G.H.C. Numéro 46 : Février 1993 Page 728

Villes et marchands antillais aux XVIIe
et XVIIIe siècles : le cas de la Guadeloupe

petit volume, y figurent donc souvent. Quant aux esclaves, 
il  n'est  pas possible de les prendre pour des créoles  : 
leur langage,  leur apparence physique, révèle des "nègres 
nouveaux".  En effet, à Curaçao, les Français se procurent 
des esclaves de traite hollandaise.
     Lorsque GERMA fait appel de sa condamnation,  nous en 
apprenons  un  peu  plus sur lui :  il y a  une  quinzaine 
d'années  que ce citoyen de la République de Venise  s'est 
établi aux Antilles.  Il est alors âgé de 46 ans. Il argue 
du reste de sa qualité d'étranger pour prétendre qu'on  ne 
peut le soumettre aux lois du Royaume de France.    

  A Basse-Terre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

     Le  commerce  prend  alors une  envergure  bien  plus 
considérable.  Il  est le fait de véritables négociants et 
non  plus  seulement  de  gens qui  ne  faisaient  que  du 
commerce interaméricain,  du cabotage.  Avec ANGERON, nous 
allons  voir quelqu'un qui traite d'égal à égal  avec  les 
négociants européens et, avec MENARD, quelqu'un qui a fait 
presque toute sa carrière, officiellement, avec les Etats-
Unis.

Pierre Nicolas ANGERON :

     Il  est  né en 1743;  en quelque sorte,  il  naît  au 
moment  où  nos caboteurs-contrebandiers  de  la  première 
génération étaient en pleine action.  Il s'agit bien d'une 
génération postérieure. 
     ANGERON est créole, à ce titre, représentatif de 20 à 
30%  des négociants guadeloupéens dans la deuxième  moitié 
du  XVIIIe  siècle.  On  ne  sait  pas  généralement  que, 
derrière  les Bordelais mais devant les  Marseillais,  les 
Créoles sont le deuxième groupe parmi les négociants.
     ANGERON  est  négociant  au bourg  de  Saint-François 
Basse-Terre,  déjà  bien établi dans les années  1770.  Il 
représente  tout à fait  la génération des négociants  qui 
confortent  leur fortune à la faveur de la  Guerre  d'Amé- 
rique  puis de l'organisation d'entrepôts par lesquels  la 
Guadeloupe commerce avec les Etats-Unis et les îles étran- 
gères  voisines.  Il a une flotte de bateaux dont certains 
vont  en Europe;  il a lui-même,  comme les négociants  de 
Saint-Pierre  de la Martinique dans les années  1730,  des 
capitaines  géreurs  qui  vont pour  lui  dans  les  ports 
européens  mais  aussi  à Marie-Galante et  dans  d'autres 
îles,  françaises et qui négocient pour lui,  achètent les 
récoltes.  J'ai  par exemple le testament de l'un  d'entre 
eux,  MALARDEAU,  qui  est périgourdin :  quand  ce  jeune 
capitaine meurt,  il a tous ses gages déposés, depuis deux 
ans,  entre les mains de son capitaine-armateur; ceci veut 
probablement  dire  que MALARDEAU les réinvestissait  dans 
une maison de commerce qui marchait bien, dans l'espoir de 
devenir à son tour négociant un jour. 
     Par   ailleurs,   ce  qui  classe  ANGERON  dans  les 
négociants  importants,  c'est qu'il a été actif  dans  la 
traite  négrière  :  le gouverneur donnait une prime  pour 
chaque esclave importé.  Contrairement à ce que  concluent 
les  études  sur la traite française faites à  partir  des 
sources  émanant du bureau des colonies et qui estiment  à 
une  centaine seulement le nombre des esclaves importés en 
Guadeloupe pour les années 1786-1790,  nous voyons  Pierre 
Nicolas  ANGERON  à lui seul gérer la cargaison de  quatre 
navires  négriers de Nantes,  Honfleur et  Bordeaux  entre 
février et mai 1792, soit plus de 700 esclaves.
     Signalons  ici,  même si cela ne concerne pas  direc- 
tement  ANGERON,  une indication fournie dans l'inventaire 
après  décès  d'un  autre  marchand  sur  les   conditions 
d'arrivée des esclaves :  les magasins paraissent avoir eu 
des portes grillagées.  Pour des raisons sanitaires, on ne 
pouvait en effet mettre les portes de fer traditionnelles. 
     Ce qui classe aussi ANGERON dans la classe des riches 
négociants  c'est qu'il a,  dès 1770,   une maison sur  le 
cours de Basse-Terre; c'est une des plus belles maisons de 
la  ville,  dont  on  a  la  description  dans  les  actes 
notariés. 
     ANGERON  est allié à Louis BOTREL,  il est associé  à 
Pierre ROLLAND et à PEDEMONTE ce marchand génois,  ancêtre 
d'Alexis LEGER,  alias SAINT-JOHN PERSE. Il passe aussi de 
gros marchés pour fournir l'Etat.  Toute l'administration, 
les  bâtiments  de la Royale en  station,  se  trouvent  à 
Basse-Terre;  il  y  a aussi,  depuis le traité  de  Paris 
(1763)  une  présence militaire très importante.  Ce  sont 
autant de marchés de fournitures pour les gros négociants. 

     Enfin,  autre  signe de son importance,  ANGERON fait 
partie des émigrés, après avoir été franc-maçon depuis les 
années  1770.  A  la génération suivante,  les  négociants 
seront  membres des clubs révolutionnaires et des  munici- 
palités.  

Louis MÉNARD

     Voici quelqu'un qui a fait toute sa carrière dans les 
îles étrangères,  alors que Pierre Nicolas ANGERON n'avait 
pas  quitté  Basse-Terre.  MÉNARD  a eu  moins  de  succès 
qu'ANGERON mais son inventaire après décès,  qui se trouve 
dans  le notariat de l'époque révolutionnaire aux Archives 
de  la  Guadeloupe,  révèle  une  personnalité  originale, 
représentative  d'un  autre "profil"  de  négociant,  plus 
cosmopolite.                 
     Né  en  1730,  MÉNARD est donc  légèrement  plus  âgé 
qu'ANGERON.  Ses  origines ne nous surprendront pas  :  il 
vient d'Europe et d'un milieu marchand bien que pas direc- 
tement  d'une  région maritime.  Ses parents  avaient  une 
quincaillerie quai de la Mégisserie, à Paris donc. Ils ont 
envoyé le jeune Louis apprendre le métier de marchand chez 
l'oncle GROUT à Nantes.  L'adolescent fait ses classes sur 
des  navires  allant aux Amériques puis comme commis à  la 
Martinique.  Mais  voici que la guerre de Sept ans  (1756-
1763) amène l'interruption du commerce.  Car la France est 
en  mauvaise posture maritime,  contrairement à ce qui  se 
passera lors de la guerre d'Amérique  (1778-1783).  MÉNARD 
trouve alors,  comme tant d'autres avant lui,  la route de 
Saint-Eustache.  De commis,  il y devient associé, dans la 
maison de commerce "THÉNARD, LAFOND et MÉNARD". 

     La  situation  diplomatique qui préside à  la  guerre 
d'Amérique  met  du même côté que la  France,  contre  les 
Anglais,  les  principaux  partenaires commerciaux  de  la 
Guadeloupe,    c'est-à-dire   les   Nord-Américains,   les 
Hollandais  (ainsi que les Espagnols).  Ceci exaspère  les 
Anglais  qui mettent à sac les îles neutres où ces  alliés 




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