G.H.C. Numéro 35 : Février 1992 Page 519

COOPERATION

du R.P. Maurice Barbotin : Quelques réflexions à propos de 
l'article  "Le  nom patronymique en Guadeloupe" de  Gérard 
Lafleur (GHC p. 426)

        Ces  observations  sont basées sur mes  recherches 
dans les archives de Marie-Galante et aussi, à l'occasion, 
dans celles de la Désirade,  de Terre de Haut et de  Terre 
de  Bas des Saintes.  La situation était peut-être la même 
en Grande Terre et en Basse-Terre, je ne me prononce pas.

     Il est écrit :  l'esclave affranchi "prenait  souvent 
le nom de son ancien maître".  On l'entend dire, mais est-
ce  bien vrai ?  Tout d'abord,  l'affranchi ne choisissait 
pas  son  nom;  l'officier d'état civil  attribuait  celui 
qu'il voulait;  dans les cas  d'affranchissement,  c'était 
peut-être  en  accord avec le maître.  Je connais un  seul 
cas :  le docteur Félix SELBONNE, de Grand Bourg de Marie-
Galante,  me  disait  que son nom patronymique venait  des 
BOTREAU  ROUSSEL BONNETERRE,  famille importante de Marie-
Galante.  Ce n'était pas un des noms de cette famille  qui 
fut attribué. 
  On trouve,  il est vrai,  à Marie-Galante,  des  WACHTER 
blancs,  d'autres  de couleur.  Je ne peux pas,  là où  je 
suis,  faire  de  recherches pour savoir si  ces  derniers 
portaient  le  nom avant 1848 ou s'il y a eu un enfant  de 
couleur  reconnu  après  cette date.  Je  ne  connais  pas 
d'autre cas à Marie-Galante.  Le mot "souvent" semble donc 
injustifié.

     Il est écrit : "En 1848 (...), les prénoms deviennent 
noms  de  famille.  Souvent l'usage  s'était  établi  dans 
l'atelier  de  considérer  le prénom  officiel  comme  nom 
propre  et  l'individu  était  connu par  son  surnom  qui 
devient  son  prénom."  Effectivement,  je  pense  que  le 
prénom,  qui  était marqué sur le registre  des  esclaves, 
était forcément considéré comme nom officiel puisque cette 
personne n'en avait pas d'autre.  En outre, comme partout, 
certains  avaient  un  surnom,   mais  j'ai  consulté  les 
registres  des  nouveaux libres de Saint-Louis  de  Marie-
Galante  et de la Désirade et je n'ai pas souvenir d'avoir 
vu  une  seule  fois  le  prénom  ou  le  surnom   devenir 
patronyme.  Le  cas s'est-il présenté ailleurs ?  Je ne me 
prononce pas. 

   Pour  bien  éclairer la question,  n'oublions  pas  que 
l'attribution du nom dépendait uniquement de la volonté de 
l'officier d'état civil. Certains n'ont pas fait preuve de 
beaucoup d'imagination,  ils se sont rabattus sur des noms 
géographiques comme BORDELAIS,  BOURGUIGNON, HORN, CUSSET, 
SYDNEY,  CATALAN,  ADIGE,  TAGLIAMENTO.  Ou  sur des  noms 
connus de l'Histoire ou de la Bible :  VOGAO,  URIE, JOAB, 
CAPET, ROUSSEAU, NELSON, DAUDAS, EPAMINONDAS. Certains ont 
pris des noms latins ou latinisés : ALTER, NERVIS, VIATOR, 
COQUILLAS,  LOPILUS,  LEGITIMUS,  PHEMIUS,  CIVIS,  NAVIS, 
DOLIUM,  SEXTUS...  En  Désirade,  on trouve des  noms  de 
minéraux  :   NICKEL,  TITANE,  LAITONA,  ARGILON,  JADON, 
ALUMINE, AMIANTE, PEPITE.

