G.H.C. Numéro 33 : Décembre 1991 Page 446
TAVEAU de CHAMBRUN de CHATEAUBLOND
ou la phobie de l'empoisonnement
Bernadette et Philippe Rossignol
Dans le registre paroissial des îles de Lérins, M.
Gaudais a relevé, parmi les décès des personnes incar-
cérées dans "le Château des Isles" par "lettre de cachet"
1787 : TAVEAU CHAMBRUN de CHATEAU BLON, originaire de
Port-au-Prince (St-Domingue), détenu par ordre du Roy.
Pour la généalogie de la famille, nous renvoyons les
lecteurs à l'étude du colonel Arnaud, publiée en 1964.
Nous nous intéressons ici à Henri Louis TAVEAU de
CHAMBRUN de CHATEAUBLOND, né vers 1744, qui épousa avant
1771 Marie Louise de CARADEUC, née à la Croix-des-Bouquets
le 15 mars 1746, fille de Jean Jacques de CARADEUC et
Louise Amable SIMON et veuve de Jean Baptiste GRAND de LA
SALINE, officier de milice et habitant de Port-au-Prince
puis de la Petite Rivière de l'Artibonite, décédé vers
1768-1770. Marie Louise de CARADEUC mourut à Charleston,
en Caroline du Sud, le 24 septembre 1807.
Mousquetaire du Roi, le sieur de CHATEAUBLOND se
plaint à Fontainebleau, en 1772, pour injustice et
vexation à cause d'un procès en séparation intenté par sa
femme. Celle-ci a retiré de la maison conjugale 20 nègres
domestiques et de nombreux effets que retient le sieur de
CARADEUC, lequel doit à CHATEAUBLOND 45.000 livres pour
ferme de son habitation.
Un second mémoire, toujours à Fontainebleau en 1772,
indique qu'il a quitté St-Domingue fin juillet 1771 avec
sa fille âgée de 4 à 5 mois et la négresse Marthonne,
nourrice de l'enfant. Il demande à garder la nourrice
jusqu'en avril 1773 quand l'enfant sera sevrée. Il précise
que les lois avaient fixé la caution pour les esclaves
emmenés en France à 1.000 livres et le terme à 3 ans, mais
que "par ordre secret", la caution aurait été portée de 3
à 4.500 livres (il a versé 3.000 livres) et le séjour des
esclaves en France réduit à un an ou même 8 mois.
CHATEAUBLOND retourna donc à St-Domingue où il vécut
séparé de sa femme et c'est en mars 1786 que l'affaire
éclata. Depuis trois ans, il croyait que ses nègres
cherchaient à l'empoisonner et, un soir de mars, il fit
venir deux de ses nègres, leur demanda de l'eau, prétendit
qu'ils y avaient mis des herbes, les amarra à un poteau et
appela une de ses négresses qu'il avait pris l'habitude de
téter comme antidote contre le poison et pour calmer ses
douleurs. Au bout d'un quart d'heure, comme elle n'avait
plus de lait, il lui mordit cruellement le sein, lui donna
un coup de poing et la renvoya, puis tua les deux nègres
et une autre négresse pendant que les autres parvenaient à
s'enfuir. Il hurlait qu'il allait mourir, qu'il sentait
ses entrailles brûler, que ses nègres depuis des années
lui donnaient du vert-de-gris, de l'arsenic, du verre
pilé, du vitriol, etc.
L'information au greffe de Port-au-Prince, le 31 mars
1786, couvre 23 pages serrées. Défilent 25 témoins,
esclaves, mulâtres libres, habitants blancs.
Finalement une sentence d'interdiction est rendue
contre lui le 4 avril et on l'embarque le 21 avril sur
"L'Anonyme", de Nantes, capitaine BACHELIER, lequel le
remettra à l'ordonnateur de Nantes, qui le gardera en
prison jusqu'à ce qu'on détermine dans quelle maison de
force il sera interné.
L'histoire ne s'arrête pas là : CHATEAUBLOND ne donna
aucune marque de folie à bord et se comporta si bien que
le capitaine, à l'arrivée à Paimboeuf le 17 juin, le pria
de l'attendre à bord pendant qu'il réglait certaines
affaires. A son retour, CHATEAUBLOND s'était enfui !
La famille de France, son oncle LA TOISON de
ROCHEBLANCHE et sa belle-soeur Madame de CHAMBRUN,
aussitôt avertis, sont prêts à croire les rumeurs les plus
folles : on leur a dit qu'il aurait été battu par des
paysans à Varades, à 10 lieues de Nantes, puis arrêté par
deux cavaliers de la maréchaussée pour tapage. Ayant
encore réussi à s'enfuir, "fou furieux et méchant", il
aurait été de nouveau arrêté à Durtal près de La Flèche
pour y avoir tué un enfant dans un moment de crise "parce
qu'il lui fallait du sang". On saura plus tard que
"l'aventure de Durtal" n'était pas vraie mais le sieur
PAILLET, commissaire de police, par suite d'un ordre du
Roi du 8 juillet, obtenu à la demande de la famille, se
mit à sa recherche et finit par le trouver le 12 juillet à
Paris, où il était depuis 17 jours. "La capture n'a pas
été facile et quinze hommes n'ont pas été de trop pour
s'en emparer. Il n'a cédé qu'au nombre. Il est actuel-
lement à l'hôtel de la Force", écrit la belle-soeur, qui
semble avoir tendance à exagérer les faits et envoie dès
le lendemain de l'arrestation une lettre avec les termes
dans lesquels devait être rédigé le nouvel ordre du Roi
pour l'envoyer "au Château-fort des Isles Sainte-
Marguerite"
Le même jour 13 juillet, l'oncle de ROCHEBLANCHE fait
la même demande, "les larmes aux yeux", comme "père de
douze enfants vivants et tenant à une famille considérable
et des plus honnêtes" : il faut tout faire pour que son
neveu ne puisse plus s'échapper. La famille paiera.
En fait, la famille demande que M. BACHELIER, le
capitaine du navire "l'Anonyme", envoie à M. de MONTGRAND,
gouverneur des îles Ste-Marguerite, les deux malles
fermant à clef appartenant à M. de CHATEAUBLOND et
contenant ses effets, car il est dénué de tout, et les
3.000 livres qui lui ont été remises à son départ de Port-
au-Prince et qui serviront à payer sa capture et sa
pension.
L'ordre du roi pour le mener à Ste-Marguerite est du
15 juillet 1786. Le 12 août, le commissaire de police
PAILLET avait "terminé sa mission". Et le 16 janvier 1787,
le chevalier de MONTGRAND fait part au ministre de la mort
du sieur de CHAMBRUN de CHATEAUBLOND, dans la nuit du 15
au 16, après une courte maladie.
Le reste du dossier comprend les réclamations tant de
PAILLET que de MONTGRAND parce que la famille rechigne à
payer les frais de capture et les 3.000 livres de pension.
PAILLET a présenté à la famille sa note de frais légalisée
et attend en vain le remboursement de 2.999 livres 16
sols, la famille de Paris prétendant qu'elle attend des
fonds de St-Domingue. Pourtant, dit-il, "ils ont plus de
20 et 40.000 livres de rente au vu et su du public" et il
précise que :
- la mort de M. de CHATEAUBLOND laisse à sa femme les
12.000 livres de rente annuelle qu'elle s'était obligée à
lui compter sur ses biens par arrangement entre eux lors
de la sentence d'interdiction rendue à Port-au-Prince le 4
Révision 26/08/2003