G.H.C. Numéro 35 : Février 1992 Page 528

L'amazone de Félix POULLET
et les reines de sir Amice POULET

Rolande Hlacia née Poullet

     Qu'on  veuille bien me pardonner d'aborder la  généa- 
logie  par le petit bout de la lorgnette que je  braquais, 
avec curiosité, sur la société antillaise, dans les années 
40.  J'étais  alors une toute petite fille,  née en métro- 
pole, et celui qui me faisait observer le monde, réfléchir 
et rêver,  était mon grand-père, Félix POULLET, né à Fort-
de-France en 1882.  Au cours des années 20, les duretés de 
l'existence  avaient  amené  celui-ci en métropole  où  il 
vivait comme un prince en exil.  C'est ainsi qu'il  embel- 
lissait  la  réalité  de ses souvenirs par  la  magie  des 
rêves,  si bien qu'il était difficile de discerner le vrai 
du  faux  dans  ses récits.  Des  circonstances  fortuites 
avaient voulu qu'il élevât seul ses trois fils avec l'aide 
de "gouvernantes" qui changeaient souvent,  au gré de  ses 
humeurs  plutôt  volages.  Il  avait quand même  fini  par 
épouser  la plus gentille d'entre  elles,  une  Auvergnate 
d'Aurillac,  et  j'ai passé toute mon enfance chez eux.  A 
quatre ans, je fréquentais les champs de course parisiens, 
où mon grand-père croyait toujours récupérer une  hypothé- 
tique  fortune.  Il  disait  volontiers  que  nous  étions 
"diminués  de fortune".  Ce pudique euphémisme éludait  la 
dure  réalité  ainsi que la précarité dans  laquelle  nous 
vivions.

     En 1941,  nous habitions à Aurillac,  mais les douces 
habitudes antillaises n'avaient pas disparu de notre  vie; 
c'est ainsi que,  même s'il n'y avait plus de rhum pour le 
punch,  nous  prenions,  malgré tout,  l'apéritif au grand 
café d'Aurillac,  familièrement dénommé "Chez  Kiki".  Mon 
grand-père  fréquentait  ce café plutôt par  désoeuvrement 
que  par  affinités  réelles avec  les  habitués,  car  il 
n'avait pas grand-chose à dire sur la pêche au  goujon,  à 
la truite ou à l'écrevisse,  etc.,  qui alimentait d'ordi- 
naire les conversations.  Alors,  mon héros s'efforçait de 
faire  décoller les propos sur les ailes de l'imaginaire à 
destination  des  Antilles.   Il  inventait  d'incroyables 
histoires  de bêtes sauvages et de chasses  spectaculaires 
qui laissaint pantois,  mais sceptique, le solide bon sens 
auvergnat  à  fortes  connotations  paysannes.   Comme  la 
conversation  affabulatrice  de  mon  grand-père   lassait 
parfois  l'auditoire,  nous nous retrouvions souvent seuls 
"chez  Kiki".  Moi,  j'étais une auditrice émerveillée par 
tout  ce  qui venait des Antilles,  savoir le  gai  et  le 
triste, le beau et le laid, le vrai et le faux, etc. Féfé, 
c'était son doux diminutif antillais, m'emmenait là-bas et 
je montais à cheval à côté de lui, dans la savane, sur mon 
poney,  comme sa soeur,  Adrienne, dont il me décrivait le 
costume  d'amazone  des  centaines  de  fois,  jusqu'à  la 
couleur  du  petit chapeau qu'elle portait crânement  posé 
sur le côté.
   Peu importaient alors les vicissitudes de la dure exis- 
tence  de ces années difficiles,  et même les continuelles 
moqueries des petites Auvergnates,  à l'école, sur mon nom 
de gallinacé,  avec des plaisanteries fines,  telles que : 
Poullet avec un l ou deux ll, une aile ou deux ailes, etc. 
Mon  grand-père  m'avait  dit que  nous  étions  d'origine 
anglaise,  qu'à la Martinique notre nom se prononçait avec 
le  t  et  que  le nom  d'origine  "POWLET"  était  devenu 
"POULET".  Ces  avatars  alphabétiques  m'enchantaient  et 
suffisaient  à  me consoler.  Que n'ai-je alors  posé  les 
bonnes questions pour en savoir davantage et m'éviter, par 
la suite, des recherches peut-être vaines !

