G.H.C. Numéro 32 : Novembre 1991 Page 426

LE NOM PATRONYMIQUE EN GUADELOUPE
Gérard Lafleur

     En  réponse  à la demande formulée par  Joël  Mabiala 
dans  son article de juillet-août 1991,  page 367,  Gérard 
Lafleur nous envoie deux articles qu'il a publiés dans  le 
bulletin   du  lycée  Gerville-Réache  de  Basse-Terre  en 
février 1986,  avec l'intention de pousser les  recherches 
plus loin,  sans avoir eu le temps de le faire encore.  Il 
présente  donc  ces  deux  articles  comme  des  bases  de 
réflexion.
     L'article  sur la toponymie paraîtra dans un prochain 
numéro.

                           ***

     Le  patronyme est un élément important de l'individu. 
Personne  n'est insensible au nom qui le distingue  de  la 
masse de ses concitoyens et les rapports avec son nom sont 
souvent marqués par une forte charge émotionnelle,  ce qui 
amène  des  réactions complexes et  quelquefois  irration- 
nelles.  Il ne s'en sent pas seulement responsable pour le 
présent  mais son nom le lie au passé,  par ceux qui l'ont 
porté et qui ont fait les pires et les meilleures  choses, 
et,  dans un narcissisme inconscient, à l'avenir, quand il 
le lègue fièrement à ses garçons. 
     Les  exemples sont multiples de ceux qui refusent ou, 
le plus souvent,  revendiquent un lien de parenté avec  un 
personnage public ou célèbre.
     Beaucoup  pourrait être dit à ce sujet sur la  trans- 
formation  des mentalités,  laquelle fut entérinée par une 
loi assez récente qui permet à un enfant de  porter,  s'il 
le désire, le nom de sa mère.

     Ces  considérations générales prennent  aux  Antilles 
une  force et une valeur particulière.  Dans l'inconscient 
collectif,  le  nom de famille prend une  propriété  quasi 
magique,  d'un  aspect  différent toutefois de  celle  qui 
s'attache aux prénoms,  dans lesquels on distingue "le nom 
caché",  qui  ne peut être révélé qu'avec  prudence,  afin 
d'empêcher le jeteur de sort d'agir, et "le nom de savane" 
ou surnom que tout le monde connaît.
     On  peut être surpris par les réactions violentes  et 
instantanées qui se font jour dès que le nom  patronymique 
est, soit écorché, soit mis en cause.
     Deux  éléments peuvent expliquer cette  valorisation, 
peut-être excessive.
     Certains,  par leur nom, cherchent à se rattacher aux 
origines de la colonisation pour,  pensent-ils, donner une 
légitimité  à  une  identité antillaise  qui  semble  être 
contestée,  phénomène  qui prend une vigueur  particulière 
lors  des  périodes troublées  qui  jalonnent  l'évolution 
politique des îles.
     L'autre  aspect est à rechercher dans les racines  de 
l'histoire  sociale  de  notre  région.  Dans  le  système 
d'exploitation basé sur l'esclavage,  la partie humaine de 
l'individu  qui est asservi est niée.  Il n'existe pas  en 
tant  que  personne,  il est  privé  d'une  reconnaissance 
personnelle et,  de ce fait, il n'a pas droit au nom, tout 
juste  un  prénom  qui  lui était  attribué  lors  de  son 
baptême.Il devient donc Pierre,  Paul ou Jean de X (c'est-
à-dire de son maître).
     Ce qui distinguait un libre d'un esclave,  ce n'était 
pas sa couleur épidermique,  c'était le fait qu'il ait  ou 
non un nom de famille, lequel prenait, par conséquent, une 
valeur inestimable, plus précieuse même que la vie.

     Avant   1848,   les   patronymes  étaient  issus   de 
l'ensemble  de  l'Europe,  sans que soit  privilégiée  une 
région ni même un pays.  La Guadeloupe du XVII° siècle, au 
moment où se stabilisèrent les groupes sociaux,  était  un 
véritable  carrefour de communication où se  rencontrèrent 
et  se  mêlèrent les différents courants de  l'émigration. 
Comme l'écrivait, en 1678, le R.P. MOUGIN, "il y a ici des 
Portugais, des Castillans, des Anglais, des Zélandais, des 
Ecossais, des Flamands, des Hollandais, des Allemands, des 
Africains  de quasi toute la côte  occidentale  d'Afrique, 
des  Américains  tant des isles de la  Terre  ferme,  soit 
septentrionale,  soit  méridionale..." Il parlait pour  la 
Martinique mais nous pouvons l'appliquer à la Guadeloupe.
     C'est  à cette époque que les familles se sont créées 
et  se sont stabilisées.  Certaines,  plus prolifiques  ou 
plus chanceuses que les autres,  ont laissé une  nombreuse 
progéniture.

     Pour  l'anecdote,  on peut citer l'Irlandais dont  le 
nom WELCH s'est transformé en HOUëLCHE,  ou les Hollandais 
arrivés  du  Brésil  en  1654,   dont  les  noms  se  sont 
perpétués,  comme CLAYSSEN pour CLASSEN, VANIBELL pour VAN 
BELL,  VANEYBERG, VANLOT pour VAN LOO, JOSPITRE pour Josse 
Pitre (Jean-Pierre).
     On  trouve quelques patronymes d'origine anglaise dès 
le XVII° siècle mais ceux-ci augmentèrent après 1763, à la 
suite  de  l'occupation anglaise et de  l'installation  de 
certains qui restèrent.  Actuellement,  un grand nombre de 
noms anglais sont d'origine saint-martinoise car le repeu- 
plement  de  Saint-Martin fut assuré par des  créoles  des 
îles  anglaises  et  hollandaises à  la  fin  de  l'Ancien 
Régime.

     L'affranchissement n'amenait pas d'éléments nouveaux. 
L'acte   notarié   qui  consacrait   le   nouveau   statut 
n'indiquait   que  le  prénom,   l'âge  et  la  "race"  de 
l'affranchi. Celui-ci prenait souvent le nom de son ancien 
maître  (1)  ou de l'habitation,  jamais un nom  d'origine 
africaine, pour des raisons psychologiques : il lui aurait 
rappelé un passé qu'il voulait oublier définitivement. Par 
contre, l'abolition de l'esclavage, comme nous le verrons, 
transforma et enrichit considérablement le stock de patro- 
nymes utilisés.

     En 1794, il n'y eut pas d'attribution systématique de 
noms.  L'abolition  fut  alors une  mesure  administrative 
utilisée  par Victor HUGUES contre les royalistes  et  les 
Anglais  pour la reconquête des îles perdues.  Chacun  est 
resté  plus ou moins "en place",  notamment pour ceux  qui 
constituaient la force de travail. 

     En   1848,   l'abolition   arrivait  après  un   long 
processus.  Les  anciens esclaves,  et donc les  "nouveaux 
libres", dès la teneur du décret connu, se sont présentés,  
pour  se  faire  enregistrer et  attribuer  un  patronyme, 
devant  les  officiers de l'Etat civil.  Ceux-ci  se  sont 
trouvés devant l'obligation de faire preuve  d'imagination 
pour trouver rapidement une masse de noms.

     Il  n'y  a pas de règle bien définie pour cette  opé- 
ration  mais,  en  étudiant les  registres  des  "Nouveaux 
libres",  plusieurs  lignes  de force se dégagent et  l'on 
peut classer ces noms selon plusieurs critères :




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Révision 26/08/2003