G.H.C. Numéro 29 : Juillet-Août 1991 Page 357
DEPUTES A LA CONSTITUANTE : LARCHEVESQUE THIBAUD
le raccourci est infâme aux yeux d'un républicain." (16)
Rappelons que, moins de deux ans auparavant, il était venu
demander justice au Roi.
Emprisonné
Le 5 germinal an II (27 mars 1794) à deux heures du
matin, conformément à la loi du 20 ventôse an II ordonnant
l'arrestation des colons de St-Domingue qui auraient été
membres de la première assemblée coloniale, dite de St-
Marc, ou de la seconde, le citoyen JOUENNE, inspecteur,
conduit à la Maison d'arrêt des Irlandais le citoyen
THIBAUD, ci-devant archevêque (sic). Le concierge signe
l'écrou, ainsi que l'ex-député, qui indique en N.B. "Je
n'ai jamais été ni archevêque, ni évêque, ni prêtre, ni
même simple tonsuré. Je suis marié depuis plus de 14 ans
et j'ai donné 9 enfants à l'Etat dont il me reste 6." (17)
Le 15 germinal, il écrit à la section de la Halle au
Bled, sur laquelle il demeure, s'interrogeant sur le
pourquoi de son arrestation et de son envoi en prison,
alors que d'autres colons sont aux arrêts chez eux. "Cela
me cause des frais de garde dispendieux, il est vrai que
je suis un homme ruiné." Ce qui est très exagéré, bien que
son habitation soit sous séquestre. Le Comité de la
section répond que "le soi-disant archevêque n'est plus
aux Irlandais mais au Luxembourg, qu'il a deux enfants en
France avec leur mère, l'une âgée de 9 ans et l'autre de 3
mois. Il en a quatre autres à la Nouvelle-Angleterre, sous
les soins d'un Anglo-américain, dont le plus âgé a 5 ans."
Cette réponse du Comité est très tardive, puisqu'elle
n'est faite qu'après son passage devant le Tribunal révo-
lutionnaire le 22 messidor (10 juillet). En effet, il y
est évoqué un enfant de trois mois. Or, lorsqu'elle deman-
de la libération de son époux, la citoyenne LARCHEVESQUE
THIBAUD écrit "Il fut arraché de mes bras il y a plus de
six mois, alors que j'étais enceinte de huit mois." Je ne
sais ce qu'est devenu cet enfant, fille ou garçon, n'ayant
trouvé trace ni de sa naissance ni de sa mort.
La défense et le procès
En prison, notre héros, sur qui pèse l'accusation
d'"ennemi du peuple" (18), rien moins, se défend en atta-
quant. "Oui, j'ai bien été membre de la première Assemblée
coloniale, dite de St-Marc, non de la seconde, les deux
ayant été calomniées par BARNAVE, ce perfide calomniateur
confondu en plein tribunal révolutionnaire par deux
membres de cette Assemblée de St-Marc, j'étais l'un d'eux.
(...) J'ai vigoureusement chargé BLANCHELANDE lors de son
procès, il n'a pas eu de plus fort adversaire que moi dans
ses projets contre-révolutionnaires." Il se défend d'avoir
fait partie du Club Massiac "ayant toujours été impertur-
bablement attaché à la Révolution." Il dénonce SONTHONNAX,
rappelant qu'il avait formellement déclaré que "l'escla-
vage était nécessaire à la culture et à la prospérité des
colonies et que si l'Assemblée nationale égarée, c'est le
terme impie qu'il a utilisé, voulait l'abolir, il s'y
opposerait de toutes ses forces. (...) Aujourd'hui, la
Convention nationale a prononcé l'abolition de l'escla-
vage, quelles qu'aient pu être mes opinions sur ce point,
mais aussi sur tout autre, j'obéirai. Mais si SONTHONNAX
et POLVéREL, quoique frappés d'un décret d'accusation,
sont libres, alors il faut prononcer la liberté des colons
incarcérés en vertu du décret du 19 ventôse." (19)
Avec 159 autres inculpés, incarcérés comme lui au Luxem-
bourg, il est traduit devant le Tribunal révolutionnaire,
accusé d'avoir ourdi en prison un complot pour anéantir la
représentation nationale. C'est dire que son sort, comme
celui des autres, était fixé à l'avance. Quels motifs ont
pu déterminer l'accusateur à le déclarer, lui et sept de
ses compagnons, innocents ? Je n'ai pu le découvrir (20).