     Quittons maintenant les années 40,  pour retrouver ma 
fille à la fin de ce siècle, en vacances à Jersey, tombant 
en arrêt devant les armes de la famille POULETT,  apposées 
partout sur la forteresse de Montorgueil,  et se demandant 
si  la légende de notre ascendance anglaise pouvait  avoir 
d'autres  fondements que les histoires à dormir debout  de 
son bisaïeul.
     Grâce  aux recherches de mon oncle ,  Félix  POULLET, 
fils de l'autre, je connais l'ascendance de ma famille, en 
Martinique,  en ligne directe,  jusqu'à Jean POULET, né en 
France,  à Brainville,  en face des côtes de Jersey,  vers 
1602,  mais  je  n'ai pas retrouvé d'autres traces de  mon 
nonaïeul. Alors, je me suis tournée vers l'abondante docu- 
mentation  existant  sur les POULETT,  dans  l'espoir  d'y 
trouver  des pistes intéressantes.  Je sais que le nom  de 
cette  famille,  d'origine  française,  apparaît  dans  le 
Somerset  avec  un certain Walter de POULET of  PAWLET  en 
1203. Au cours des siècles, le nom s'écrira successivement 
POULET,  PAULET,  POWLET puis POULETT,  lorsqu'en 1706 les 
POULETT  deviendront comtes,  lords et pairs  du  royaume, 
jusqu'à  l'extinction  du nom avec le huitième et  dernier 
comte POULETT, mort en 1976.

     Le  personnage le plus célèbre de cette famille  sans 
histoire,  malgré les quelques flambeurs inévitables  pour 
secouer  tout ce conformisme séculaire,  de temps à autre, 
est Sir Amice POULET,  qui fut ambassadeur d'Elisabeth  en 
France,  de 1575 à 1579. C'est à lui que celle-ci confiera 
la  garde  et la tutelle de Marie STUART de 1585  à  1587. 
L'Histoire retiendra le nom de Sir Amias PAULET tandis que 
celui-ci  signe  sa correspondance de nom d'Amice  POULET, 
selon son ascendance médiévale et française.
     La correspondance d'Elisabeth et d'Amice est  tout-à-
fait passionnante car elle révèle l'habileté redoutable de 
ce personnage, peu sympathique au demeurant, plus soucieux 
de  se concilier les bonnes grâces de sa redoutable souve- 
raine  que  de faire preuve d'humanité  envers  la  pauvre 
Marie.  On est affligé par la mesquinerie avec laquelle il 
refuse  à  sa captive le droit de conserver les  attributs 
royaux (tels que le dais au-dessus de son siège);  d'autre 
part, il se plaint que l'entretien du linge de cette reine 
(française) coûte trop cher à la couronne (anglaise). Dans 
une  lettre étonnante,  il regrette vivement qu'un  coffre 
contenant des images pieuses,  des chapelets, etc. ait été 
envoyé  à  sa captive.  Plus royaliste que  sa  reine,  il 
reproche à celle-ci d'avoir permis cet envoi car  lui-même 
aurait  voulu  détruire ces objets et il regrette  "d'être 
condamné  à cette promiscuité d'une perversité  infernale, 
espérant  vivre assez longtemps pour en voir  extirper  la 
racine"  (sic).  Il  faut se garder pourtant d'estimer  ce 
comportement  hors de son contexte historique,  car  Amice 
est un puritain convaincu,  persuadé qu'il a pour  mission 
sacrée  de  combattre le catholicisme,  incarné dans  l'ex 
reine d'Ecosse.  Pourtant, ce personnage ambigü refusera à 
Elisabeth le service qu'elle lui demande (savoir  éliminer 
Marie sans autre forme de procès), en des termes dignes de 
l'histoire  :  "A Dieu ne plaise que ma conscience ne soit 




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