G.H.C. Numéro 32 : Novembre 1991 Page 428

UNE LETTRE DE CACHET EN 1758
François Jean Mallein

  
     Ma  quinti-aïeule,   Marie  Hugues  PLéJEOT,   épouse 
d'Etienne RATIER CLéRET,  mourut d'une attaque d'apoplexie 
le  5 avril 1784.  Née à Tours le 18 mai 1710,  elle avait 
donc  74  ans.  Son fils aîné,  Etienne  François  CLéRET, 
avertit aussitôt son frère Edme Louis,  mon  quatri-aïeul, 
mais sa lettre,  au ton assez amer du reste, fait allusion 
à  leur frère "qui est aux Isles à la requête de  Monsieur 
le  procureur du Roi".  Cette phrase sybilline nous  avait 
toujours intrigués,  mais c'est seulement après la mort de 
mon  père  qu'il me vint à l'esprit de chercher  dans  des 
archives  les  traces de cette mesure  d'éloignement,  qui 
pouvait  résulter  d'une  lettre de cachet  obtenue  à  la 
requête de la famille.  Les archives de la Bastille, abri- 
tées à l'Arsenal depuis ...  1789, allaient m'en donner la 
confirmation.
     Pierre  RATIER  CLéRET  avait été  baptisé  à  Tours, 
paroisse St-Hilaire,  le 4 avril 1742. Indiscipliné, il ne 
fit pas les études sérieuses de ses frères qui leur firent 
occuper  des  postes sur les canaux du duc  d'Orléans,  où 
leur père, d'abord entrepreneur des ouvrages du Roi, était 
devenu inspecteur du canal de l'Ourcq, avec résidence à la 
Ferté-Milon.  Il  fallut  donc  placer  Pierre  CLéRET  en 
apprentissage dans un métier;  la soeur de son père, Marie 
Marguerite  RATIER CLéRET (1702-1778),  qui  avait  épousé 
Pierre  de  LA FRESNAYE,  bourgeois de Paris,  ayant  pour 
gendre  Etienne ROBERT,  alors orfèvre (il fut  plus  tard 
contrôleur  des  rentes de l'hôtel de  ville),  on  trouva 
aisément  un maître pour initier l'adolescent à l'orfèvre- 
rie.  Plus  tard,  il aurait pu succéder à son cousin  qui 
n'avait pas d'enfant. 
  Mais un premier contrat d'apprentissage fut rompu par la 
faute  de  Pierre CLéRET et son oncle LA FRESNAYE  le  fit 
alors entrer chez un sieur CONVERSET,  orfèvre rue  Perpi- 
gnan. Le comportement du jeune garçon ne s'améliorant pas, 
CONVERSET décida de s'en séparer, n'acceptant de le garder 
que les quelques jours nécessaires à trouver une solution. 
On l'accusait de libertinage et d'irréligion,  mais ce fut 
un  vol  qui  obligea ses parents à  prendre  des  mesures 
sévères,  "ayant  lieu de craindre qu'il ne les couvre  de 
déshonneur par ses mauvaises inclinations."
 Au  mois  d'avril 1758,  Pierre avait donc tout juste  16 
ans,  le lieutenant général de police reçut une  supplique 
signée d'Etienne CLéRET,  de sa femme, de Marie Marguerite 
PLéJEOT épouse de LA FRESNAYE,  et de l'orfèvre CONVERSET, 
exposant  que  le  "mauvais  fond  et  l'irréligion  dudit 
(Pierre)  CLéRET leur faisaient justement appréhender  des 
suites  qui ne se vérifient que trop tous les jours";  ils 
sollicitaient donc "une lettre de cachet pour faire enfer- 
mer  ledit  Pierre  CLéRET dans le château  et  prison  de 
Bicêtre pour qu'il n'en puisse sortir sans leur  consente- 
ment  et les mettre par là à l'abri,  eux et leur famille, 
du déshonneur dont il pourrait les couvrir,  se soumettant 
à  payer  la pension nécessaire pendant le temps  qu'il  y 
sera détenu."   
  L'enquête  du  commissaire  CHéRON  et  de  l'inspecteur 
COUTEILLOUX  confirme,   malheureusement,  les  "mauvaises 
inclinations" de l'adolescent,  adonné au "libertinage" et 
enclin  au vol.  La lettre de cachet sollicitée  fut  donc 
accordée  le  14 mai 1758 et,  trois jours plus  tard,  le 
commissaire et l'inspecteur arrêtaient Pierre CLéRET et le 
conduisaient à Bicêtre. 
  Il  devait y rester deux mois car,  et la  supplique  du 
mois d'avril le précisait bien,  l'internement n'avait été 
demandé que pour soustraire le jeune homme à ses habitudes 
le temps nécessaire à la solution de l'affaire :  un capi- 
taine  de  la Compagnie des Indes accepta l'engagement  de 
Pierre CLéRET et,  dès le 18 juillet,  un ordre du Roi est 
demandé pour sa sortie de Bicêtre.  Pendant ces deux mois, 
durant lesquels la famille a payé la pension, l'adolescent 
a pu méditer sur les réactions de la bourgeoisie du XVIII° 
siècle devant le "libertinage et l'irréligion".
     Mais  qu'advint-il  de lui ?  La Compagnie des  Indes 
allait-elle le transformer en un parangon de vertu ?  Cela 
me paraît bien douteux.  Son frère aîné, Etienne François, 
le  croyait  toujours en vie 28 ans plus  tard,  en  1786, 
lorsqu'il  annonçait  à mon quatri-aïeul la mort  de  leur 
mère.  Il faudrait consulter la liquidation de la  succes- 
sion pour savoir si elle fut partagée en trois.  Au moment 
où j'ai fait les recherches,  les minutes notariales de La 
Ferté  Milon étaient inaccessibles.  Elles sont sans doute 
maintenant à Laon,  aux Archives départementales.  Et  les 
archives de la Compagnie des Indes,  si elles sont conser- 
vées,   pourraient  peut-être  donner  des  renseignements 
utiles.  Pierre  CLéRET  a-t-il  fait souche  en  légitime 
mariage  ?  Il y a des CLéRET aux Iles,  mais ils ne  sont 
pas, à notre connaissance, des RATIER CLéRET. En fait, nos 
ancêtres étaient connus sous le seul nom de CLéRET et  ils 
cachetaient  leurs  lettres  d'un sceau aux  seules  armes 
parlantes  des CLéRET (un chevron accompagné d'une clé  et 
de deux raies). Le nom de CLéRET est répandu, spécialement 
en Normandie.
     Avons-nous des cousins créoles ou métis, conséquences 
du  "libertinage"  et de l'"irréligion" de notre  arrière-
grand-oncle ?

