G.H.C. Numéro 29 : Juillet-Août 1991 Page 354

DEPUTES A LA CONSTITUANTE : LARCHEVESQUE THIBAUD
Pierre Bardin

     La  Révolution  française de 1789,  dont les  "effets
telluriques"  sur les institutions ne sont plus  à  démon-
trer,  permit  à  des gens de toutes origines,  de  toutes
conditions,  d'inscrire  leur nom,  avec plus ou moins  de
bonheur,  sur le Grand livre de notre Histoire,  de sortir
de  l'anonymat  qui eût dû être le  leur,  puis,  soit  de
disparaître,  violemment  emportés par des événements  qui
soudain dépassaient leur vision du monde, soit de revenir,
les choses s'apaisant, à leurs travaux antérieurs.

     Jean-Baptiste Gabriel LARCHEVESQUE THIBAUD est de ces
derniers. Créole de St-Domingue (il ne supporta pas la vie
en métropole, comme on verra), rien ne ne le prédisposait,
ainsi  que des dizaines d'autres,  à retenir notre  atten-
tion. Avocat, entré au Conseil Supérieur du Cap, il épousa
en  1780  Louise Catherine de  CASTONNET  des  FOSSES.  Il
apportait  alors à la communauté 50.000 livres en  argent,
meubles  et  effets  tandis que son  épouse  apportait  sa
négresse  Marie-Thérèse  et sa part dans la succession  de
ses père et mère dont le partage avec ses frères et soeurs
avait été fait par M° Rivery au Cap.  Le douaire était  de
10.000  livres.  Jean-Baptiste  était  aussi  propriétaire
d'une "habitation caférie" au quartier Vallière. Banal.

     L'annonce aux Isles, et en particulier à St-Domingue,
de  la réunion des Etats généraux va agir comme la  muleta
sur le taureau. Ayant été "oubliées", les colonies vont, à
juste titre,  se faire entendre,  et, grâce aux Députés de
St-Domingue,  figurer  parmi les signataires du serment du
Jeu de Paume. Bien que se déclarant indéfectiblement atta-
chés  à la Mère Patrie et au Roy,  les écrits et  discours
laissent  très  nettement entrevoir que  les  "habitants",
dans leur grande majorité, espèrent obtenir, sinon l'indé-
pendance, du moins l'autonomie, à l'instar des "Insurgents
américains".
     Au  cours  de ces  événements,  LARCHEVESQUE  THIBAUD
bénéficia,  si j'ose dire,  de l'originalité de son nom  :
souvent,  il  fut pris pour un ecclésiastique,  ce qui lui
causa parfois quelques désagréments.
     En 1788,  il est au Cap le "correspondant de MM.  les
membres  du Comité colonial de St-Domingue séant à  Paris"
et dirigé par GOUY d'ARSY,  ce qui,  plus tard, lui vaudra
l'accusation  d'avoir  été membre du Club Massiac.  Le  13
décembre,  les membres du Comité colonial du Cap écrivent,
s'excusant d'un retard, "vos paquets ayant été remis le 25
du mois dernier par M.  DAUGY à M. ARNAULD de MARCILLY, en
l'absence  de M.  LARCHEVêQUE THIBAUD qui était pour  lors
sur son habitation et en est revenu le 27." Dans le  style
ampoulé  de  l'époque,  les termes "respectables  frères",
"chers  zélateurs  de  la  communauté   franco-américaine"
reviennent sans cesse, en apprenant le droit de la colonie
d'avoir des députés aux Etats généraux.

