 
engeance, tisons d'enfer, quels supplices inventerons-nous 
pour nous venger de vos barbaries ?  Et c'est à ces démons 
aussi pervers que nous voulons offrir un pardon général  ? 
Nous  ferions grâce à une race de crocodiles qui jurent de 
nous  dévorer  tous  ?   Et  quels  sont  les  blancs  qui 
voudraient  encore commander ces monstres  sauvages  ?  De 
tels  conspirateurs ne doivent-ils pas perdre la vie ?  Il 
faut au moins faire périr les chefs et comment les  recon- 
naître ? Qui nous les livrera ? Il faut donc se résoudre à 
les  massacrer  tous ?  Ce sera sans doute  une  boucherie 
effroyable,  mais  cet  exemple terrible fera naître  pour 
toujours la tranquillité  dans la colonie.
     Il  y  a environ quarante ans  que  les  Anglais,  en 
pareille  circonstance,  ne  balancèrent pas à prendre  un 
parti aussi violent pour vivre en paix à la Jamaïque.  Ils 
égorgèrent cinquante mille de leurs esclaves.  Ne  vaut-il 
pas  mieux  être cruel plutôt que de nourrir autour de soi 
des tigres acharnés à notre perte ? Et qui ne voit pas que 
faire grâce à ces diables ce ne serait que suspendre  pour 
un  moment les horreurs de toute espèce,  les  viols,  les 
assassinats,  les  mutilations infâmes dont ils se rendent 
coupables encore chaque jour ?

Soupçons et trahisons

     Cependant  M.  de  Blanchelande vient  d'envoyer  des 
paroles  de  paix  à  ces  furieux,   à  condition  qu'ils 
livreraient leurs chefs.  Ils ont répondu fièrement qu'ils 
étaient  tous chefs,  mais qu'ils mettraient bas les armes 
si l'on voulait rétablir l'ancien régime et leur  accorder 
la  liberté.  Cette  réponse qu'ils n'entendent qu'à  demi 
sans  doute,  car  aucun  d'eux  certainement  ne  saurait 
définir l'ancien régime,  a fait jeter d'étranges soupçons 
sur  la  conduite du général,  mal à  propos  peut-être  : 
d'autres  que  lui ne pourraient-ils pas avoir soufflé  ce 
mots  à ces brigands,  les blancs,  les mulâtres qui  sont 
parmi  eux,  ou plutôt les perfides espagnols  qui,  après 
nous  avoir refusé un léger secours en  hommes,  échangent 
avec  nos ennemis,  avec les nègres révoltés,  pour de  la 
poudre et des canons etc.,  l'argenterie,  les bijoux,  le 
linge etc., qu'ils ont pillés dans la plaine du Cap ?
Quoiqu'il en soit,  le glaive est suspendu sur la tête  du 
général (vous trouverez ci-joint,  une lettre à ce sujet); 
malheur  à  lui s'il ne fait pas finir bientôt une  guerre 
qui ne paraît avoir été suscitée que par le gouvernement. 

     Le  Cap pouvait déployer au-dehors une force de  huit 
mille hommes,  en voilà autant qu'il en faut pour  réduire 
avant  un mois tous les rebelles,  et tous les jours  l'on 
fait  des sorties et tous les jours l'on rentre sans avoir 
presque rien fait.  Le gouverneur fait espérer du  secours 
tantôt des colonies anglaises,  tantôt des Etats-Unis, une 
autre fois de la Martinique etc. et il n'en arrive jamais. 
Les  Anglais  nous  ont  bien envoyé de  la  Jamaïque  des 
fusils,  des canons et des sabres,  mais nous n'avons  pas 
besoin du secours des armes, c'est en hommes qu'il nous en 
faut.  Trop florissante colonie,  les ennemis de la France 
ont   sans  doute  juré  sa  destruction  entière  et  les 
scélérats y parviendront à force de trahison et de crimes.

Les mulâtres aussi

     Les  nègres  ne sont pas les seuls ennemis  que  nous 
ayons  maintenant  sur les bras,  l'orgueil  des  mulâtres 
s'est réveillé et les traîtres, profitant des troubles qui 
nous désolent,  demandent à jouir du bénéfice du décret du 
15 mai (18) les armes à la main.  En vain nous leur  avons 
promis  de  le  leur accorder aussitôt que le  général  le 
recevrait officiellement,  et s'il n'arrivait pas, disent-
ils,  nous  n'en verrions donc jamais l'accomplissement  ? 
Nous voulons que ce décret passe ou nous vous exterminons. 
C'est  là à peu près le sens de la réplique  insolente  de 
ces perfides. Ils sont au nombre de quatre mille devant le 
Port au Prince qui,  manquant de force pour les repousser, 
s'est  vu  contraint d'accéder à tout ce qu'ils  désirent. 
Aujourd'hui ils se sont retirés à la Croix des Bouquets  à 
deux ou trois lieues de cette ville d'où ils ne prétendent 
sortir  que  lorsque toutes les parties de  Saint-Domingue 
auront  imité  le Port au Prince,  c'est à  dire  qu'elles 
auront signé et approuvé le concordat le plus honteux.
(M.  Caladeux  (19),  à  la tête des habitants du Port  au 
Prince, ayant marché contre les mulâtres campés à la Croix 
des Bouquets,  leur a fait changer depuis,  le couteau sur 
la gorge, presque tous les artices de ce concordat).
 Mais  le  Cap  est bien éloigné de consentir à  cet  acte 
d'infamie et s'il pouvait terminer à l'instant une  guerre 
qui  l'occupe tout entier,  il n'aurait pas  l'humiliation 
aujourd'hui de ménager, de flatter des traîtres qu'il a en 
horreur,  il  les ferait bientôt rentrer dans la poussière 
ou s'en délivrerait pour jamais.  Ce dernier parti est  le 
seul  même  qu'on doive prendre si l'on veut se  mettre  à 
l'abri désormais de toute trame odieuse et meurtrière.  En 
laissant  respirer  au milieu de nous  les  perfides,  les 
orgueilleux  mulâtres,  c'est faire aiguiser des poignards 
pour  nous percer le sein;  les ingrats ont oublié  qu'ils 
doivent aux blancs leur vie,  leur fortune,  leur liberté. 
Un  parricide  ne  leur coûte rien et  ils  auraient  déjà 
exterminé tous les colons s'ils avaient autant de force et 
de courage qu'ils ont de noirceur et de  méchanceté.  Pour 
le  repos  de tous il faudrait donc purger la  colonie  de 
cette espèce bâtarde d'hommes trop vicieux, trop criminels 
pour  mériter jamais de devenir nos  frères.  Ah  que,  si 
l'Assemblée  Nationale  les eut bien connus,  elle  ne  se 
serait  pas  montrée  si empressée à  les  favoriser  d'un 
décret  qui  va  faire leur malheur et le  nôtre.  A  quoi 
pensaient donc ses augustes membres ?  Se sont-ils  jamais 
pu  persuader  que les colons consentiraient avec  joie  à 
traiter comme son égal l'enfant de son esclave ? La nature 
plus sage a mis entre nous et eux une ligne de démarcation 
qu'il n'était pas permis à la sublime Assemblée d'effacer, 
ni de rapprocher en aucune manière,  elle doit rester à sa
 
(18) Ce  décret  concédait  l'égalité civile aux  gens  de 
couleur nés de parents libres.
(19) Il s'agit très probablement de  Jean-Baptiste,  comte 
de Caradeux de la Caye (voir GHC page 540).




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