G.H.C. Numéro 39 : Juin 1992 Page 592
L'AFFRANCHISSEMENT D'ESCLAVES DANS LES COLONIES
FRANCAISES D'AMERIQUE Philippe Camprasse
1 - Rappel historique.
1492 : découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.
Novembre 1493 : Christophe Colomb découvre la Guadeloupe.
1635 : arrivée des Français en Guadeloupe et en Martinique
1635 à 1650 : la Guadeloupe et la Martinique sont adminis-
trées par la compagnie des isles de l'Amérique.
Les colonies dépendent du ministre des affaires étrangères
(jusqu'en 1669).
1650 à environ 1664 : c'est le régime seigneurial. La
Guadeloupe appartient comme terre privée à Charles Houël
du Petit Pré et la Martinique à Du Parquet. Mais ces
seigneurs sont en lutte constante avec les habitants des
îles (colons et Caraïbes).
En 1664, Colbert crée la compagnie des Indes Occidentales,
mais celle-ci disparaît assez rapidement à cause des
guerres et de difficultés financières.
1669 : les colonies dépendent désormais du secrétaire
d'Etat à la marine (Colbert) et non plus du ministre des
affaires étrangères. En 1685 , Colbert rédige sa "Grande
Ordonnance" qui devient le Code Noir.
Décembre 1674 : les colonies sont directement rattachées
au pouvoir et au domaine royal; le système seigneurial est
officiellement et définitivement aboli. Le représentant du
roi est le gouverneur avec, sous ses ordres, l'intendant
de police, justice et finances.
Première abolition de l'esclavage dans les colonies
françaises : décret de la Convention en date du 16
pluviôse An II (4 février 1794). Mais l'application de ce
décret est différente selon les colonies.
En Guadeloupe, l'arrivée du conventionnel Victor
Hugues et la reconquête victorieuse qu'il opère à partir
du 6 juin 1794 sur les contre-révolutionnaires, permettent
l'application du décret de l'abolition de l'esclavage.
L'administration de Victor Hugues dure jusqu'au 5 juin
1798.
A la Martinique, Victor Hugues échoue dans sa tenta-
tive de reconquête. La Martinique reste sous dominaton
anglaise de 1794 à 1802 après une guerre civile (1791-
1793). L'administration anglaise, alors soutenue par les
colons martiniquais, maintient la législation de 1789.
(rappel pour mémoire : la Grande-Bretagne abolit l'escla-
vage dans ses colonies en 1830). Le décret de la
Convention nationale n'est donc pas appliqué en Martinique
En Guyane, le décret du 16 pluviôse An II parvient
dans la colonie et y est appliqué.
Rétablissement de l'esclavage dans les colonies
françaises : sur instruction des membres du Directoire,
l'idée de rétablissement de l'esclavage dans les colonies
françaises se fait jour. En Guadeloupe, le gouverneur
Desfourneaux remplace Victor Hugues le 5 juin 1798 et dès
son arrivée il commence à liquider les acquis de la Révo-
lution française (réduction de la protection juridique des
Noirs; vexations à l'égard des soldats "sans-culottes"
noirs ...).
6 mai 1802 / 28 mai 1802 : épisode dramatique Richepanse,
Ignace et Delgrès, en Guadeloupe . A peu près à la même
époque, expédition à Saint-Domingue du général Leclerc :
échec total et proclamation d'indépendance de la partie
française de Saint-Domingue, Haïti.
28 mai 1802 : l'oeuvre abolitionniste de la Convention
nationale à la Guadeloupe s'éteint. Une atroce répression
contre les Noirs et les Hommes de couleur libres s'abat
sur la Guadeloupe.
16 juillet 1802 : à Paris, Bonaparte, alors Premier
Consul, annonce officiellement le rétablissement de
l'esclavage dans les colonies françaises (cf. toutefois la
loi du 30 floréal An X).
A la même époque, en Guadeloupe, le général Richepanse
rétablit, par arrêté, l'application de la législation
antérieure à 1789.
Par voie de conséquence, de nombreux affranchis ou
nouveaux libres ont été amenés à solliciter des "actes de
confirmation de liberté" : des exemples de tels actes ont
été remarqués dans l'état civil de communes de la Marti-
nique.
Arrêt de la traite des Noirs : ordonnance royale du 8
janvier 1817 .
Seconde abolition de l'esclavage dans les colonies
françaises : décret du 27 avril 1848. L'application de
cette seconde abolition de l'esclavage est complète.
Tout au long de cette période, il a été possible
d'affranchir des esclaves. Nous allons voir la base juri-
dique et la procédure utilisée à partir du milieu de
l'année 1832.
2 - L'affranchissement : ordonnance du 12 juillet 1832
Une ordonnance du roi des Français Louis-Philippe 1er en
date du 12 juillet 1832 permet aux maîtres d'esclaves ou
bien à des "patrons" , c'est-à-dire des gens de condition
juridique libre et nantis d'un certain pouvoir économique
et social, d'affranchir des esclaves. Cette autorisation
est étendue à certains esclaves dits "libres de fait", ou
jouissant d'une assez large autonomie de vie et ayant
quelque revenu ou pécule.
L'obligation d'avoir un "patron" obligeant répond au fait
juridique de liberté : en effet, seul un être libre peut
accorder la liberté. En outre, il faut engager quelques
louis ... (francs de l'époque).
La procédure d'affranchissement prévoit une décla-
ration faite devant le procureur du roi, qui peut être
assimilé à l'actuel procureur de la République. Celui-ci
ordonne, à intervalle de six mois, trois inscriptions de
cette déclaration dans le "journal officiel" de la
colonie; ces insertions légales sont faites aux frais du
déclarant, d'où la nécessité d'avoir un pécule ou des