G.H.C. Numéro 31 : Octobre 1991 Page 414

A PROPOS D'UN CERTAIN TROUYA
Arnaud Vendryes

     Au cours du XVIIIème siècle, un aspect constant de la 
politique  française  dans  les  Iles  Sous  le  Vent  fut 
l'alliance  avec  les  Caraïbes  de  Saint-Vincent.  Cette 
alliance  fut durable :  Le jour venu,  Victor HUGUES  les 
trouva  prêts à combattre à ses côtés (voir notre  article 
dans le numéro 10),  mais ce fut hélas le début de la  fin 
pour ces fidèles alliés.

     Les  Caraïbes  nous aidèrent lorsque nos îles  furent 
attaquées,  et  en retour purent venir se  ravitailler  en 
armes  à  St Pierre de la Martinique quand ils  furent  en 
proie  aux  assauts des Anglais,  comme ce fut le cas  par 
exemple  en  1772-1773.  Il est vrai que  les  gouverneurs 
français dénièrent ce fait, au nom, bien sûr, de la grande 
amitié franco-britannique...

     Parmi   les  chefs  caraïbes  qui  scellèrent   cette 
alliance,  il  en est un dont le nom revient  à  plusieurs 
reprises: TROUYA, Caraïbe noir.

           L'ALLIANCE AVEC LES CARAIBES (1761)

     Au  cours  de  la Guerre de  Sept  Ans,  les  Anglais 
devenant  menaçants  pour l'île "neutre" de  Saint-Vincent 
qu'ils  finiront d'ailleurs par emporter,  les liens  avec 
les Caraïbes rouges et noirs vont aller se resserrant.

 (LE VASSOR DE LA TOUCHE, Col C/8a/63-123, 28 08 1761) :

     "Parmi  les  divers papiers trouvés  dans  une  prise 
anglaise, j'ai fait mettre à part une lettre du lord ROLLO 
au  général AMHERST dont j'ai l'honneur de vous envoyer la 
traduction.  Vous jugerez par elle,  Monseigneur,  que  ce 
commandant  anglais ne se croit pas bien assuré de  garder 
sa conquête,  puisqu'il craint une invasion de la part des 
Caraïbes de St Vincent.
     J'avais en effet recommandé à M. DUPONT de THOURON de 
sonder  les  dispositions de  TOUROUYA,  leur  chef,  pour 
reconnaître s'ils viendraient m'aider à défendre la Marti- 
nique  lorsqu'elle viendrait à être attaquée,  ou s'ils me 
seconderaient  dans  une  entreprise  quelconque;   il  me 
répondit de manière à ne me pas donner un grand espoir  de 
secours  de la part de ces Sauvages.  Cependant il engagea 
TOUROUYA  à  me rendre les hommages qu'il me  doit  en  ma 
qualité de Nouveau Général des Isles.

     La  flotte consistant en six pirogues parut donc dans 
la baie du Fort Royal le 24 de ce mois,  et le  lendemain, 
jour  St Louis,  notable par le concours des personnes  de 
considération invitées à célébrer au Gouvernement la  fête 
du Roi,  TOUROUYA vint avec une partie de sa famille et un 
cortège de trente Caraïbes me demander audience. 
     Nous causâmes sur les circonstances, je lui fis envi- 
sager  les dangers qu'ils couraient si l'ennemi les  atta- 
quait et qu'ils ne se défendissent pas vaillamment;  qu'un 
des principaux moyens dont il se servirait pour les subju- 
guer serait de leur faire de belles promesses, que c'était 
là  sa  politique,  mais qu'à peine aurait-il mis le  pied 
dans  leur  île  qu'il réduirait à  l'esclavage  tous  les 
Caraïbes;  que j'étais bien résolu de les secourir dans le 
besoin,  mais qu'ils me devaient le même engagement et que 
je comptais sur eux. 



     Ils  me  promirent  tout ce que je voulus  ;  je  fis 
expédier  à  TOUROUYA  une patente de  chef  des  Caraïbes 
(c'est  un  usage bon à observer) et je le  décorai  d'une 

grande  médaille  d'argent de Louis XIV  que  j'avais  par 
hasard;  il partit deux jours après en me témoignant qu'il 
était fort content de moi".

     Cette  alliance ne fut pas un vain mot :  à la fin de 
1761,  un  "état  des  troupes qui pourront  servir  à  la 
défense  de la Martinique" indique que 400 Caraïbes  noirs 
sont  prêts  à  venir se  joindre  aux  milices,  Suisses, 
flibustiers  et  autres nègres libres pour la  défense  de 
l'île.

       L'ACCUEIL DES CARAIBES A SAINTE-LUCIE (1765)

     Saint-Vincent devint anglaise en 1763,  et une grande 
partie  des colons français émigrèrent vers  Sainte-Lucie, 
faisant  d'ailleurs la fortune de  celle-ci.  Qu'allait-il 
advenir de nos amis caraïbes,  restés sur place ? Certains 
continuèrent, d'une manière intermittente, la lutte contre 
les  Anglais;  d'autres demandèrent asile à la France,  et 
c'est ce qui advint de TROUYA et de sa famille.

     Copie de la lettre écrite à M. de FENELON, gouverneur 
de  la Martinique,  par M.  de MICOUD,  commandant de  Ste 
Lucie, datée du Vieux Fort le 8 3 1765 (Col C/8a/67-227) :

     "Monsieur le Général, le nommé TROUYA, gouverneur des 
Caraïbes  de  St  Vincent,  est venu avec  quatre  de  ses 
enfants,  me demander une concession pour faire travailler 
environ 30 nègres qu'il a,  grands et petits,  ne  voulant 
pas  rester sous la domination anglaise,  sous laquelle il 
ne peut s'habituer.
     Je  n'ai voulu le recevoir qu'aux conditions que vous 
approuveriez  sa  résidence  dans  cette  isle,  je  pense 
Monsieur  le  Général  que vous  pouvez  lui  accorder  la 
permission qu'il désire sans qu'elle puisse tirer à consé- 
quence,  le  regardant comme tous les gens libres qui sont 
venus  dans  cette isle,  étant tout  aussi  son  habitant 
qu'eux,  le  porteur  de  la présente se chargera  de  vos 
ordres à cet égard étant le fils ou le parent de TROUYA".

     Le  président de PEYNIER donna son accord et  écrivit 
en ces termes au ministre (Col C/8a/67-225, 12 03 1765) :

     "Monseigneur, M. le Marquis de FENELON m'a communiqué 
une lettre qu'il a reçue de M. de MICOUD, commandant à Ste 
Lucie,  par  laquelle  cet officier lui fait  part  de  la 
demande que lui a faite le chef des Caraïbes de St Vincent 
d'une  concession  à Ste Lucie;  j'ai été d'avis que  nous 
permissions  à ce Caraïbe l'introduction de trente  nègres 
qui lui appartiennent et qu'il retire de St Vincent, comme 
vous le verrez par la lettre de M. de MICOUD dont je joins 
ici copie;  s'il vient d'autres familles,  je les recevrai 
également, et je leur donnerai toute la protection que des 
raisons  de  politique et d'humanité  m'engagent  de  leur 
accorder.
     On aura soin de veiller sur leur conduite afin  qu'il 
ne  puisse  résulter aucun inconvénient de  leur  établis- 
sement  dans  une île française,  et j'aurai l'honneur  de 
vous en instruire".




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Révision 26/08/2003