G.H.C. Numéro 30 : Septembre 1991 Page 382

Deux découvertes à propos de "L'ANONYME DE CARPENTRAS"
Le plus ancien manuscrit français sur les populations, la faune et la flore des Antilles

Jean-Pierre Moreau

     D'ici à quelques mois,  et pendant deux ans,  en 1992 
et  1993,  vont se succéder les colloques et les  manifes- 
tations à propos de la "découverte de l'Amérique" ou de la 
"rencontre des deux mondes". 
     Pour  alimenter  le débat qui ne manquera pas  de  se 
produire,  le texte trouvé à la Bibliothèque de Carpentras 
et  que j'ai publié pour la première fois en 1987 sous  le 
titre  "Un  flibustier français dans la Mer des  Antilles, 
1618-1620", revêt une importance capitale, 
1° parce  que  c'est la plus ancienne  description  de  la 
flore,  de  la  faune et des Indiens caraïbes des  Petites 
Antilles,  en particulier de la Martinique,  en 1619-1620, 
soit 15 ans avant le Père BRETON, 
2° parce que le narrateur porte un regard "précolonial" et 
laïque sur les Indiens,  un regard presque moderne, loin à 
la  fois  de l'ethnocentrisme et du rousseauisme avant  la 
lettre de Montaigne et Léry (mythe du "bon sauvage"),
3° parce  que  c'est également la plus  ancienne  relation 
complète d'une expédition de flibuste, partie de Dieppe en 
1618,  très  loin de la vision romanesque  très  largement 
répandue dans le grand public.
     Cependant,  pour  diverses raisons,  ce texte n'a pas 
encore reçu l'écho qu'il mérite.

         I Attestation du départ de l'expédition

     Depuis  sa  première publication  en  1987,  j'essaie 
d'améliorer son assise scientifique.  La réédition en 1990 
aux éditions Seghers (voir GHC 18 page 176) m'avait permis 
d'apporter   quelques   documents   supplémentaires,    en 
particulier une attestation de la présence de l'expédition 
de Charles FLEURY dans les Indes occidentales en 1619, que 
j'avais trouvée à l'Archivo de Indias à Séville.
     Un nouveau séjour en Espagne m'a permis de mettre  la 
main  sur une attestation du départ  de  l'expédition,  en 
juin  1618,  de Dieppe.  C'est un document qui a longtemps 
séjourné aux Archives nationales à Paris,  rapporté  parmi 
tant d'autres par les troupes napoléoniennes, lors de leur 
occupation en Espagne, et qui n'a été restitué à l'Archivo 
general de Simancas qu'en 1944.
     Ce  document  provient donc de l'Archivo  general  de 
Simancas,  fonds "Secretaria de Estado,  negociaciones con 
Francia" K 1474,  mai 1618 :  sortie de navires de  Dieppe 
pour les Indes.
     En voici la traduction :
"On  annonce  que partent de Dieppe pour les  Indes  trois 
navires dont le capitaine est Charles FLORI, Français. Ils 
portent  400 hommes de guerre à peu près,  et,  le 24 mai, 
ils  mettent au mouillage,  et,  vers le 27,  ils  doivent 
mettre  les voiles,  à moins qu'ils ne s'attardent un  peu 
plus.
Il a des corselets (cuirasses légères) et des casques pour 
armer 300 hommes. 
Il a 50 grenades à feu et ils ont pour dessein d'être huit 
mois dehors.
On   dit  qu'ils  doivent  relâcher  à  Sainte-Croix   des 
Canaries (Santa Cruz de Tenerife), mais là, ils feront peu 
de  mal;  cependant  on peut craindre pour  la  Vallée  de 
Salazar ou San Lucas.
On croit comprendre aussi que l'intention de Charles FLORI 
est d'aller avec ses canots prendre les navires et barques 
qui sont occupés à charger de l'argent dans nos ports,  là 
où ils pourraient les trouver, ceux qui apportent l'argent 
ou autre chargement aux galions." 





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