Député aux Etats Généraux

     Elu, LARCHEVESQUE THIBAUD quitte St-Domingue et écri-
ra plus tard,  dans un mémoire pour sa défense, "J'arrivai
en  France le 2 juin 1789,  désigné comme un des députés à
l'Assemblée  des Etats généraux à laquelle je  participais
lors de la fameuse séance du 20 juin;  il fallait haïr  le
despotisme  et  désirer une révolution pour  accepter  une

pareille  mission."  (2)
  Que veut-il dire ?  A mon avis,  qu'il préfère agir dans
son  île et que,  son élection comme député l'obligeant  à
demeurer en France, il choisit de démissionner, le 24 août
1789 :
" M. LARCHEVêQUE THIBAUD, député de la Province du Nord de
St-Domingue,  ayant  donné sa démission,  M.  le comte  de
RAYNAUD,  l'un des députés vérifiés et ayant séance, a été
admis à le remplacer dans ses fonctions de représentant de
la colonie, avec voix délibérative dans l'Assemblée natio-
nale." (3) Donc, il n'aurait jamais dû siéger et pourtant,
lors de la séance du jeudi 2 décembre 1790, sous la prési-
dence  d'Alexandre  de  LAMETH,  "M.  LARCHEVêQUE  THIBAUD
propose  d'admettre  M.  O'GORMAN  en remplacement  de  M.
COCHEREL,  député de St-Domingue." (4) Certains historiens
ont  relevé  ce fait sans pouvoir  l'expliquer  ou  notant
qu'il s'agissait d'une erreur.  Je crois que l'explication
est très simple.  A cette époque,  les membres de l'Assem-
blée  de  Saint-Marc  sont  "prisonniers"  de  l'Assemblée
nationale  et  il se peut très bien que,  exhibant de  ses
anciens pouvoirs, il ait siégé et fait sa proposition lors
de cette séance du mois de décembre.

Président de l'Assemblée du Nord à Saint Domingue

     Donc notre député,  retourné à St-Domingue,  va quand
même  intervenir  avec  virulence à  la  Constituante  par
courrier interposé, comme président de l'Assemblée provin-
ciale du Nord de St-Domingue. Lisons le Moniteur universel
qui paraît le 26 avril 1790.  Au-delà des violentes  atta-
ques  portées contre le ministre de la Marine,  le  masque
tombe  et laisse voir au grand jour les intentions réelles
de  ces Assemblées coloniales,  dont la plus célèbre  sera
l'Assemblée  générale  de la Partie  française  de  Saint-
Domingue,  plus  connue sous le nom d'Assemblée de  Saint-
Marc :
  Dans  sa séance du vendredi 24,  la Constituante  entend
une  lettre du ministre de la Marine,  M.  de LA  LUZERNE,
annonçant  que des troubles ont eu lieu à  la  Martinique,
particulièrement  au Fort-Royal et à St-Pierre,  mais  que
tout  est maintenant apaisé,  et prévient l'Assemblée "que
toutes  imputations  faites par les colons  ne  pourraient
être  que  discriminatoires." C'est à ce moment  que  GOUY
d'ARSY  fait lecture d'une lettre et d'un arrêté pris  par
l'Assemblée provinciale du Nord de St-Domingue,  dénonçant
"LA LUZERNE, comme notre ennemi, il a perdu notre confian-
ce (...).  Il pousse la perfidie jusqu'à favoriser en sous
main  les  insurrections d'une classe (les  mulâtres)  qui
tient tout des bienfaits de ses anciens maîtres (...).  Le
tyran est démasqué .  Il est coupable de la réunion désas-
treuse  des  conseils de  St-Domingue,  d'avoir,  avec  de
MARBOIS,  intendant, et de LA MARDELLE, procureur général,
soutenu cette opération .  Il est coupable d'avoir suscité
tous  les  obstacles  à  l'admission des  députés  de  St-
Domingue  à  l'Assemblée nationale (...)  d'avoir  secondé
toutes les vexations,  les rapines et les caprices de  ses
agents subalternes (...). Sa conduite ne justifie que trop
la  nécessité où nous avons été et où nous sommes de  nous
gouverner nous-mêmes (...). En conséquence, défend à toute
personne  de  traiter avec M.  le comte de LA  LUZERNE,  à
peine d'être réputée traître à la Patrie."
 Signé LARCHEVESQUE THIBAUD, président, contresigné par le
secrétaire. L'Assemblée provinciale s'arroge donc le droit
de dicter sa loi.



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