   Parfois,  sans  doute épuisé,  l'employé se  contentait 
d'une  inversion,  par  exemple SIOBUD  (DUBOIS),  NIRELEP 
(PELERIN);  celles-là sont anodines,  d'autres moins,  par 
exemple   EVISSEL  (LESSIVE).   Certaines   même   étaient 
franchement méchantes. 

     A ce sujet, M. Lafleur note judicieusement :
     "Toute  une série de noms donne un éclairage  sur  la 
personnalité  de  l'officier  d'état civil",  mais  il  ne 
précise pas, sans doute parce qu'il trouve trop délicat de 
le dire. Précisons cependant : dans certains registres, on 
constate l'aigreur contre l'abolition, voire le racisme de 
l'officier   d'état   civil  tournant  en   dérision   des 
malheureux   nouveaux  libres  ou  leur   attribuant   des 
patronymes odieux.  Dans les registres des nouveaux libres 
de  Saint-Louis,  on  trouve  :  "lui avons donné  le  nom 
patronymique  de ABDEL";  le  suivant,  KADER;  ou  encore 
CARTOUCHE, MIRLITON, PALOURDE, LANGOUSTE, CHIPIPI, COQUERA 
(fera   l'acte  sexuel),   COQUERAPA  (ne  le  fera  pas), 
CLITORIS, etc.

     J'apprécie la remarque de M.  Lafleur sur l'abolition 
de 1794.  Il est bon de souligner fortement que ce n'était 
pas  une  vraie abolition :  les registres consignant  les 
noms des esclaves restaient en service;  ceux-ci gardèrent 
leur  numéro matricule et ne reçurent pas de nom  patrony- 
mique comme les gens libres.

     Enfin,  à  propos des Guadeloupéens émigrés vers  les 
autres  îles caraïbes,  il est écrit "les départs les plus 
importants se situent à la fin du 17° siècle (...), départ 
des Protestants qui refusèrent d'abjurer (...)". Une telle 
affirmation  me surprend.  Pour le XVII° siècle  à  Marie-
Galante,  je  trouve  bien une poignée de pauvres  bougres 
(catholiques) qui émigrent en Martinique avec le capitaine 
LEFORT vers 1649.  Puis,  en 1676,  les Hollandais,  après 
s'être emparés de Marie-Galante, permirent à tous ceux qui 
s'en  iraient avec eux d'emporter tous leurs  biens.  Nous 
avons  la  liste  nominale des 38  partants.  Il  y  avait 
quelques  protestants parmi eux,  contents de passer  sous 
l'autorité de leurs coréligionnaires,  mais l'ensemble  de 
ces  "déserteurs"  avait préféré,  au lieu de  se  laisser 
dépouiller  par  les  Hollandais,   rassembler  ce  qu'ils 
avaient,  piller  leurs voisins et partir avec leurs biens 
et leur butin. 

   A  Marie-Galante,  je ne vois aucun départ pour  éviter 
d'abjurer.  Par contre,  vers 1680,  sont venus à Terre de 
Bas  des protestants qui avaient abjuré;  ce sont eux  qui 
ont  commencé  le développement de  cette  île.  Je  pense 
qu'ils venaient de la Guadeloupe
   Pour la Guadeloupe,  ne faut-il pas compter les départs 
des Protestants fidèles à leur foi au point d'émigrer, par 
dizaines ?

   Quand M. Lafleur écrit "Les départs les plus importants 
se  situent à la fin du XVII° siècle",  je  suppose  qu'il 
oublie  de  dire qu'il ne parle pas du XVIII° siècle  car, 
sans  avoir étudié en détail l'histoire de la  Guadeloupe, 
je  pense que l'on peut affirmer :  à  la  Révolution,  de 
nombreuses   centaines  d'habitants  émigrèrent  vers  les 
autres îles caraïbes.  Certains revinrent,  mais pas tous, 
loin  de là.  Ce qui fait beaucoup plus de partants  qu'au 
XVII° siècle.

                      

ANNONCE

         Madame Claude Meissner souhaite acquérir 
       l'Histoire de la Martinique de Sidney Daney.        




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