G.H.C. Numéro 30 : Septembre 1991 Page 386
Les BAYON de LIBERTAT à St-Domingue
Mauricette Bécoulet
Ce qui suit représente le résultat de plusieurs
années de recherche à la Bibliothèque nationale, aux
Archives nationales, à Beaubourg, Vincennes, Toulouse,
dans la Section Outre-Mer et à Port-au-Prince.
LIBERTAT, anciennement BAYON, venant de Corse
anobli en 1596
Armes : coupé au 1 d'azur à une tour d'argent accompagnée
de trois fleurs de lys mal ordonnées d'or,
au 2 de gueules au lion léopardé d'or.
François Antoine BAYON de LIBERTAT
o Marseille ou St-Ferjeux (Doubs) ca 1732
x Cap-Français 1772 Marie Anne de SAINT-MARTIN
fille du président du Conseil Souverain
+ ca 1802 au dernier massacre des blancs au Cap
Arrivé au Cap vers 1749, François Antoine acquit une
habitation, avec 65 nègres et 23 mulets, qu'il revendit
2.000 livres en 1772. Il devint gérant et fondé de pouvoir
de l'habitation de Breda (1). Il y eut comme employé
TOUSSAINT LOUVERTURE, gardien de troupeaux puis employé
aux écuries, dont il fit son cocher puis le gardien du
mobilier à la sucrerie (2).
En 1777, BAYON de LIBERTAT racheta une sucrerie,
indigoterie, plantations et maison. J'ai retrouvé l'acte
d'achat aux Archives d'Outre-Mer (alors rue Oudinot) et
l'indemnité pour les descendants aux Archives de Port-au-
Prince, où j'ai fait la connaissance de Monsieur de Cauna.
BAYON de LIBERTAT eut au moins deux filles, nées au
Cap entre 1772 et 1774, qui avaient été envoyées en France
pour leurs études à l'abbaye de Beaumont-lès-Tours. L'une
y mourut, l'autre, Marie Françoise Antoinette, fut
rapatriée au Cap où elle épousa en 1791 son cousin germain
Henry Jean François Marie BAYON de LIBERTAT, capitaine
d'artillerie au régiment de Metz, né en 1765 à Boulogne-
sur-Gesse (Haute-Garonne), fils de Jean François Marie,
écuyer, chevalier, seigneur de Pieds et autres places, et
Antoinette de MONTANé.
Le 23 août 1791, lors de la grande insurrection des
noirs de la Plaine du Nord, la plantation BREDA au Haut-
du-Cap ainsi que les habitations du Limbé, dont celle de
LIBERTAT, furent envahies. Alors apparut historiquement
TOUSSAINT LOUVERTURE.
"Un des adversaires de la nouvelle assemblée colo-
niale, devisant avec BAYON de LIBERTAS, en présence du
discret TOUSSAINT, sur les événements de l'époque, laissa
échapper quelques paroles ayant trait à ce projet de
soulèvement des esclaves. Trop perspicace pour ne pas
entrevoir tout d'abord les chances d'avenir pour sa classe
dans une insurrection générale, TOUSSAINT hasarda quelques
mots approbateurs du plan projeté et ajouta que la seule
promesse de la franchise de trois jours par semaine et
l'abolition de la peine du fouet suffirait pour soulever
les ateliers; mais il demanda aussi la liberté des
principaux esclaves qui réussiraient à faire agir les
autres, pour prix de leur soumission aux volontés
bienveillantes de ceux qui daigneraient s'occuper de leur
bien-être. Sur l'attestation de BAYON de LIBERTAS,
TOUSSAINT obtint la confiance du comité qui lui procura de
BLANCHELANDE un sauf-conduit pour le mettre à l'abri de
toutes poursuites ultérieures." (3)
TOUSSAINT sauva la famille BAYON de LIBERTAT. En
voici deux versions :
"Pendant l'absence de son maître, il attela la voiture,
y mit les objets les plus précieux et y fit entrer sa
maîtresse qu'il ne voulut confier qu'à son jeune frère
Paul." (4)
Deuxième version, plus plausible : "La famille BAYON
s'est sauvée de son habitation sous la protection de son
atelier. Elle erre 19 jours dans les bois de la montagne
qui sépare Le Limbé de Port-Margot. Enfin, tous arrivent
au Port-Margot. Le père, la mère, la fille mariée depuis
peu enceinte de trois mois, son mari et un fossoyeur.
Faut-il voir dans cette fuite miraculeuse la main recon-
naissante de l'ancien esclave ? La tradition orale assure
que TOUSSAINT lui-même aurait conduit cette expédition,
après quoi il aurait rejoint le camp des insurgés." (5)
Le 12 avril 1792 s'embarquèrent sur le navire "Jules
Etienne" :
- Marianne de SAINT-MARTIN BAYON de LIBERTAT, créole du
Cap, 36 ans,
- dame Marie Françoise Antoinette BAYON de LIBERTAT,
créole du Cap, 20 ans,
- le sieur Jean François Antoine BAYON de LIBERTAT, mari
de la précedente, 27 ans,
- demoiselle BAYON de LIBERTAT sa fille, 2 mois (Nathalie
Céleste).
Ils débarquèrent le 9 juin à Bordeaux.
Cependant, François Antoine BAYON de LIBERTAT resta
quelque temps à St-Domingue. Puis il aurait émigré à
Philadelphie d'où il revint au Cap, à la demande de
TOUSSAINT LOUVERTURE, pour remettre en marche la
plantation.
En 1798, son second neveu, Henri Bernard Marie BAYON
de LIBERTAT, se rendit à Nantes et s'embarqua sur l'aviso
"L'Enfant prodigue", sous les ordres du général
HEDOUVILLE, qui lui avait donné l'autorisation d'aller
voir son oncle. (6)
Une preuve de l'attachement de TOUSSAINT LOUVERTURE
envers son ancien maître apparaît dans une lettre inédite
du général NEMOURS, évoquant une lettre adressée par
TOUSSAINT aux membres du Directoire pour leur demander
d'avoir une attention spéciale à l'égard de BAYON de
LIBERTAS (7) :
"Si quelqu'un, leur disait-il, mérite l'indulgence
nationale et ne doit point être compris dans le décret
d'exil et de bannissement, c'est sans contredit un homme
que son grand-âge a retenu près d'une colonie d'où il
recevait des secours; un homme enfin dont les principes
philanthropiques ont éclaté longtemps avant la révolution.
C'est à ces mêmes principes que je dus le bonheur dont je
jouissais sous le règne des préjugés, et c'est la recon-
naissance qu'a gravée au fond de mon coeur le souvenir de
ses bienfaits qui me porte à vous prier de favoriser sa
rentrée dans ses foyers."
Cet attachement était réciproque, comme en fait foi
une lettre de BAYON de LIBERTAT adressée au Moniteur (n°
du 15 pluviôse an 7 ou 3 février 1799) dont je ne citerai
ici que quelques extraits (8) :
"Longtemps avant nos troubles, je gérais l'habitation
Bréda du Haut-du-Cap. Ayant approfondi le caractère de
TOUSSAINT, je lui avais confié la principale branche de
Révision 26/08/2003