"On dit que j'ai bénéficié de la protection de ROBESPIERRE
(...). C'est l'impossibilité physique, bien clairement et
bien évidemment démontrée, que nous eussions trempé dans
certaine conspiration de l'invention du scélérat
ROBESPIERRE et de ses consorts en tyrannie." Admettons...
ces lignes ayant été écrites après le 9 thermidor, on le
devine.
Mais notre homme n'est pas libéré pour autant. Il est
incarcéré à l'hôtel Talaru. Lui et sa femme vont écrire de
nombreuses lettres qui ne recevront pas de réponse. "Les
tombeaux ne sont pas plus sourds à la voix des mortels
(...). Nos bénédictions se mêleront à celles de cette
foule d'infortunés que la mort de ROBESPIERRE a fait
sorti des prisons (...). Je suis attaqué depuis plus de 18
mois d'une diarrhée scorbutique qui commençait à guérir,
mais qui a repris son cours depuis mon arrestation, et
encore plus fortement lors de ma traduction devant le
Tribunal révolutionnaire (sic)." Je crois qu'il est
difficile d'être plus franc et plus net sur la "trouille
viscérale" que l'on devait ressentir à l'idée de passer au
"rasoir national", fut-on un fougueux républicain, même
si, comme le disait son inventeur le docteur GUILLOTIN,
présentant sa machine aux députés :" Vous ne sentirez sur
votre cou que le souffle léger du zéphir (sic)." Enfin, un
an après son arrestation, la Convention va trancher, si
j'ose dire, le 16 brumaire an 3, lors de la séance
présidée par PRIEUR (de la Marne).
MAREC, au nom de la commission des colonies et du Comité
de Sûreté générale, après une longue déclaration rappelant
que "vis-à-vis de la Convention, les citoyens se disant
commissaires des patriotes de St-Domingue sont, comme
leurs adversaires, accusés et accusateurs, et que, n'ayant
pas encore été traduits devant les tribunaux par un acte
d'accusation en forme, ils devaient jouir de la même
liberté provisoire que vous avez accordée aux ex-commis-
saires POLVéREL et SONTHONNAX, en suspendant l'effet du
décret d'accusation dont vous les aviez frappés", propose
un projet de décret de quatre articles, dont le premier
stipule que "les citoyens PAGE, BRULEY, Thomas MILLET,
CLAUSON, DUNY et LARCHEVESQUE THIBAUD, se disant commis-
saires des patriotes de St-Domingue, et LEGRAND, leur
secrétaire, seront mis provisoirement en liberté"; article
2 "Le citoyen RAYMOND, se disant député extraordinaire des
ci-devant hommes de couleur, sera aussi mis provisoirement
en liberté". L'article 3 stipule que les scellés sur leurs
papiers seront levés, mais qu'ils ne pourront habiter la
maison où sont "les papiers dits archives nationales". Ce
décret est adopté (21).
Greffier d'un jury d'accusation
A partir de cette date, comme nombre d'acteurs de
cette révolution qui avait été leur espérance, il va se
retirer de la vie publique et retomber dans l'anonymat. Il
quitte Paris pour Choisy-sur-Seine où il est nommé
greffier du jury d'accusation. Le 8 messidor an 3 (28 juin
1795), il y achète une très belle maison à l'angle de la
rue du Bac et de l'avenue sur Seine pour 157.000 F (preuve
qu'il n'est pas aussi ruiné qu'il le déclare) (22). Il
Révision 26/08/2003