NDLR  
   Pierre  RATIER CLéRET ne figure pas dans  les  "mauvais 
sujets" de la Désirade (SOM G1/498),  ni dans les dossiers 
de  Colonies  E.  On  ne trouve dans ceux-ci,  au  nom  de 
RATTIER,  que  le dossier (sans aucun prénom  indiqué)  en 
1784 d'un jeune homme de 18 ans,  fils d'un ancien employé 
de  la Compagnie des Indes,  habitant de l'île Bourbon (La 
Réunion),  qui "appartient à une famille de moeurs et dont 
la  réputation  est toujours entière" et que  ses  parents 
(son père et son parrain et oncle par alliance LE FAGUEYS) 
envoient  à Lorient pour le faire enfermer dans la  maison 
de force de Pontorson, à cause de son "penchant à tous les 
vices" et des ses "fautes graves, énormes, répréhensibles" 
(E345/bis).  Il  aurait été piquant qu'il fût le  fils  de 
Pierre  RATIER CLéRET !  Mais la consultation,  faite pour 
nous par Jean Michel André,  du "dictionnaire des familles 
de  Bourbon" de Ricquebourg fait apparaître que  c'est  un 
des  enfants d'Etienne RATIER dit PARISIEN (1716-1796)  et 
de Jeanne Charlotte DUPRé,  dont la soeur,  Brigitte DUPRé 
(1736-1819),  est bien épouse de Jacques Pierre LE FAGUEYS 
(b Saint-Malo 29 11 1729 + St-Denis de la Réunion 6 vendé- 
miaire  VIII),  officier de milice bourgeoise,  arrivé  en 
1752. Piste écartée.
   Recherche  faite  aussi dans les troupes détachées  aux 
Indes de 1724 à 1770 (Col D/2c/187 à 189),  ces  registres 
étant  intitulés par erreur dans l'Etat général des fonds, 
tome  III (Marine et colonies) "troupes au service  de  la 
Compagnie des Indes". 
   Puis nous avons consulté les registres de D/2a (recrues 
pour  les  troupes des colonies) et y avons  enfin  trouvé 
(D/2a/29 folio 116,  et 30 folio 40) dans une recrue de 22 




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Révision 26/08/2003